A propos de Lulu d'Alban Berg, mise en scène de Patrice Chéreau
Notice
Reportage sur la création de l'opéra d'Alban Berg, Lulu, dirigé par Pierre Boulez et mis en scène par Patrice Chéreau à l'Opéra National de Paris, en 1979, avec des extraits du spectacle et un entretien avec le chef d'orchestre.
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Éclairage
Le 24 février 1979, à l'Opéra National de Paris, Lulu, œuvre d'Alban Berg est présentée sous la direction de Pierre Boulez et dans une mise en scène de Patrice Chéreau. Les décors sont signés Richard Peduzzi et Teresa Stratas interprète le rôle titre.
L'opéra décrit l'ascension sociale d'une femme jusqu'au meurtre de celui qu'elle dit avoir le plus aimé, puis sa chute pour devenir finalement prostituée et mourir (assassinée par Jack l'Eventreur).
Alban Berg compose cet opéra dodécaphonique entre 1929 et 1935 (date de sa mort), dans un livret inspiré par l'auteur allemand, Frank Wedekind. Partiellement inachevé, Lulu est représenté en 1937 à l'Opéra de Zurich, mais c'est lors de sa création à l'Opéra de Paris, en 1979, que l'opéra est donné en intégralité. Friedrich Cerha (compositeur et chef d'orchestre) complète l'orchestration de Lulu, permettant à Pierre Boulez et Patrice Chéreau de faire entendre et voir pour la première fois l'Acte III.
Selon le metteur en scène français, « Il n'y a rien de plus beau que l'alliance d'une grande mise en scène et d'un opéra ; par exemple, celles de Visconti sur Verdi ou de Strehler sur Mozart. Il y a la mise en scène et le théâtre, une histoire qui est racontée ; et en plus un travail sur le livret et la musique. Une musique arrive à un moment donné et il faut amener les chanteurs à ce moment précis où il est normal qu'ils chantent au lieu de parler » [1]. Lorsqu'il monte Lulu d'Alban Berg en 1979, il n'en est pas à son premier opéra. En effet, en 1969, à la demande de Gian Carlo Menotti, il créé L'Italienne à Alger (L'Italiana in Algeri) de Rossini, sous la direction musicale de Thomas Schippers, au 12e Festival des Deux Mondes à Spolète en Italie. Après cette première expérience, il met en scène Les Contes d'Hoffman d'Offenbach (1974) et surtout, avec la complicité de Pierre Boulez comme chef d'orchestre, il s'attèle à la Tétralogie de Wagner pour le centenaire de sa création, au Festival de Bayreuth. La mise en scène, théâtrale et très incarnée fait, dans un premier temps, scandale car elle s'écarte de l'imagerie et de l'interprétation traditionnelle. Pour autant, elle est reprise jusqu'en 1980 et rencontre à chaque fois un succès grandissant.
Entretemps, Chéreau et Boulez décident de monter Lulu. Dans un décor Art nouveau (de marbre noir) où trône un escalier monumental (qui rappelle les croquis d'Adolph Appia) et avec des costumes rappelant également les années trente, Chéreau pousse encore plus loin l'engagement du corps des interprètes, ce dernier apparaissant comme l'une des clés de compréhension de son désir opératique. A travers la question de l'interprétation, l'alliance de l'opéra et du théâtre trouve un point d'incandescence. Chéreau amène les chanteurs à construire psychologiquement leur personnage, il les invite à se plier à un certain nombre d'impératifs physiques répondant à la logique d'un personnage. Par la musique, Chéreau réinvestit une théâtralité déjà présente dans le milieu opératique, exacerbant le jeu des comédiens : « Je ne réduis pas la musique à la psychologie ; mais la musique me donne tout de suite, immédiatement, plusieurs possibilités de mettre en scène une action, de faire voir une pensée, de l'incarner et de la transformer en une occupation précise de l'espace » [2].
Parallèlement à sa carrière théâtrale, Patrice Chéreau continue de monter des opéras (Lucio Silla de Mozart, 1984-1985 ; Wozzeck de Berg, 1992-1994 ; De la maison des morts de Janacek, 2007). Et s'il délaisse pour un temps les plateaux de théâtre (après sa direction du Théâtre des Amandiers de Nanterre), il ne cesse pas de mettre en scène des opéras. En 2007, il signe la mise en scène de Tristan et Isolde, sous la direction de Daniel Barenboïm avec qui il a déjà travaillé à plusieurs reprises (Don Giovanni de Mozart, Festival de Salzbourg, 1994).
[1] Patrice Chéreau, « L'autoportrait de Patrice », in L'Express Rhône-Alpes, mars 1974, p. 75.
[2] Daniel Barenboïm, Patrice Chéreau, Dialogue sur la musique et le théâtre. Tristan et Isolde, propos recueillis par Gaston Fournier-Facio, Paris, Buchet/Castel, 2010, p. 15.