Allocution du 30 novembre 1965

30 novembre 1965
14m 20s
Réf. 00249

Notice

Résumé :

Par cette allocution télévisée, le général de Gaulle intervient pour la seconde fois pour présenter aux Français sa candidature à sa propre succession à la présidence de la République. Il n'intervient que deux fois au cours de la campagne du premier tour, alors que ses concurrents ont tous largement utilisé les deux heures hebdomadaires d'antenne autorisées, depuis le début de la campagne électorale le 19 novembre.

Type de média :
Date de diffusion :
30 novembre 1965
Type de parole :

Éclairage

Le 19 novembre 1965 débute la campagne officielle pour l'élection présidentielle qui doit se dérouler les 5 et 19 décembre 1965, première élection au suffrage universel du Chef de l'Etat en France depuis 1848. Cinq candidats se présentent contre le général de Gaulle qui a attendu le début du mois de novembre pour faire connaître sa candidature à sa propre succession, manière pour lui de marquer sa différence avec ses adversaires dont les trois principaux, François Mitterrand, Jean Lecanuet et Jean-Louis Tixier-Vignancour ont été désignés par les forces politiques traditionnelles.

Cette même volonté de se distinguer des hommes de parti pour se présenter comme "l'homme du pays" explique qu'il dédaigne de conduire une campagne à l'image de ses concurrents, négligeant la possibilité accordée à tous les candidats de se faire entendre durant deux heures par semaine sur les ondes de la radio et de la télévision. Il se contentera pour sa part de deux brèves allocutions. La première est diffusée le 30 novembre, soit cinq jours avant le premier tour et dure moins d'un quart d'heure.

Durant celui-ci, il va se présenter comme l'exacte antithèse de ses concurrents. Représentant la nation tout entière, ayant pour seul souci de servir l'intérêt général, il dénonce ces derniers comme des hommes de partis dont les contradictions conduiraient la France à la confusion et au déclin. Se considérant comme l'interprète de ce qui est commun et essentiel à la nation, il évoque son rôle durant la guerre, les réformes accomplies à la Libération et l'oeuvre réalisée depuis son retour au pouvoir et la fondation de la Vème République, soulignant qu'à chaque fois il a dû remédier aux faiblesses et aux erreurs des partis.

Brossant le tableau de ce qui reste à accomplir, il demande aux Français un mandat pour consolider le pouvoir présidentiel, assurer la prospérité de tous dans la stabilité de la monnaie et l'équilibre du budget, maintenir les alliances sans accepter la subordination, doter la France d'un armement nucléaire de dissuasion, développer la recherche et la science, achever l'édifice européen par l'entrée de l'agriculture dans le Marché commun et le passage à une union politique préservant la souveraineté de la France.

Serge Berstein

Transcription

(Silence)
(Musique)
Charles de Gaulle
Françaises, Français, dimanche prochain, en élisant le chef de l'Etat, vous aurez à désigner le Français que vous estimez en conscience le plus digne et le plus capable de représenter la France et de garantir son destin. Car c'est de cela qu'il s'agit. Le Président de la République ne saurait être en effet confondu avec aucune fraction. Il doit appartenir à la Nation toute entière. Exprimer et servir le seul intérêt général. C'est à ce titre et c'est à cause de cela que je demande votre confiance. Cinq oppositions vous présentent cinq candidats. Vous les avez tous entendus. Vous les avez tous reconnus. Leurs voix dénigrantes sur tous les sujets, leurs promesses distribuées à toutes les catégories, leurs appels à l'effacement international de la France, ce sont les voix, les promesses, les appels des anciens partis tendant, quoi qu'ils puissent prétendre, à retrouver le régime d'antan. Aussi le seul point sur lequel s'accordent leurs passions, c'est mon départ. Mais ce n'est pas assez car leurs contradictions mutuelles, leurs clientèles inconciliables, leurs engagements dans tous les sens montrent à l'évidence que l'accession de l'un quelconque d'entre-eux au poste suprême marquerait infailliblement le retour à l'odieuse confusion où se traînait naguère l'Etat pour le malheur de la France. Or ces jeux-là nous ont coûté assez cher pour que nous ayons appris que dans le monde difficile et dangereux où nous vivons, rien de valable ne peut être accompli sans l'adhésion profonde de la Nation à ce qui lui est commun et essentiel. Eh bien, vous le savez, c'est cela que les événements m'ont amené à représenter à travers toutes les tempêtes et par-dessus tous les intérêts, et c'est au nom de cela que vous m'avez donné votre appui. Pour quoi faire ? Pendant la guerre, après le désastre où le régime des partis avait conduit notre pays divisé par eux et privé par eux des armes nécessaires, la Résistance qui aboutit à la victoire, lors de la Libération, un ensemble sans précédent de réformes, comme par exemple la sécurité sociale, les allocations familiales, les nationalisations, les comités d'entreprises, le statut du fermage, le droit de vote aux femmes, etc. Réformes qui en nous évitant de très graves bouleversements remplacèrent le mauvais système du laisser-faire, laisser-passer, réformes auxquelles, après mon départ, le régime des partis se débattant dans l'impuissance n'a rien ajouté. Et puis, depuis sept ans, après son effondrement, devant l'abîme de la guerre civile, et devant l'imminence de la faillite économique et monétaire, Commença la marche en avant par l'adoption d'institutions stables et efficaces, la coopération remplaçant la colonisation, le développement planifié, au profit de tous les Français, de notre économie, de notre équipement, de notre enseignement de nos capacités scientifiques et techniques, bref, l'impulsion dans tous les champs d'action ouverts à nos forces vives, au dehors par une politique d'indépendance et d'équilibre, l'action menée partout en faveur de la paix, notamment en Asie où sévit une absurde guerre, l'effort entrepris pour recoudre notre continent déchiré, d'une part en poursuivant l'organisation de l'Europe occidentale, et d'autre part en nouant avec les pays de l'Est des rapports multipliés, la présence, l'influence, la culture française s'affermissant dans toutes les parties de la Terre. Est-ce parfait, est-ce complet ? Bien sûr que non ! Puisqu'il s'agit d'une oeuvre humaine. Mais cette oeuvre-là, qui s'appelle le salut et puis le début de la rénovation peut bien être décriée par les champions de la décadence. Elle n'en est pas moins évidente, et reconnue du monde entier. Cependant, il faut qu'elle se développe et s'élargisse davantage encore. Oui, la République nouvelle veut que le peuple lui donne, demain, plus tard, et toujours, une tête qui en soit une. Et que l'homme ainsi mandaté pour répondre du destin, notamment dans les jours graves, porte lui-même ses responsabilités. Oui, la République nouvelle veut que notre pays continue d'avancer dans la prospérité suivant ce que prévoit la loi du plan, de telle sorte que les revenus de tous les Français s'accroissent avec le produit national, sur la base d'une économie concurrente avec celle de tous les autres, d'une monnaie inébranlable et de budget équilibré. Oui la France nouvelle, comme la République nouvelle, veulent que tout en restant allié de nos alliés, et amis de nos amis, elles ne pratiquent plus cette subordination à l'égard de l'un d'eux, qui serait indigne d'elle. Et qui pourrait automatiquement, dans certains cas, les jeter dans un conflit qu'elle n'aurait pas voulu. Oui, la République nouvelle veut doter la France d'un armement nucléaire, parce que quatre autres Etats en ont un, parce que tout le monde sachant qu'elle ne menace personne, il se trouve qu'un pareil instrument revêt pour sa défense un caractère de dissuasion incomparable par rapport au système d'autrefois, parce qu'il ne nous coûte pas plus cher et qu'il nous a permis de diminuer de moitié la durée du service militaire. Enfin, parce qu'à notre époque atomique, électronique, spatiale, nous ne devons pas priver la recherche, la science, la technique, l'industrie françaises de tout ce qu'elles peuvent tirer et de tout ce qu'elles tireront pour leurs progrès, pour leurs activités, de cette nécessaire entreprise. Oui, la République nouvelle qui a déployé pour l'union de l'Europe occidentale de grands et constants efforts en partie couronnés de succès, veut que l'édifice s'achève dans des conditions équitables et raisonnables, que l'agriculture française entre dans le marché commun effectivement, et sans que par la suite quelques commissions dites supranationales ou quelques votes à la majorité puissent remettre tout en cause, que si un jour il s'agit de bâtir une organisation politique des six, la France, par l'effet de cette même procédure, ne risque pas d'être entraînée sur notre continent dans une action dangereuse et qu'elle n'approuverait pas. Tout cela se fait de telle sorte que jamais ne soit étouffée aucune de nos libertés, cela se fait en conjuguant et non pas en opposant le courant du mouvement qui porte aux changements et aux réformes, et le courant de l'ordre qui tient à la tradition et à la règle. Cela se fait grâce aux appels que j'ai maintes fois adressés franchement et directement à chacune et à chacun de vous. Dimanche, ce sera le cas, puisqu'il va dépendre de vous toutes et de vous tous que je poursuive ou non ma mission. Le 5 décembre, si vous le voulez, la République nouvelle sera définitivement établie. Alors elle prendra le départ pour une autre étape, d'autant plus ardente et féconde. Il s'agit que pendant le temps où je resterai à sa tête, elle redouble son effort, national et mondial. Qu'après moi, elle demeure, normalement et suivant sa ligne. Enfin qu'au long de l'avenir, elle procure à notre pays ce qu'elle lui assure aujourd'hui, l'indépendance, le progrès, la paix. Françaises, Français, continuons la France ! Vive la République, vive la France !
Présentatrice
Vous venez d'assister à une émission de la campagne pour l'élection du président de la République.