Oberthur

27 décembre 1983
05m 19s
Réf. 00738

Notice

Résumé :

A Rennes, l'imprimerie Oberthur connaît ses derniers jours. Un projet de restructuration est en réflexion au Comité inter-ministériel de restructuration industrielle (CIRI). Il est question de faire éclater Oberthur en trois unités : l'édition, l'impression et le fiduciaire. Ce changement entraînerait le licenciement de plus de deux cents salariés qui ne cachent pas leur inquiétude.

Date de diffusion :
27 décembre 1983
Source :

Éclairage

En 1983, après 150 ans d'activité, l'imprimerie Oberthür de Rennes n'est plus qu'une « vieille entreprise ».

Bien connue pour ses calendriers des postes, Oberthür était jusqu'à cette date l'une des plus importantes imprimeries en France. Par un parcours sur site de la rue de Paris, le reportage nous introduit dans les ateliers construits un siècle auparavant, par les architectes Martenot et Jobbé-Duval. C'est dans ce cadre que l'entreprise a connu son essor, en particulier dans l'après-guerre, employant alors jusqu'à 1200 personnes. À partir des années 70, l'imprimerie rennaise se trouve toutefois en bien mauvaise passe. Au cours de cette période, elle affronte plusieurs crises dues à des difficultés financières, pour finalement se trouver en dépôt de bilan en 1981. Suite à la liquidation en 1983, un projet de restructuration, modelé par le Comité Interministériel de Restructuration Industrielle (CIRI), prépare la reprise en main de l'imprimerie par trois sociétés, annonçant par ailleurs de forts dommages sociaux au sein de l'entreprise. Sur les 765 employés de 1983, 200 à 230 sont menacés de licenciement. Les employés se montrent donc préoccupés du sort que leur réserve cette restructuration. L'action syndicale s'organise et la CGT occupera l'imprimerie jusqu'à la fin de l'année 1983.

Ce que l'on retient surtout, c'est l'écroulement d'une grande « maison », qui a formé elle-même ses employés durant plusieurs générations. Suite aux licenciements, les ouvriers spécialisés dans l'imprimerie de l'unique entreprise du secteur en Bretagne se voient confrontés à la perspective du chômage. Le reportage annonce également la décision du CIRI programmant l'éclatement de l'imprimerie. À travers cette restructuration, la renommée de l'imprimerie Oberthür se maintient, chacune des trois sociétés créées en 1984 ayant pris le parti de conserver le nom de famille de l'imprimeur. Toutes trois héritières d'une longue histoire et d'un savoir-faire reconnu, elles maintiennent par ailleurs leur ancrage territorial rennais.

Pauline Jehannin - CERHIO – Université de Rennes 2

Pauline Jehannin

Transcription

Présentateur
Cette restructuration d'Oberthur, c'est l'oeuvre du CIRI, le comité interministériel de restructuration industrielle. De la vieille imprimerie, il a fait 3 entreprises. Les repreneurs d'Oberthur, ce sont 2 français et 1 américain. Oller prend les éditions, Lopez rachète l'impression et l'American Bank Note récupère le fiduciaire. C'est peut-être la solution de l'avenir sur le plan économique mais sur le plan social, elle coûte cher, 200 à 230 licenciements. Jeanne Roth.
Jeanne Roth
1842, un alsacien venu se marier à Rennes, François Charles Oberthur, fonde l'imprimerie de la rue de Paris. Jusqu'en 29, ce sera une entreprise de type familial. A cette date, ses descendants font appel aux banques pour développer l'imprimerie qu'ils dirigeront jusqu'en 64, année où ils céderont la majorité de leur part à la Banque de l'Union Parisienne. En 69, cette banque apporte l'ensemble de ses actions Oberthur à la Néogravure, c'est le commencement de la fin, le groupe dépose son bilan 5 ans plus tard. Il entraînera dans sa chute, la vieille maison rennaise, l'unité Oberthur a une créance de 20 millions de francs. A ce moment-là, les salariés de l'entreprise diront qu'ils ont été les vaches à lait de la première entreprise française d'imprimerie, conséquence : aucun investissement n'a pu être fait, or, ces années 70 sont des années charnières dans l'évolution technologique de l'imprimerie. Un montage industriel et financier permettra toutefois la réorganisation d'Oberthur et un nouveau départ. En 3 ans et demi, l'imprimerie apurera le plan de redressement, mais elle ne réussira pas à investir suffisamment et en 81, tout est de nouveau remis en cause. A ce manque d'investissement disent les salariés, se sont juxtaposées une mauvaise gestion et une volonté politique de voire disparaître l'imprimerie française. En mars, elle dépose son bilan, depuis elle était en sursis et demain elle n'existera plus sous sa forme juridique actuelle. Elle doit éclater en 3 unités, les terrains de la rue de Paris seront vendus, les bâtiments vraisemblablement rasés.
(Bruits)
Jeanne Roth
Quand on a passé 39 ans de sa vie dans une usine, à raison de 8 heures par jour, qu'est-ce qu'on ressent quand on sait qu'elle va fermer, qu'est-ce qui se passe dans la tête de quelqu'un ?
Pierre Boutinon
On a beaucoup de tristesse, parce que, quand on a 39 ans de sa vie dans une maison, c'est un petit peu la sienne.
Francis Messe
On en arrive à une situation, où véritablement les gens ne savent plus où ils vont. On est licencié, c'est d'accord, on doit être payé, c'est d'accord, on ne travaille notre préavis, c'est d'accord, on n'a encore pas fait le bazar, on n'a pas fait d'exaction. Mais je pense qu'à un certain stade il faudra être réaliste, des cas sociaux vont se présenter à l'échelle de l'ientreprise Oberthur. On a eu, à une certaine époque, 1300 personnes, on en a réduit jusqu'à 750. Bon, maintenant à 750, on a besoin d'avoir un conseil ou quelque chose de crédible autour de nous, je pense que les pouvoirs politiques peuvent prendre une décision.
Jeanne Roth
Depuis deux mois pour les 765 salariés rescapés des différentes crises et aujourd'hui collectivement licenciés, c'est l'incertitude. Jour après jour, on a discuté de l'évolution ou de la non-évolution de la situation, de la stratégie à mener au niveau de l'intersyndicale. Totalement opposée au démantèlement de l'entreprise il y a quelques mois encore, la CGT accepte aujourd'hui le scénario du CIRI à condition qu'il y ait des garanties écrites. Cette restructuration, quoi qu'il en soit, ne se fera pas sans casse, 200 à 230 personnes au moins ne seront pas réembauchées dans les 3 sociétés issues d'Oberthur.
(Bruits)
Jeanne Roth
Vous avez une formation professionnelle ?
Annick Pairier
Non, sur le tas, c'est une formation maison.
Jeanne Roth
Et au niveau du reclassement, qu'est-ce que... vous avez des possibilités, vous avez envisagé quelque chose ?
Annick Pairier
Ben... on envisage, pour l'instant rien parce que dans le secteur de Bretagne, au point de vue imprimerie, il n'y a rien, alors, on va se voir recycler certainement vers autre chose.
Jeanne Roth
Et vous êtes prête, par exemple, à bouger si on vous donne des assurances de reclassement ailleurs qu'en Bretagne ?
Annick Pairier
Ah oui, j'irai là où je trouverai du travail.
Jeanne Roth
Sans problème ?
Annick Pairier
Oui.
Jeanne Roth
Est-ce que ce chômage qui va venir très bientôt, est-ce que ça peut avoir des conséquences sur votre ménage, sur votre vie familiale ?
Jean-Pierre Chaplais
Personnellement pour moi, oui, parce que je n'accepterai pas d'être au chômage et je n'accepterai surtout pas, c'est que ma femme travaille pour moi. Même qu'elle accepte, qu'elle me dise, ne t'inquiète pas, il y a un salaire au moins qui rentre. Ce que je n'admettrai pas c'est que c'est ma femme qui travaille, c'est à moi de travailler, pas à ma femme.
Jeanne Roth
En quelques heures, en fin de semaine dernière, les discussions qui traînaient depuis deux mois se sont précipitées. Au CIRI, on estime qu'il n'y a plus maintenant de problème Oberthur, l'International Bank Note reprend le fiduciaire, Oller l'édition, Lopez l'impression. Les salariés, eux, pensent qu'on n'a toujours pas avancé et que ces propositions manquent de sérieux. Ils ont décidé d'occuper l'imprimerie dès jeudi.
(Bruits)
Pierre Boutinon
Je pense qu'on va avoir droit à la préretraite mais ce n'est pas encore vraiment acquis, puisque on n'a pas encore été contacté, pour le moment, mais juste contacté par le chômage.
Jeanne Roth
C'est quant même un beau cadeau de Noël ?
Pierre Boutinon
Oui.
Jeanne Roth
Dans la situation actuelle ?
Pierre Boutinon
Dans la situation actuelle, disons que c'est un cadeau de Noël, mais je pense que j'aurai préféré un autre cadeau que celui là.
Jeanne Roth
Est-ce que vous avez l'intention d'aller jusqu'au au bout, de lutter jusqu'au bout ?
Annick Pairier
Oui, certainement.
Jeanne Roth
Ça veut dire quoi ?
Annick Pairier
Pour l'ensemble de l'entreprise.
Jeanne Roth
Vous vous battez pour quoi, pour une solution globale ou individuelle ?
Annick Pairier
Pour une solution globale.
Jeanne Roth
Qu'est-ce que vous allez faire le 2 janvier ?
Pierre Guedeul
Le 2 janvier ?
Jeanne Roth
Vous allez venir ici ?
Pierre Guedeul
Je n'ai pas encore réfléchi à ça.