Les boues rouges : la défense de l'environnement ou la préservation des emplois
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L'usine Alteo fait vivre depuis 50 ans des centaines de famille à Gardanne, raison pour laquelle le préfet a autorisé la poursuite des rejets de métaux toxiques en mer, pourtant très nuisibles à la vie marine. Au sommet de l'État, le Premier ministre Manuel Valls, favorable à Alteo, s'oppose à la ministre de l'Environnement Ségolène Royal, fortement opposée aux émissions polluantes de l'entreprise.
Date de diffusion :
30 janv. 2016
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Contexte historique
ParDocteur en Histoire contemporaine, Post-doctorant à Aix-Marseille Université
La question des boues rouges rejetées en mer par l’usine Alteo de Gardanne anime le débat public et suscite la polémique depuis plusieurs décennies, y compris au plus haut niveau de l’État dans un contexte de préoccupation croissante pour la protection de l’environnement.
Plus que centenaire, l’usine de Gardanne a vu le jour en 1894 dans le but de produire une poudre blanche, appelée alumine, qui permet ensuite par électrolyse de fabriquer de l’aluminium, en s’appuyant sur les capacités d’hydroélectricité (ou « houille blanche ») des Alpes françaises. L’alumine est obtenue par le procédé Bayer en dissolvant à l’aide de soude concentrée une pierre rouge, la bauxite, préalablement broyée. Il reste alors divers résidus auxquels l’oxyde de fer donne une teinte rouge, et ils sont nombreux car le traitement d’une tonne de bauxite produit cinq cent kilos de déchets, soit la moitié. Propriété de la société française Péchiney de 1921 à 2003, la plus vieille usine de fabrication d’alumine au monde encore en activité passe ensuite au canadien Alcan (racheté par l’anglo-australien Rio Tinto), le tout étant revendu en 2012 à un fonds d’investissement américain. La société prend alors le nom d’Alteo avec siège à Gardanne et est aujourd’hui spécialisée dans les alumines de spécialité à forte valeur ajoutée que l’on retrouve par exemple dans les batteries des véhicules ou les écrans des smartphones.
Au XIXe siècle la localisation d’une usine résulte de la proximité des ressources naturelles. L’usine est ainsi implantée près d’une source de combustible nécessaire en grande quantité à la fabrication de l’alumine, en l’occurrence le charbon ou lignite extrait du bassin minier de Gardanne. L’autre ressource naturelle indispensable, la bauxite, arrive par voie ferroviaire au pied de l’usine via la ligne de chemin de fer de Carnoules à Gardanne. Nommée en référence au village des Baux-de-Provence dans les Alpilles près duquel le chimiste Pierre Berthier l’a découverte par hasard en 1821, la bauxite est en effet extraite du bassin de Brignoles, principal gisement français (et du monde) situé dans le centre Var. A la fin des années 1960, la mise en service du terminal minéralier de Fos-sur-Mer permet son importation par bateau d’Australie, puis de Guinée, mais l’acheminement vers l’usine continue à s’effectuer par train.
Historiquement stockés à proximité de l’usine de Gardanne, en particulier dans la décharge de Mange-Garri à Bouc-Bel-Air, les déchets issus du traitement de la bauxite sont (en raison du manque de place) déversés à partir de 1966, pour plus des trois-quarts, dans la profonde fosse de Cassidaigne située à sept kilomètres au large de Cassis. L’exploitant Péchiney a pour cela fait construire une canalisation sous-terraine puis sous-marine de plus de cinquante kilomètres.
En vertu de la Convention de Barcelone, adoptée en 1976 pour prévenir et réduire la pollution marine en Méditerranée mais pour laquelle la France avait obtenu une dérogation pour les rejets de l’usine de Gardanne, et sous la pression d’élus de Cassis, la ministre de l’Environnement Corinne Lepage fixe en 1996 l’arrêt des rejets en mer au 31 décembre 2015. L’industriel dispose donc de deux décennies pour dépolluer son processus de production. En septembre 2014, à un peu plus d’un an de l’échéance, la ministre de l’Environnement Ségolène Royal reçoit les responsables d’Alteo et se prononce dans la foulée pour « zéro rejet d’arsenic et de métaux lourds en Méditerranée ». La création, en 2012, du parc naturel national des calanques rend en effet encore plus intolérable qu’auparavant la pollution des eaux et les atteintes à la biodiversité, même s’il faut rappeler qu’à partir du début du XIXe siècle la partie terrestre de ces mêmes calanques a constitué un lieu de relégation (loin de Marseille) d’industries polluantes comme celles de la soude ou du plomb.
Fin décembre 2015, pour préserver les emplois locaux (quatre cents directs et trois cents indirects), le Premier ministre Manuel Valls ordonne pourtant au préfet de région (et des Bouches-du-Rhône) d’accorder à l’industriel l’autorisation de continuer à rejeter en mer pendant six ans supplémentaires des « effluents aqueux » résultant de la production d’alumine. Le 30 janvier 2016, un collectif d’associations vient exprimer à Marseille devant la préfecture sa « colère rouge » face à ce coup de force du Premier ministre, et le militant écologiste José Bové déclare « Monsieur Valls est hors-la-loi, il fait des choses contre la logique de la constitution » (la décision relevait des prérogatives de la ministre de l’Environnement), tout en ajoutant « Ségolène, tu as les moyens d’agir, tu peux faire en sorte qu’on arrête de polluer les calanques ». De son côté la société Alteo plaide sa bonne foi en expliquant qu’elle dispose depuis 2014 de filtres-presses opérationnels permettant de séparer déchets solides (stockés à terre à Mange-Garri et rebaptisés bauxaline) et effluents liquides qui seuls sont désormais rejetés en mer.
Les pêcheurs constatent toutefois au quotidien que ces effluents continuent de provoquer de sévères atteintes au milieu marin, puisqu’il s’agit chaque jour de 97 kilos de fer et 11 kilos d’arsenic, auxquels il faut ajouter 2 880 tonnes d’aluminium par an. Certains scientifiques pointent aussi le fait que les quantités autorisées par la décision ministérielle s’avèrent largement dérogatoires au regard des normes internationales en vigueur. Dernier problème de taille comment valoriser à long terme la bauxaline lorsque l’on sait qu’en 2015 la production de 500 000 tonnes d’alumine en a généré plus de 300 000 tonnes ?
Bibliographie
- Bernard Barraqué, « Les boues rouges de l’usine Péchiney-Alteo de Gardanne : de l’inertie à la toxicité du rejet… et du dossier », Revue juridique de l’environnement, n° 2, 2017, p. 273-292.
- Xavier Daumalin, Stéphane Kronenberger et Olivier Raveux (dir.), Marseille/Provence, Rivages des produits du monde, Marseille, Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 2013.
- Xavier Daumalin et Isabelle Laffont-Schwob (dir.), Les Calanques industrielles de Marseille et leurs pollutions : Une histoire au présent/Pollution of Marseille's Industrial Calanques : The impact of the Past on the Present, Aix-en-Provence, REF.2C Editions, 2016.
- Philippe Mioche, L'alumine à Gardanne de 1893 à nos jours. Une traversée industrielle en Provence, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1994.
Transcription
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