Sports et loisirs : pratiques et représentations sociales de l’espace littoral héraultais

Sports et loisirs : pratiques et représentations sociales de l’espace littoral héraultais

Par Christian Guiraud, Professeur honoraire, agrégé d’EPS, docteur en sociologiePublication : 21 déc. 2022, Mis à jour : 03 avr. 2023

# Introduction

La présentation d’un parcours sur la thématique des sports et des loisirs se heurte à l’évolution du sens donné, au cours du temps, à ces deux concepts. Bertrand Piraudeau en relève la difficulté : La notion de sport est aujourd’hui polysémique et les pratiques sportives, les loisirs sportifs, le tourisme sportif… s’entremêlent dans un jeu d’observation et d’analyse complexe [Réf. 6qbl5cx49] . En effet, les loisirs peuvent inclure tout à la fois des activités sportives dont l’objet est la performance et des activités physiques orientées vers le jeu, source de délassement. Il importe donc de situer les pratiques citées dans le contexte de leur évolution en intégrant les espaces géographiques utilisés, les usages culturels et leurs enjeux socio- économiques.

     

# La plage en tant qu’espace social

Au cours du premier tiers du XIXe siècle, le bord de mer est essentiellement fréquenté par les pêcheurs qui y ont construit des cabanes. Le cadastre en indique l’emplacement à l’embouchure du Lez à Palavas, ou de l’Orb à Valras. Les archives de cette période témoignent de la difficulté d’accès au rivage, en raison des obstacles naturels et de l’absence de chemins praticables. 

En 1827, Jean-Marie Amelin [Réf. sfhee9k1g] note la présence de baigneurs à Palavas : la plage est commode, on commence à y prendre des bains de mer ». Il est possible de s’y rendre, à partir de Montpellier, par un bac sur le Lez. Il faut attendre 1851 pour qu’un accès routier soit réalisé entre Montpellier et Palavas-les-Flots et 1854 pour qu’il en soit de même entre la ville de Béziers et la plage de Valras. Les moyens de transport de l’époque sont des voitures hippotractées. À  Agde, c’est par le bac du fleuve Hérault que l’on peut rejoindre le Grau d’Agde. Ces différentes modalités d’accès favorisent le développement de la mode des bains de mer qui se diffuse auprès de la population citadine. En 1872, une voie de chemin de fer, dite la « Ligne du Petit Train », ouvre les plages de Palavas aux Montpelliérains. En 1879, un service de tramway hippomobile relie Béziers à celle de Valras, il sera remplacé par un tramway électrique en 1901. L’engouement pour le grand air, les bains de mer et l’héliothérapie est conforté par un discours médical qui en souligne l’intérêt sanitaire. Le bord de mer devient ainsi un espace de loisir ouvert à la proche population citadine et, dans une moindre mesure, à celle des campagnes environnantes. 

En 1936, les lois instaurant les congés payés (deux semaines, soit douze jours et deux week-ends) et la mise en place de la semaine de 40 heures, permettent aux salariés d’obtenir un temps pour soi [Réf. o51y9oeyh] soutenu par l’octroi de billets de congés payés à tarif réduit [Réf. kic5qubdm]. L’intention politique est d’offrir l’occasion de se cultiver ou d’aller au grand air [Réf. t3dt1lf9l]. Sur le littoral, les terrains de camping [Réf. uy6fv3dqm] se multiplient sous l'impulsion des municipalités et d’associations ouvrières, afin de rendre plus accessibles les lieux de vacances aux budgets modestes.

# Le littoral, les jeux traditionnels et leur spectacle

Parmi les jeux traditionnels de la zone littorale on relève la course camarguaise. Dans une première phase (jusqu’au milieu du XXe siècle), une variété de jeux taurins s’adresse aux populations des villages de petite Camargue, autour de Lunel. Ces jeux sont ouverts à tous, à la fois acteurs et spectateurs. Cette situation perdure encore dans les fêtes votives pour un certain nombre de jeux : abrivados, encierros, toros-piscine... ouverts à la  jeunesse.

La progressive codification de la « course libre » devenue discipline sportive ou « course camarguaise » à partir des années 1960, instaure un spectacle sportif réservé à des professionnels. D’où la construction d’arènes en dur, qui deviennent des équipements communaux au même titre que le stade de football ou la halle de sports. On découvre vite que ces arènes sont utilisables pour une grande variété de manifestations, depuis les bals de fête votive jusqu’aux concerts de rock. La plupart des communes littorales se dotent de ce type d’équipement, depuis La Grande-Motte jusqu’à Portiragnes, en passant par Frontignan ou le Cap d’Agde. Les spectacles taurins s’étendent ainsi hors de leur zone initiale, dans la mesure où les touristes y voient une manifestation de la culture locale. 

Autre fleuron traditionnel du littoral, les joutes nautiques dont l’image collective est centrée sur la ville de Sète, à la fois du fait de la renommée très particulière de la Saint-Louis, le 25 août, et du nombre de sociétés de joutes dans cette ville. Cette fête est pour Sète l’équivalent de la Feria de Pentecôte à Nîmes. Elle marque de son emblème la naissance de ce port au XVIIe siècle. Contrairement à la course camarguaise qui multiplie les courses tout au long d’une saison longue (mai-octobre) dans un grand nombre d’arènes, les joutes restent concentrées sur le pourtour du bassin de Thau, avec de rares extensions à Agde, Palavas et le Grau-du-Roi. Elles n’ont pas « pris »  dans les stations balnéaires où elles pourraient techniquement être installées : la cause est peut-être à chercher dans le profil des jouteurs, qui sont amateurs et recrutés dans les activités portuaires ou de pêche professionnelle. Aujourd’hui, le spectacle des joutes constitue une attraction touristique de premier plan.

D’autres activités traditionnelles se pérennisent dans le cadre des fêtes locales à l’exemple de la traversée du port à la nage au cours de la Saint-Louis à Sète ou du capelet, dit « course à la bigue »[Réf. c3kx96trb], principalement situés à Marseillan et Mèze. Si ces activités accompagnent les pratiques festives, c’est qu’elles ont forgé des liens entre les communautés villageoises en participant à la construction de leur identité culturelle et sociale. Ces jeux d’hommes, dont l’essence était le défi porté à l’autre ou à soi-même, ont progressivement acquis un statut de spectacle sportif prisé par les habitants et les touristes.

Ce n’est qu’à l’issue de plusieurs mesures sociales que la voie est ouverte à de nouvelles pratiques corporelles. L’impulsion issue des changements politiques de 1958 et le souci de créer les conditions d’une pratique sportive de masse changent les représentations politico-sociales. De nouveaux besoins sociaux sont pris en compte et sont soutenus par la logique du progrès social et individuel. Les travaux scientifiques s’accordent pour relever l’importance de l’institution scolaire dans l’accès de la jeunesse à la pratique sportive, avec ou sans compétition. La mise en place d’une « éducation physique et sportive » (EPS) et le développement de l’action des fédérations sportives accompagnent l’évolution des mentalités. De nouveaux espaces sportifs sont construits en milieu urbain, et l’intérêt porté aux activités dites de plein air, devient croissant, car elles sont l’image d’une meilleure respiration sociale. [Réf. 6d3ofbemu] 

# Un changement environnemental et social

Dans la continuité de l’action politique décrite ci-dessus, le littoral devient, dans le cadre du développement économique et touristique, un espace principalement consacré aux activités récréatives (Mission Racine 1963-1983). L’aménagement du milieu naturel, par des boisements en bordure de mer, le creusement de certains étangs, la réalisation de ports de plaisance et l’aménagement des canaux ont induit de nouvelles activités. Les achats du Conservatoire du littoral créé en 1975, puis la loi littoral promulguée en 1986, l’ont protégé d’une urbanisation trop agressive. Le tourisme et ses aménagements (habitat, hôtels, restaurants, ports, plages, espaces d’activités sportives et socioculturelles) ont favorisé une fréquentation quasi-permanente des plages sableuses,  espaces appropriés par les citadins locaux, qui s’affichent de plus en plus dépendants des usages touristiques. 

Les activités du loisir estival ont été développées par l’action des saisonniers ou plagistes, loueurs d’embarcations, de jeux et animateurs de diverses activités (trampolines, mini-golfs, activités physiques adaptées ou d’entretien, etc.). Une étude [Réf. bab9wukv2] réalisée par l’auteur en 1978 témoigne de leur densité et de la qualification progressive de l’encadrement. En effet, les pouvoirs publics ont mis en place, à partir des années 1960-1970, des formations permettant le contrôle de la qualité pédagogique de ces intervenants tout en veillant à une meilleure sécurité des usagers.

L’évolution du matériel sportif a également modifié les comportements. Il en est ainsi des activités nautiques dont la multiplication marque les mobilités corporelles littorales. Au cours des années 1970, outre les clubs de plage, de nombreuses écoles de voile facilitent cette diffusion. En 1978, le windsurf ou planche à voile déferle sur les plages. La navigation de plaisance a précédé ce développement dès l’ouverture des ports aux voiliers et bateaux motorisés. Les ports de plaisance de La Grande-Motte et du Cap d’Agde ont été construits dans le cadre de la Mission Racine. Le premier est inauguré en 1967 et le second en 1970. Ces deux ports représentent, aujourd’hui, l’un des plus importants regroupements de yachts à moteur ou à voile au niveau européen (un total de 5600 anneaux d’amarrage) [Réf. xkj1ny06q]. Il s’agit d’un élément essentiel de l’économie locale en raison du nombre d’entreprises implantées sur la zone technique portuaire et des retombées sur les services locaux, dont l’hôtellerie. De nombreux professionnels et des associations participent à l’animation de l’ensemble des activités liées à la mer (pêche, parachute ascensionnel, plongée sous-marine, promenades en mer, kitesurf, etc.).

Ces années sont également marquées par la professionnalisation d’activités sportives dont l’éthique s’ancrait dans la pureté du bénévolat et du simple plaisir d’agir. Le développement du spectacle sportif participe de cette évolution. L’exemple du tennis situe l’importance de cette rupture, voire d’un changement d’éthique parfois déroutant. 

Au bord de l’étang du Ponant, le golf, porteur d’une image élitiste par ses codes d’usage et son investissement technique, complète un ensemble d’activités qui s’offre à toute la hiérarchie des catégories sociales. En outre, ce golf public, intégré dans un vaste parc d’activités de loisir, est tout d’abord une extraordinaire image d’appel de l’économie immobilière. Le tennis et ses infrastructures participent également à cet enjeu économique. Toutefois cette ouverture au grand public a ses limites, car pour chaque activité sportive, le déterminant essentiel, outre son coût, est bien celui de son adéquation à un mode de vie.

Les usages des infrastructures nautiques (ports, bases de voile) sont également à prendre en compte dans le cadre d’une évolution de l’habitat, des voies de communication et du développement du temps de loisir, inducteurs de la dynamique touristique. Cette dernière ne peut se concevoir sans l’évolution économique qu’elle implique. Si l’on parle d’accueil, il faut envisager des lieux susceptibles de répondre à une demande, voire à inciter une consommation inductrice du désir d’y séjourner ! On songe bien évidemment à l’hébergement, mais aussi aux activités et productions locales dont l’aspect attractif constitue un facteur de développement essentiel. Le spectacle du sport de haute compétition, sur l’eau ou sur terre, participe largement à la modernité d’une station touristique.

Aujourd’hui de nombreux sports s’adaptent à la surface sableuse. Les plages sont conquises par des activités sportives qui adaptent leurs règles et techniques aux compétitions sur le sable. Il en est ainsi du football, du handball et même du rugby... À l’inverse, le volley-ball aurait d’abord été implanté, dès 1924, sur la plage de Palavas-les-Flots. En effet, c’est sur le sable que les premiers volleyeurs du département de l’Hérault adoptent ce nouveau sport importé des collèges de l’YMCA, organisation protestante américaine [Réf. cc4167p0b].

A l’instar du Beach-volley, le vaste champ de la compétition sportive et/ou des pratiques d’entretien du corps adapte son organisation à la demande sociale. Il en est de même pour les activités liées au bien-être qui font de la nature un lieu d’épanouissement. La marche à pied sur le sable ou dans l’eau, dite longe-côte, attire régulièrement de nouveaux pratiquants, entre jeu et perfectionnement physique. La vague offre la possibilité de surfer le long du rivage et d’explorer de nouvelles sensations de domination de la nature. On innove encore avec le wakeboard, tracté par un hors-bord, qui permet de glisser sur la vague. Les pratiques nautiques avec moteur se diversifient et exigent la mise en œuvre de nouvelles réglementations. Le kayak de mer offre un complément d’usage à l’esquif utilisé sur le cours de l’Hérault ou de l’Orb en passant de l’habileté requise, dans le passage de rapides tumultueux, à l’effort d’endurance des parcours maritimes. Enfin, les canaux, autrefois fréquentés par les péniches, deviennent l’espace idéal de l’aviron et du tourisme fluvial.

# Une recherche de bien-être et de développement personnel

Le désir de bien-être, qui est l’essence même du temps de loisir, passe également par les soins du corps dans le cadre de la thalassothérapie et des établissements spécialisés. Ces derniers se sont multipliés, au fil du temps, le long de la côte et autour de l’Étang de Thau. C’est une évolution de la manière de se penser, d’être soi-même. C’est une des caractéristiques de la société moderne. Mais, le temps du loisir est aussi celui de la rencontre et de l’échange. Il est peut-être plus bref, moins pérenne que par le passé, mais il ménage des temps indispensables à la vie sociale. Il peut se dérouler tout au long de l’année, tout en étant favorisé par le temps des vacances estivales.

Le patrimoine maritime constitue un des exemples de cette vie sociale. Les représentations du progrès, qui étaient à la source de l’engagement social et de la construction des repères de vie, laissent la place à une forme de retour à des valeurs du passé. Des associations militent pour la conservation d’une mémoire des usages marins et la transforme en spectacle festif, à l’image d'Escale à Sète qui met en scène des anciens voiliers et les savoir-faire qui les accompagnent (chants de manœuvres, techniques des cordages et voiles, etc.). L’action des associations de sauvegarde des barques traditionnelles méditerranéennes, en particulier leur recherche des techniques utilisées par les anciens charpentiers de marine, mérite d’être citée en illustration de leur sens existentiel. 

# Conclusion

Le sable, le soleil, la mer, le vent sont la toile de fond des pratiques physiques de sport et de loisir. Leur harmonie est inductrice de rêves. Pourquoi ne pas pérenniser cet univers de couleurs, d’attitudes et de gestes qui construisent tant d’identités ? Les paysages du littoral, des bords de l’eau, des dunes, des eaux portuaires ou de marais et d’étangs, ancrent les pratiques dans un rapport entre l’individu, le groupe et les lieux de vie, dans tout ce qui meuble le monde des émotions et de la mémoire. L’unité se dévoile lorsque le bleu du ciel et celui de la mer se rejoignent sur la palette du peintre pour ré-enchanter la lumière et les couleurs. Alors accordons à ces pratiques de sport et de loisir, associant les eaux et les terres, souvent éloignées des logiques économiques du moment, la capacité à transfigurer les identités territoriales auxquelles elles se rattachent.

# Bibliographie

  • Jean-Marie Amelin, Guide du voyageur dans le département de l’Hérault, Paris et Montpellier, Gabon éditeur, 1827. 
  • Serge Berstein, La France des années 30, Paris, Armand Colin, 1993.
  • Alain Corbin, L’avènement des loisirs, 1850-1960, Paris, Flammarion, 1995, 
  • Christian Guiraud, « Du naturisme à l’écologie humaine : les sports de nature dans l’histoire », In : Cent ans de sport dans l’Hérault, Études Héraultaises, Montpellier, 2010, pp. 265-284.
  • Christian Guiraud, Enquête sur les centres nautiques et les écoles de voile, Direction départementale de la Jeunesse et des sports de l’Hérault, 1978.
    Guy Laurans, Jacques Shaw, « Le volley-ball », in : Cent ans de sport dans l’Hérault, Études Héraultaises, Montpellier, 2010, pp. 237- 245.
  • Bertrand Piraudeau, « Analyse géographique sur les sports de plage au prisme des transformations et tendances en cours. Essai de synthèse ». Revue STAPS, De Boeck Supérieur, Bruxelles, 2019-2, pp. 23-42.

# Notes de bas de page