Conférence de presse du 15 mai 1962 (questions européennes)
Notice
Cette conférence de presse est pour une grande part consacrée aux questions internationales et européennes. Elle est donnée au lendemain du rejet, le 17 avril, du "plan Fouchet" par les membres de la Communauté européenne, pour deux motifs principaux : l'absence de dimension supranationale et l'exclusion du Royaume-Uni. La conférence porte sur les thèmes de l'organisation politique de l'Europe des six, sur le problème de l'Allemagne, sur les rapports de la France et de l'OTAN, sur les problèmes Est-Ouest et la construction d'une force de frappe française, enfin sur les rapports avec l'Afrique Noire et du Nord. A propos de la CEE et du "Plan Fouchet", le Général explique pourquoi une Europe unie est nécessaire. Il rappelle que le Marché Commun existe déjà mais que l'Europe doit également avoir une existence politique, formulée dans le plan Fouchet. Le Général démonte les objections qui ont amené le rejet de ce plan. Sur la question de l'Allemagne, le Général explique pourquoi elle est l'enjeu capital entre les deux Grands. Il attaque l'URSS qui se sert de la situation de la ville de Berlin comme moyen de pression. Dans l'atmosphère internationale actuelle, le Général pense qu'une négociation sur l'Allemagne ne peut aboutir. Il insiste sur la nécessaire solidarité entre la France et l'Allemagne (RFA) dans le cadre de la construction européenne. A propos de l'OTAN, de Gaulle commence par affirmer que la France fait partie intégrante de l'Alliance atlantique. Mais selon lui, le problème de la défense de la France a changé. Il explique longuement pourquoi et comment il considère que le rôle de l'OTAN n'est plus le même. Sur la Conférence de Genève, à laquelle la France n'a pas participé, le Général explique que dans la mesure où les deux grands ne veulent pas arrêter la course aux armements, il n'est pas question pour la France de suspendre ses essais nucléaires. Sur l'Afrique, de Gaulle évoque la nouvelle Algérie, et plus largement l'Afrique, dont il souhaite le développement harmonieux, et qu'elle continue à entretenir d'étroits liens avec la France. Enfin, sur l'élection du président au Suffrage universel direct, le général de Gaulle explique avec humour que ce n'est pas encore le moment d'en parler.
- On trouve agréable de rêver à la lampe merveilleuse, vous savez, celle qu'il suffisait à Aladin de frotter pour voler au-dessus du réel.
- Dante, Goethe, Chateaubriand, appartiennent à toute l'Europe, dans la mesure même où ils étaient respectivement et éminement Italien, Allemand et Français. Ils n'auraient pas beaucoup servi l'Europe s'ils avaient été des apatrides, et qu'ils avaient pensé et écrit en quelque esperanto ou Volapük intégré.
- Le problème allemand est certainement le plus brûlant du monde.
- Ce qui est a redouter, ce n'est pas le vide politique, c'est plutôt le trop plein.
- Je n'ai, dans aucune de mes déclarations parlé de "l'Europe des patries"
- L'Angleterre, en tant que grand Etat et que nation fidèle à elle même, ne consentirait jamais à se dissoudre dans quelque utopique construction.
- La France inspire sa politique, autant que possible, de sens pratique et, tranchons le mot, de modestie.
- Un fait immense qui tient en suspens le destin de chaque peuple et de chaque individu. Il s'agit, bien sûr, du fait atomique.
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Éclairage
Intervenant un peu plus d'un mois après le référendum du 8 avril 1962 qui a ratifié les Accords d'Evian à plus de 90% des suffrages, apportant ainsi un éclatant soutien au général de Gaulle qui a réussi à résoudre un conflit apparemment insoluble, la conférence de presse du 15 mai 1962 indique que la page est tournée et que de Gaulle a désormais les mains libres pour mener la grande politique planétaire qui constitue son objectif. Le remplacement le 14 avril du Premier ministre Michel Debré dont le Général estime la tâche accomplie avec la fin de la guerre d'Algérie par Georges Pompidou, inconnu du public, mais collaborateur du Général est un autre signe qu'une nouvelle période vient de s'ouvrir. Aussi cette conférence de presse est-elle consacrée à la politique étrangère. Elle s'ouvre toutefois sous de mauvais auspices. Dans les semaines qui précèdent, le projet français d'union politique de l'Europe autour des Etats souverains prévu par le "Plan Fouchet" a été rejeté par les Belges et les Néerlandais, au motif de l'absence de l'Angleterre et du fait que le projet proposé excluait toute idée de supranationalité.
Après avoir, dans son propos liminaire, décrit la politique de la France dans le monde autour de trois thèmes : la rupture des liens coloniaux, la construction de l'Europe et la mise en place d'une force militaite indépendante, il répond à une question sur le plan Fouchet en brossant le tableau d'une union européenne fondée sur la coopération entre Etats souverains dans les domaines de la politique, de la défense et de la culture, brocardant durement la supranationalité et ironisant sur une Europe s'exprimant en quelque "espéranto" ou "volapük" intégrés (ce qui provoquera la démission des ministres MRP). Quant aux oppositions au "Plan Fouchet", il montre leurs contradictions et soupçonne l'entreprise supranationale de ne viser rien d'autre qu'une Europe impuissante fédérée par les Etats-Unis. En ce qui concerne le sort de l'Allemagne, située au coeur de l'affrontement Est-Ouest, il dénonce le chantage soviétique sur Berlin et annonce le refus de la France de participer à des conversations sur le statut de l'Allemagne qui ne pourraient qu'aboutir à un recul des Occidentaux, affirmant sa solidarité avec la République fédérale. Interrogé sur la volonté française d'une réforme de l'OTAN, de Gaulle affirme que la situation internationale a profondément changé depuis la création de celle-ci et que la France entend adapter sa participation à la situation nouvelle. Concernant la non-participation de la France à la conférence de Genève réunie pour envisager la limitation des armements atomiques, il la juge vouée à l'échec, d'autant que la France n'acceptera pas un arrêt des expériences nucléaires qui la laisserait dépourvue d'un arsenal atomique que les autres puissances nucléaires conserveraient. En revanche, il s'associerait volontiers à une destruction généralisée des armes nucléaires. Enfin, il souhaite aider les pays africains à s'organiser pour vivre en paix et se développer économiquement.
C'est bien l'ensemble de sa doctrine de politique étrangère que de Gaulle expose dans sa conférence de presse du 15 mai 1962, refusant de se prononcer sur un éventuel projet de révision constitutionnelle