Les jeunes et la MJC à Longwy

Ce reportage tourné en 1983 se propose de prendre le pouls des jeunes lycéens dans le bassin sidérurgique de Longwy en déclin. Depuis l’annonce en 1978 de la suppression de 6 500 emplois à Usinor et la fermeture de l’usine de la Chiers, la vallée industrieuse surnommée « le Texas français » et qui produisit jusqu’à un quart de l’acier du pays vit une longue agonie. Nous sommes en décembre. Les paysages d’hiver, les cités ouvrières aux couleurs ternes hantées par quelques personnes âgées, la sombre silhouette des hauts-fourneaux de Senelle encore en activité mais pour peu de temps, tout cela crée un climat de fin du monde lourd et triste. La sortie en foule des jeunes du lycée Alfred Mézières provoque un contraste saisissant avec la séquence d’introduction digne d’un roman d’Émile Zola. La jeunesse fait irruption dans l’image et le journaliste semble s’interroger : il n’y aurait donc pas que des morts-vivants dans cette vallée ? Avec en filigrane cette question existentielle : de quoi se nourrit cette jeunesse poussée dans les décombres d’une industrie d’un autre âge et avec pour seul horizon la crise ?

A presque 40 ans de distance, ce reportage parait à la première vision superficiel et daté mais il frappe par ce ressenti étrange : nous voyons une jeunesse qui ne semble plus appartenir à l’endroit où elle vit, déterritorialisée en quelque sorte. Son quotidien en dehors de la famille est rythmé par les cours au lycée et les pauses dans les cafés. Le café est le lieu de sociabilité privilégié par les jeunes. L’endroit où l’on s’affranchit du contrôle des adultes dans la fumée des cigarettes. Daniel Fourrier, le directeur de la Maison de la Jeunesse et de la Culture locale pointe cette tendance des jeunes à vouloir échapper aux lieux institutionnels censés les accueillir comme la structure qu’il dirige ou les associations culturelles et sportives. Au fond, rien de neuf. Comme leurs parents ou leurs grands-parents, le café est le lieu d’émancipation politique et culturel. Les immigrés italiens surtout y ont forgé leurs convictions politiques et syndicales. Ils y organisaient les grèves. Les lycéens dont beaucoup sont leurs descendants y trouvent aussi la convivialité, la chaleur des radiateurs et le rêve d’un avenir meilleur. Le tout pour le prix modique d’un ou deux cafés. Les Longoviciens cinquantenaires reconnaîtront sans peine le café Chez Mado sur la place Darche à quelques centaines de mètres de « l’Alfred », le diminutif du lycée.

Constat ou saillie ironique ? Le journaliste propose dans son commentaire final de faire subventionner par le ministère de tutelle les cafés où se réunissent les jeunes pour leur rôle émancipateur…

Ce reportage survole un peu rapidement le paysage culturel dans le bassin de Longwy au début des années 80. Il en donne une vision caricaturale voire misérabiliste car la ville de Longwy a accueilli le prestigieux festival de la bande dessinée, Lobédé qui vit défiler les plus célèbres dessinateurs comme Reiser, lequel donna son nom au collège de Longlaville. Dans la même localité de nombreux artistes se sont produits à la salle Elsa Triolet réputée pour la qualité de sa programmation. Sans oublier le Longwy Jazz Action. Les plus prestigieux jazzmen y ont fait escale. Il existe aussi des groupes de musique et des compagnies de théâtre comme le Théâtre de poche fondé en 1976 et toujours actif à l’Actée-théâtre. Sans oublier cette particularité : les jeunes longoviciens jouaient volontiers les « saute-frontières » avec la Belgique et le Luxembourg en vertu du principe que l’herbe est plus verte de l’autre côté de la barrière. Cela n’a pas échappé au journaliste. Tous les week-ends, tassés dans les voitures, ils se rendent dans les boîtes et assistent à des concerts rock. Au Blue Note, notamment, à Rodange où lors du concert de Motörhead le 21 novembre 1981, l’auteur de ces lignes a perdu une partie de son acuité auditive.