Douarnenez autrefois

12 mars 1974
09m 24s
Réf. 00732

Notice

Résumé :

Extrait de "Marin pêcheur à Douarnenez" de Raoul Girardet et Luc Favory. Le passé de Douarnenez raconté par ses habitants, journaliste, écrivain, marins et femmes de marins.

Type de média :
Date de diffusion :
12 mars 1974

Éclairage

Les changements qui caractérisent les années 70 imposent à la cité sardinière de Douanenez un retour sur le destin de ses femmes, femmes des usines et femmes des marins.

Les usines de conserverie de sardines se sont installées à Douarnenez dès le milieu du XIXème siècle. La plus ancienne, Chancerelle, fut fondée en 1853. C'est alors que débute une intense vie industrielle dans les conserveries, qui connait son apogée vers 1880. Une vingtaine d'usines voient le jour sur le port de Douarnenez. Cette activité en fait la capitale européenne de la conserverie de poisson. Embauchant des milliers d'ouvriers, les conserveries se nourrissent non seulement d'une immigration rurale mais aussi du travail des femmes. C'est dès 12 ans que les filles de Douarnenez débutent dans les conserveries, et travaillent la sardine sous le regard des contremaîtresses.

On peut attribuer un rôle de pionnier à la cité sardinière dans l'émergence de la participation active des femmes dans la vie démocratique. La grande épopée des conserveries fut en effet marquée par l'action collective féminine. Dès 1905, une crise sardinière déclenche le premier mouvement social ouvrier de Douarnenez. Demandant d'être payées à l'heure, les ouvrières se soulèvent pour obtenir la conquête d'une dignité. Tandis que le socialisme demeure marginal en Bretagne dans les années 20, le grand port ouvrier de Douarnenez devient une ville communiste dès 1921, avec l'élection de Sébastien Velly, premier maire communiste de France. Il sera remplacé en 1924 par Daniel Le Flanchec, maire jusqu'à 1940.

C'est en novembre 1924 que la révolte et les espérances des Penn Sardines bénéficient à nouveau d'un retentissement national. Symbole de tradition, la coiffe des femmes, portée pour maintenir bien tiré les cheveux des ouvrières dans le respect des normes d'hygiène des usines, devient l'emblème des luttes sociales. Le mouvement des Penn Sardines nait de la volonté d'apporter une amélioration aux conditions de vie des ouvrières, avec l'obtention du salaire à un franc par jour. Les ouvrières de l'usine Carnaud déclenchent la grève, bientôt rejointes par l'ensemble des conserveries de la ville et soutenues par le maire communiste Daniel Le Flanchec. Les manifestations dans les rues de Douarnenez font face à un patronat intransigeant qui ne cède sous la pression que début janvier 1925. Parmi les diverses répercussions attribuées au mouvement social, on peut retenir l'élection de Joséphine Pencalet (1886-1972) au conseil municipal auprès de Daniel Le Flanchec en 1925. La responsable syndicale fut l'une des dix premières femmes élues en France. Dépourvues de droit de vote, les femmes ne pouvaient pas encore être élues à cette époque, Joséphine Pencalet n'exerça donc jamais ses fonctions.

À cette époque, Douarnenez n'est pas uniquement un centre industriel, c'est aussi un important port de pêche. On compte 5000 marins à Douarnenez au début du XXème siècle, pour faire face aux besoins des conserveries. Ce sont 5 000 tonnes de sardines que l'on voit débarquer dans le port dans une année normale à la fin du XIXème siècle. La pêche connaît de fortes variations au cours du XXème siècle et les crises sardinières imposent la diversification de l'activité avec le développement de la pêche au maquereau, à la palangre, mais surtout la pêche hauturière. En 1938, Douarnenez est devenu le troisième port thonier de France, ce qui marquera pour longtemps la ville de la culture des marins-pêcheurs. C'est par exemple l'importance du matriarcat qui apparaît à travers la partition traditionnelle des rôles féminin et masculin de ces foyers de marins-pêcheurs.

Toutefois, à partir des années 30, les usines ferment tour à tour leurs portes. Le déclin progressif de l'activité industrielle au cours du XXème siècle ne permet qu'à trois d'entre elles de se maintenir. L'activité se montre vieillissante et en 1962, près de 40% des femmes d'usine ont plus de 55 ans. De nos jours, 800 salariés assurent encore le maintien de l'activité des conserveries, désormais déconnectée du port de Douarnenez, le poisson provenant uniquement de l'étranger. Fière de ce parcours social et industriel, Douarnenez se présente aujourd'hui comme la capitale du patrimoine maritime breton.

Pauline Jehannin - CERHIO – Université de Rennes 2

Bibliographie :

LEBOULANGER, Jean-Michel, Douarnenez, histoire d'une ville, Plomelin, éditions Palantines, 2002.

Pauline Jehannin

Transcription

Journaliste
Alors, Le Flanchec, on chantait des hymnes à sa gloire.
Inconnu
Ah oui, on chantait sur les airs de cantique, c'est Le Flanchec.
Inconnu 2
"C'est Le Flanchec c'est notre maire, c'est Le Flanchec c'est notre roi", sur l'air du cantique "Nous voulions mon dieu, c'est notre père".
Inconnu
A oui, tout ça, avec un peu d'Internationale.
Inconnu 2
D'ailleurs, ce n'est pas Le Flanchec qui a été le premier maire communiste, c'est Velly.
Inconnu
Le Flanchec est devenu maire, maire de Douarnenez, et il a dû sa popularité au fait qu'à ce moment s'est déclenchée une très grande grève dans la ville.
Inconnu 2
Tout de suite après son élection.
Inconnu
Les ouvrières et les ouvriers des usines de Douarnenez se sont mis en grève pour demander une augmentation de salaire. Les ouvrières étaient payées 0 franc 80 de l'heure, elles demandaient 1 franc de l'heure. Les usiniers ont refusé pour, disait-ils, ne pas donner un avantage aux communistes qui étaient à la mairie, ils ne voulaient pas donc, comme ils disaient, donner une prime à la subversion en quelque sorte. Alors, de ce fait, la grève a duré depuis la fin du mois de novembre 1924, jusqu'au début du mois de janvier 1925, et ça a quand même beaucoup agité toute la Bretagne et même ça a eu des répercussions.
Inconnu 2
A l'Assemblée nationale !
Inconnu
Il y a eu des débats à l'Assemblée et la presse nationale s'occupait de cette histoire. En fin de compte les usiniers ont dû capituler au début de janvier 25 et accorder ce que leurs ouvrières et leurs ouvriers leur demandaient.
Journaliste
Combien d'heures par jour ils travaillaient ?
Inconnu
Oh la, la ! Ils peuvent travailler jusqu'à 20 heures par jour, parfois.
(Musique)
Journaliste
A quel âge vous avez commencé ?
Madame Drevillon
Ma foi, c'était pendant la guerre de 14, seulement j'étais jeune fille alors quoi.
Journaliste
Vous avez commencé à quel âge ?
Madame Drevillon
Vers les 14 ans.
Journaliste
14 ans.
Madame Drevillon
Oui.
Journaliste
Combien d'heures par jour vous travailliez ?
Madame Drevillon
Des heures, c'est-à-dire, quand il y avait du poisson, on travaille toute la journée, quand il n'y avait pas, eh bien... On travaille des fois la nuit aussi quoi, quand il y avait du boulot.
Journaliste
On venait vous chercher ?
Madame Drevillon
Non, on travaille à Camaret.
Journaliste
Alors vous étiez obligés d'aller à Camaret ?
Madame Drevillon
Oui, on allait à Camaret et on passait les 8 jours à Camaret.
Journaliste
Vous étiez obligée de rester là-bas pour travailler ?
Madame Drevillon
Oui, puisque, c'était trop loin pour revenir à la maison tous les jours, ça fait qu'on avait notre lit là-bas puis, il y avait une maison de l'usine alors, qui était pour nous quoi, il n'y avait que les filles d'usine dedans.
Journaliste
C'était dur ?
Madame Drevillon
Ma foi, oui.
Journaliste
A quelle heure vous commenciez le matin ?
Madame Drevillon
Ça dépend, quand il y avait du travail, on commençait vers les 8 heures par-là, 7 heures et demie des fois même.
Journaliste
Vous vous souvenez, combien vous gagniez ?
Madame Drevillon
Oh, à ce moment là, quand on touchait, je sais pas 15 francs, ce n'est pas 1500, 15 francs la semaine.
Journaliste
15 francs.
Madame Drevillon
On était fière de revenir à la maison, ah oui.
Journaliste
Et vous pouviez réclamer plus ?
Madame Drevillon
Je ne crois pas.
Journaliste
Il n'y avait pas de grève ?
Madame Drevillon
Oh non, à ce moment là, on ne connaissait pas les grèves.
Journaliste
L'imagerie traditionnelle ne réserve à la femme qu'un rôle muet, celui d'une longue attente. C'est à elles cependant qu'est toujours revenue la tâche d'apporter une large part du revenu familial, autour d'elles que s'organise la permanence de la vie sociale. Qu'est-ce que vous faisiez vous comme travail, madame Senechal ?
Madame Senechal
Je gardais les vaches.
(Musique)
Journaliste
Qu'est-ce que vous faisiez vous, Madame Drevillon, comme travail ?
Madame Drevillon
Je travaillais dans les champs.
Journaliste
Ah, vous travailliez dans les champs ?
Madame Drevillon
Oui.
Journaliste
Vous ne vous occupiez pas des filets ?
Madame Drevillon
Oh non.
Journaliste
Qui est-ce qui s'occupait des filets ? Parce qu'on m'avait dit que c'était la femme du marin qui s'occupait du filet ?
Madame Drevillon
Oui, lui, il rangeait ses filets tout seul.
Journaliste
Ah bon. Monsieur Senechal, on dit que, en Bretagne, c'est la femme qui commande à la maison, c'est vrai ?
Monsieur Senechal
Ah, c'est vrai. La femme commande la maison et nous on commande dehors, le bateau.
Journaliste
On dit que la femme, c'est la patronne ?
Monsieur Senechal
Ah, oui, on n'est jamais à la maison.
Journaliste
C'est vrai ça Madame Senechal ?
Monsieur Senechal
Oui.
Journaliste
Alors c'est vous qui faisiez tout à la maison, les comptes, tout ?
Madame Senechal
Les comptes, ce qu'il y a à faire, oui.
Journaliste
L'argent, c'est vous qui vous en occupiez ?
Madame Senechal
Oui.
Journaliste
Monsieur Senechal, il ne s'en occupait pas ?
Madame Senechal
Oui, il envoie à la maison, c'est moi qui ramasse.
Journaliste
Et vous faisiez ce que vous vouliez ?
Madame Senechal
Oui.
Monsieur Senechal
C'est la vérité.
Madame Drevillon
C'est pareil aussi.
Journaliste
Vous avez construit une maison, vous Monsieur et Madame Drevillon ?
Madame Drevillon
Oui.
Journaliste
C'est vous Madame Drevillon, qui avez décidé ?
Madame Drevillon
Oui.
Monsieur Drevillon
On était peut-être d'accord.
Journaliste
Oui, vous étiez d'accord, bien sûr.
Inconnue
Qu'est-ce que vous voulez que le mari, quand il est parti pour 3 semaines, ce n'est pas lui qui va tenir la bourse, il est obligé de donner son argent tout de suite quand il rentre à sa femme, et la femme dispose de ce qu'elle veut.
Journaliste
Et même quand il est là, il continue cet... ?
Inconnue
Oh, oui, tout le temps, il ne s'en occupe pas, il s'en occupe pour les gagner, mais pour les dépenser, non.
Journaliste
Mais quand le marin était à terre, il venait à la maison ou il restait avec ses amis sur le port, comment ça se passait ?
Inconnue
Oh, il venait à la maison.
Journaliste
Je veux dire, il n'était pas tout le temps avec vous ?
Inconnue
Ah, non sûrement, il était obligé de partager sa vie dans le bateau, si vous voulez, quand il était dans le bateau, il n'était pas avec moi.
Journaliste
Et ça, vous trouvez que c'était normal ?
Inconnue
Oui.
Journaliste
Vous trouvez qu'une vie comme ça c'est normal, de vivre avec, disons quelqu'un qui... ?
Inconnue
Ils ont choisi leur métier.
Journaliste
Madame Drevillon, quand vous avez rencontré votre mari, vous avez pensé que vous aviez épousé un marin et que vous allez avoir une vie assez difficile ?
Madame Drevillon
Oui.
Journaliste
Avec des risques, et vous l'avez épousé quand même ?
Madame Drevillon
Oui.
Journaliste
Pourquoi ?
Madame Drevillon
Parce que, il y avait que ça.
Inconnue
A ce moment-là, il n'y avait que des pêcheurs non plus, qu'est-ce que vous voulez qu'on aurait épousé autrement ?
Journaliste
Quand vous vous êtes mariés, vous avez fait une fête ?
Monsieur Drevillon
Oui.
Journaliste
Vous vous souvenez ?
Madame Drevillon
Oui, bien sûr.
Journaliste
Comment ça s'est passé ?
Monsieur Drevillon
Bien quoi.
Journaliste
Vous ne vous souvenez pas ?
Monsieur Drevillon
Oh, je ne me rappelle pas très bien, parce qu'on a dormi plusieurs fois depuis.
(Musique)