La marche des mineurs à Lens
Notice
Devant les incertitudes gouvernementales sur l'avenir de la production charbonnière, les mineurs CGT ont organisé une marche à Lens dans une ambiance festive et avec des mots d'ordres comme "Produire français, du charbon il y en a dans notre région". Daniel Dernoncourt, secrétaire de la fédération nationale des mineurs CGT constate que les Houillères ont la volonté d'accélérer le processus de liquidation alors qu'une installation dans la région d'une industrie de matériel de mine et une industrie chimique avec le charbon du Nord-Pas-de-Calais est possible.
- Europe > France > Nord-Pas de Calais > Pas-de-Calais > Lens
Éclairage
Après les espoirs suscités en 1981-1982 par l'annonce d'une relance de la production charbonnière par la gauche au pouvoir, 1983 marque l'aggravation des doutes sur les perspectives réellement envisagées. Déjà, le 22 décembre 1982, la Fédération CGT du Sous-Sol était sortie déçue d'une réunion avec les Charbonnages de France, dirigés depuis le début de l'année par le communiste Georges Valbon. Le syndicat s'est affirmé en "désaccord le plus total avec l'objectif de production, compris entre 18,5 et 19,2 millions de tonnes jusqu'en 1985 (...). Une telle orientation tourne le dos aux 30 millions de tonnes à l'horizon de 1990, annoncé dans la campagne des présidentielles par le président de la République... "
La marche des mineurs organisée par la CGT à Lens le 4 juin 1983 vient en outre au lendemain d'annonces contradictoires ajoutant au trouble des syndicalistes. Le 26 avril, François Mitterrand, en visite à Lille, a rappelé, comme le souligne à dessein dans le sujet le représentant de la Fédération CGT Daniel Dernoncourt, que "dans le prix d'une tonne de charbon, il n'y a pas que le prix marchand" mais aussi "le coût social". Pourtant, le même jour, son secrétaire d'État à l'énergie, Jean Auroux, a précisé : "Des choix s'imposent dans la politique charbonnière de la France. Il va falloir accepter la fermeture d'exploitations dont le déficit est excessif au regard de l'aide de l'État".
En ce printemps, de prochaines décisions se profilent mais le discours syndical reste modéré. Le retour à la récession n'a pas encore été officiellement annoncé par un gouvernement Mauroy qui rassemble encore les grands partis de gauche, PS et PCF. Plutôt que de s'engager dans une sévère critique du pouvoir, Dernoncourt préfère appuyer sur les contradictions qu'il croit voir entre les engagements présidentiels et la volonté des Houillères "d'accélérer le processus de liquidation".
Discours et banderoles illustrent les axes revendicatifs de son organisation. Deux grands thèmes ressortent. D'une part "la renaissance industrielle par le charbon", consistant à développer des activités fondées sur l'exploitation des richesses du sous-sol, telle une plate-forme chimique ou une industrie de fabrication du matériel des mines, volontiers acheté dans d'autres pays d'Europe au lieu d'être produit en France. Cela fait le lien avec le second versant du discours de la CGT, partagé à certains moments par les autres syndicats et également porté par le PCF : "Produisons français ! ". La pancarte accrochée à l'avant du camion rouge affublé de drapeaux tricolores le proclame : "Produire français. Du charbon il y en a dans notre région". Cette colonne vertébrale revendicative s'appuie sur un discours et des actes à l'œuvre depuis plusieurs années. Le 18 novembre 1977, la CGT a ainsi organisé des "Assises nationales pour la sauvegarde et l'essor de l'industrie minière française", opposée à la rentabilité à court terme. Parallèlement, elle a engagé des actions contre les importations, comme lorsque le 19 septembre 1979, des mineurs du Pas-de-Calais et des Cévennes ont occupé au Havre un navire chargé de charbon sud-africain. Les investissements des Charbonnages dans des mines à l'étranger sont de surcroît dénoncés.
La mobilisation festive d'une population autour de sa profession historique, mise ici en évidence par la présence d'un public de tout âge, et même d'un enfant coiffé d'un casque de mineur laissant transparaître un message d'avenir, ne suffit pas. Le 14 novembre 1983, Georges Valbon démissionne en ces termes : "Lorsque j'ai été nommé (...) il s'agissait de mettre en œuvre une politique charbonnière ambitieuse. D'autres orientations ont été dessinées ces derniers mois (...). Ces nouvelles orientations et les moyens réduits donnés à l'entreprise ne peuvent conduire qu'à la programmation du déclin de la production nationale, à la fermeture de puits (...) à la diminution des emplois de mineurs, à l'aggravation de la situation économique des bassins"