Voyage en URSS

20 juin 1966
41m 50s
Réf. 00258

Notice

Résumé :

Du 20 juin au 1er juillet 1966, le général de Gaulle accomplit un voyage officiel en URSS. Le voyage débute à Moscou, se poursuit en Sibérie, puis passe par Léningrad (Saint-Pétersbourg), Kiev et Volgograd. Le général de Gaulle prononce des discours lors de ses apparitions publiques.

Type de média :
Date de diffusion :
01 juillet 1966
Date d'événement :
20 juin 1966

Éclairage

Du 20 juin au 1er juillet 1966, le général de Gaulle réalise un spectaculaire voyage à travers l'URSS. Poursuivant son effort d'indépendance nationale, cette visite officielle marque la volonté de la France d'intensifier sa politique d'ouverture à l'Est, tout en restant l'alliée des Occidentaux. Accompagné de son épouse, de son fils Philippe, et de Maurice Couve de Murville, le ministre des Affaires étrangères, le président français parcourt des milliers de kilomètres, prononce plus de trente déclarations publiques et s'entretient sans relâche avec les dirigeants soviétiques de chacune des régions visitées. Partout, l'accueil est amical et chaleureux.

Le documentaire - en couleur - retrace l'itinéraire complet du général de Gaulle à travers la Russie soviétique. À Moscou, du 20 au 22 juin, il rencontre Nikolaï Podgorny (président du Présidium du Soviet suprême), Alexis Kossyguine (président du Conseil des ministres) ou Andreï Gromyko (ministre des Affaires étrangères) et engage les premières conversations politiques. Plus tard, au balcon de la municipalité, il prononce une courte allocution qu'il achève par un message en russe - comme il le fera souvent au cours de son voyage. Le lendemain, c'est devant les étudiants de l'université de Moscou qu'il prend la parole. Là, il cite Mikhaïl Lomonossov, historien, astronome et linguiste russe du dix-huitième siècle, grand amoureux des sciences et qui fut le fondateur de l'université de Moscou.

Le 23 juin, le général de Gaulle s'envole pour Novossibirsk (en Sibérie). Et le 25, il se rend à Zvezdograd (" la cité des étoiles ") : il est le premier chef d'État occidental à assister au lancement d'un satellite, du cosmodrome de Baïkonour. Le 26 juin, à Leningrad, il participe à la cérémonie commémorant l'héroïque défense qu'opposèrent les soldats russes à l'armée hitlérienne, pendant la Deuxième Guerre mondiale. Le 28 juin, à Kiev, il dépose, avec son fils, une gerbe sur la tombe du Soldat inconnu. Plus tard dans la journée, à Volgograd, il prend part à la célébration pour la mémoire des victimes de la bataille de Stalingrad, sur la colline Mamaiev Kourgan, où est érigé un monument.

Du 29 au 1er juillet enfin, le général de Gaulle est de retour à Moscou, où le cycle des conversations politiques avec les dirigeants soviétiques s'achève, et où sont signés les déclarations communes et les accords d'échanges et de coopération. Le reportage s'achève sur la journée du 30 juin, où, après avoir assisté à des manoeuvres tactiques d'une unité militaire, il se rend à la réception organisée en son honneur, au Kremlin.

Le bilan de ce voyage en URSS est fructueux : la conclusion de multiples accords commerciaux, techniques et culturels ; la création d'une Commission chargée de suivre les problèmes posés par la coopération ; et enfin, l'acceptation par les dirigeants soviétiques d'instituer un " télétype rouge " reliant l'Élysée au Kremlin. Ainsi, le général de Gaulle signifie-t-il aux yeux du monde que les rapports entre l'URSS et la France ne sont pas placés sous la dépendance des Etats-Unis.

Aude Vassallo

Transcription

[Générique]
Commentateur
La Place Rouge, un matin comme un autre. Quelques uns des deux cent trente millions de soviétiques, devant le mausolée de Lénine, attendant patiemment de saluer le père de la révolution dans sa chapelle de granit. Le poète Nekrassov dirait que là le village est rangé au côté de la ville. Qu'ils viennent tous défiler comme pour une revue, comme pour dresser un bilan vivant de la vie de Lénine. Ils ont tous conscience qu'en ce jour de janvier 1924, quand s'étaient Vladimir Illitch Oulianov, une page de l'histoire de leur pays était tournée. Ses compagnons disaient alors de Lénine, qu'il n'y avait pas un seul homme au monde qui, comme lui, ait été la Révolution, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. La cathédrale de Basile le Bienheureux, c'est le passé. Les bulbes, les clochers de Saint Basile ont vu, il y a un siècle et demi, les drapeaux des armées de Napoléon sur les murailles du Kremlin. Les emblèmes de la France et de l'URSS, aujourd'hui, flottent côte à côte. A la sinusoïde de l'histoire, après la révolution, les guerres, la guerre froide, voici venir la prise de conscience d'une réalité européenne : la détente et la possibilité d'une entente. Ce voyage du Président de la République Française qui commence à l'aéroport de Vnoukovo va en être le constat. Les dirigeants soviétiques, monsieur Podgorny, Président du Praesidium, Chef de l'Etat, en tête, monsieur Gromyko, ministre des Affaires étrangères, monsieur Kossyguine, Président du Conseil des Ministres, ces dirigeants sont venus, ce 20 juin 1966, accueillir le Président français, définir dès ces premières minutes, le climat du voyage, qui constitue l'événement diplomatique de l'année. Il y a un an, monsieur Gromyko, en visite officielle à Paris, disait qu'un vent chaud avait commencé de souffler dans les relations entre la France et l'URSS, que les deux pays pouvaient faire beaucoup pour assurer la sécurité en Europe et dans d'autres régions du monde. Charles de Gaulle, lui, répétait ces dernières années : la France croit, depuis longtemps, qu'il peut venir un jour où une détente réelle et même une entente sincère permettront de changer complètement les rapports entre l'Est et l'Ouest. Charles de Gaulle entend montrer cela aujourd'hui en commençant son plus long séjour dans un Etat étranger. L'Union Soviétique le reçoit solennellement, l'accueille pour 11 jours.
Charles de Gaulle
Combien il est émouvant pour moi de retrouver, prospère, puissante, remplie d'ardeur pacifique, cette Russie, cette grande Russie que j'avais vue pendant le drame de naguère, tendue dans l'effort guerrier qui devait assurer sa victoire et pour une très large part celle de la France et de nos alliés.
Commentateur
Retrouver la Russie, le Général de Gaulle est en effet venu en URSS, il y a 22 ans, pendant l'hiver de 1944. Sa première remarque était alors, devant le défilé impeccable dont on l'honorait, baïonnette basse, torse bombé, pas martelés, c'est bien là l'éternelle armée russe. Seconde remarque pour le faste, l'hospitalité que le pays déployait pour le recevoir malgré les terribles plaies laissées par la guerre. Aujourd'hui, Moscou est l'une des trois capitales que visitera le Président de la République, avec Kiev, première capitale de Russie, Léningrad, capitale témoin de l'apparition de l'URSS. Oui, Moscou s'est préparée dans le calme et avec méthode à cette visite. De la ville qu'il a vue en 1944, après un long voyage en chemin de fer pour venir de Bakou, le Général de Gaulle ne reverra pas grand chose, tant elle a évolué. Un million de moscovites, peut-être plus, sont présents sur les 30 kilomètres d'artères qui mènent de Vnoukovo au Kremlin. Le séjour du Président de la République française va être jalonné de plusieurs marques de considération inhabituelles. Il y aura la visite au Cosmodrome de Baïkonour, le Général de Gaulle sera le premier Chef d'Etat étranger à assister à un lancement de fusée depuis cette base spatiale. Et il y a à Moscou le privilège de prendre la parole du balcon du Mossoviet, la municipalité de la capitale. Privilège, car depuis Lénine, personne ne s'est adressée à la foule de ce balcon.
Charles de Gaulle
[Inaudible] la municipalité de Moscou me donne l'occasion de m'adresser directement à quelques-uns des innombrables habitants de votre capitale. Je garderai un souvenir inoubliable de l'accueil qui m'a été fait ici ! [russe]
Commentateur
Le séjour va, bien entendu, comporter plusieurs séances d'entretiens politiques.
Charles de Gaulle
C'est l'occasion par excellence, non seulement de resserrer le rapport dans les domaines économique, culturel et scientifique dont dépend leur propre développement, mais encore d'échanger leurs vues, et je l'espère, de concerter leur action en vue d'aider à l'union et à la sécurité de notre continent ainsi qu'à l'équilibre, au progrès et à la paix du monde tout entier.
Commentateur
Les séances de travail alternent avec les fastes de la réception publique. Le Bolchoï, c'est le grand théâtre de Moscou qui peut abriter 2 200 personnes. Ce soir, on donne au Bolchoï, Roméo et Juliette.
(Musique)
Charles de Gaulle
Culture, science, progrès, voilà ce qui, à notre époque, au lieu des rêves de conquête et des dominations d'antan, appelle et justifie les ambitions nationales. Voilà sur quoi doivent se rencontrer les peuples du procès d'aujourd'hui, la civilisation moderne. Voilà dans quel but peut être scellée l'alliance nouvelle de la Russie et de la France !
Commentateur
L'université de Moscou où travaillent 32 000 étudiants et chercheurs.
Charles de Gaulle
Je suis très honoré d'être reçu par l'université de Moscou, l'une des plus grandes et des plus savantes du monde. Les travaux qui se poursuivent dans les innombrables salles, amphithéâtres, laboratoires de ce vaste ensemble m'impressionnent profondément. Je mesure la portée de l'oeuvre à laquelle se consacrent ici les professeurs et les étudiants. Et je constate que vous travaillez pour l'univers tout entier en appelant la jeunesse de votre pays au plus haut degré du savoir. Vous travaillez pour l'univers entier puisque son destin dépend de la pensée, des connaissances, et de l'expérience des hommes. A vrai dire, il y a longtemps que la Russie le fait, d'ailleurs Lomonossov, dont votre université porte le nom, en est un saisissant exemple. Lui qui fut célèbre comme physicien, chimiste, géologue, philosophe, poète et historien. Lui, qui en tant que linguiste, a codifié la langue russe comme jadis notre Vaugelas l'avait fait pour le français. Lui qui ainsi a donné à votre pays l'instrument indispensable de sa conscience nationale, dont se servirent les Pouchkine, les Gogol, les Tolstoï, les Dostoïevski, les Tchekov, et beaucoup d'autres illustres écrivains. Lui qui pendant ces séjours à Paris et Berlin prétendait, s'efforçait, tout comme à Moscou, de faire la synthèse de toutes les connaissances humaines, et de démontrer à l'Europe toute entière le caractère universel des vérités scientifiques.
Commentateur
Une fois évoqués les anciens qui ont rendu possible le présent, la première des visites hors de Moscou est pour une terre d'avenir, la Sibérie. La capitale sibérienne Novossibirsk n'a que 75 ans. Cité ouvrière lors de la construction du transsibérien, à la fin du siècle dernier, elle est devenue une ville en 10 ans, une métropole en un demi-siècle.
Charles de Gaulle
Elle compte, à ce jour, plus d'un million d'habitants. Si elle fait penser parfois à une ville de province qui a grandi très vite, c'est parce qu'elle était définie, il y a quelques décennies seulement, "un village au coeur du plus grand terrain vague du monde".
Commentateur
Tout près de Novossibirsk, bâtie en 10 ans, en pleine forêt, Akademgorod : c'est la petite ville des savants. Elle est née d'une idée toute simple : il n'y a pas de sciences sans élèves. Ici, chaque année, les olympiades de la science groupent les meilleurs élèves de l'Est du pays. Leurs champions restent à Akademgorod, se perfectionnent sous la direction de l'académicien Lavrentiev, mathématicien de réputation mondiale, qui fut assistant à la Sorbonne. Six mille cerveaux, parmi lesquels des stagiaires français, font ici progresser les sciences de l'avenir, dans un cadre unique au monde, conçu pour la réflexion. Cité de la matière grise, Akademgorod compte aujourd'hui 20 instituts de recherche. Le président de Gaulle se dit touché de l'accueil qui lui est réservé par ceux qui habitent cette ville, cette terre étrange et courageuse qu'est pour lui la Sibérie. Il cite à son propos Teilhard de Chardin : Sibérie, une terre où c'est pour savoir plutôt que pour avoir qu'on donnera sa vie. Développer le savoir, un facteur essentiel de progression.
Charles de Gaulle
La France, vous le savez, s'applique, elle aussi, à cette tâche capitale, comme elle l'a fait de tout temps. Elle aide ceux qui s'y consacrent et ceux qui cherchent à pénétrer les structures de l'univers, de la matière et de la vie. Aussi, considère-t-elle Akademgorod, non seulement avec intérêt, mais avec admiration. Et elle n'en souhaite que plus ardemment de voir ses mathématiciens, ses physiciens, ses chimistes, ses biologistes, ses anthropologues, ses économistes, ses philosophes, collaborer avec les vôtres. Puissent donc la science soviétique et la science française s'unir pour le progrès des hommes, tandis que la Russie et la France s'unissent pour la paix du monde.
(Musique)
Commentateur
Celle qui fut Petrograd, ville historique s'il en fut, ville où l'ennemi n'est jamais entré, ville qui a toujours été vivante. Impressionnante cité voulue par Pierre le Grand, enfantée par le fleuve sacré qu'est la Neva, le fleuve de la révolution, cher à tous les soviétiques, ville nouvelle révélée par Lénine. Léningrad est aussi la plus européenne des villes d'URSS. Elégante, brillante, consciente d'avoir légué hier quelque chose au monde, Léningrad, consciente de rester aujourd'hui et d'être encore demain, une ville toujours jeune. Symbole de la permanence et de la volonté russe, Petrodvorets, ancienne résidence des tsars sur les bords de l'immortelle Neva, qui avait vu disparaître les statues de ses jardins, parties alimenter les fonderies nazies. On a repeuplé les allées et les fontaines des mêmes bronzes, le Général de Gaulle cite ici Pouchkine, en russe : "Demeure toujours belle, demeure toujours cette ville de pierre, et soit inébranlable, comme la Russie elle-même".
(Applaudissements)
Commentateur
Léningrad, c'est encore dans l'histoire récente, la ville du grand siège, de la résistance victorieuse à l'envahisseur. Piskariovskoïe : 470 000 des 700 000 morts du siège le plus long.
(Musique)
Commentateur
Ils se sont battus 900 jours.
(Applaudissements)
Commentateur
En marge de l'accueil public, les entretiens politiques se poursuivent, le Général de Gaulle dit : Léningrad a joué son rôle de contact européen entre l'Est et l'Ouest, en France aujourd'hui nous sommes prêts à réaliser ces contacts. Au matin du dimanche 26 juin, le Président et madame de Gaulle assistent à la messe célébrée en l'église Notre Dame de Lourdes. Parenthèse industrielle, une visite d'usine d'appareillages électriques.
Inconnu
(Traduction) Les travailleurs de notre usine éprouvent des sentiments de haute estime vis-à-vis du peuple français. Pour nous, notre usine, c'est une usine de grandes turbines à vapeur, c'est une partie intégrale des génératrices. (Traduction) Permettez moi de vous montrer notre production. D'ailleurs vous avez pu déjà voir l'une des turbines, c'est la roue motrice de la turbine pour la centrale de [incompris], je vous prie de visiter l'usine.
Commentateur
La troisième des capitales du voyage, celle de l'Ukraine, l'une des 15 républiques de la fédération soviétique, dont la superficie et la population égalent à peu près celle de la France. Kiev est une ville jardin dont le site a toujours été occupé depuis des dizaines de milliers d'années. Au marché, des paysans que l'on dirait venus des nouvelles de Gogol ou d'une pièce de Tchekov. La ville, pendant la dernière guerre, a été occupée par les nazis pendant plus de deux années. 200.000 de ses habitants ont péri, 100.000 autres, déportés en Allemagne, ne revinrent jamais en Ukraine. Il y a 22 ans, Charles de Gaulle avait vu Stalingrad en ruines, on l'appelait alors la ville sans adresse. Plus de 80% de sa superficie bâtie était détruite. Dès la fin du conflit, les travailleurs qui avaient participé à la résistance, à la bataille qui marqua le renversement de la situation militaire sur le front de l'Est, ces travailleurs reconstruisaient leur ville. La centrale hydroélectrique que va visiter le Président de la République française est l'un des témoignages de leur effort, elle est la plus grande centrale d'Europe, en 1966.
Charles de Gaulle
Naturellement, je n'ai pas le temps de voir grand-chose, mais en somme vous m'avez bien expliqué la puissance, la production, la dimension de cette [inaudible] énorme, et j'ai eu l'honneur de voir le plus grand. Et puis merci, pour les poissons. Messieurs, dames, au revoir monsieur le directeur. Tous mes voeux les meilleurs pour vous, pour tout le personnel. Au revoir.
Commentateur
Témoignage encore, mais cette fois de la vaillance des défenseurs, la colline de Mameev Kurgan, l'un des centres de résistance de la grande lutte de 200 jours et 200 nuits, de la bataille où il y eut un mort au mètre carré. Présent, ce 28 juin 1966, à Volgograd, Voronov, aujourd'hui maréchal, en 1943, responsable de l'artillerie russe.
Charles de Gaulle
[inaudible] l'armée, puis l'artillerie des corps d'armée, puis l'artillerie des divisions, vous avez centralisé l'artillerie, et comment est-ce-que (...) [inaudible] et quand Rokossovsky est arrivé, et [Rotchenko] est arrivé par le sud, vous aviez leur artillerie ? Alors vous pris aussi dans leur système d'artillerie, l'artillerie des armées, [inaudible] plutôt technique,
Commentateur
Retour à Moscou, où avant de conclure politiquement le voyage, une matinée est consacrée à l'artillerie d'aujourd'hui. Le temps d'apporter le salut de l'unité à l'hôte d'honneur de l'URSS, le temps de passer un détachement de la garde en revue, et c'est bientôt l'heure de la déclaration commune et des accords qui couronnent la visite.
Charles de Gaulle
Dans le domaine pratique, nous venons de conclure d'importants accords afin que nos deux pays s'aident l'un l'autre, à devenir plus prospères et plus utiles aux autres. Mais aussi, nous avons voulu, solennellement, marquer et formuler dans une déclaration commune que nous voulions marcher vers des buts communs qui s'appellent : la détente, l'entente, la sécurité, et un jour l'union de l'Europe d'un bout à l'autre. Et d'autre part, l'équilibre, le progrès et la paix de l'univers tout entier.