Les rumeurs de drogue à l'école
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La rumeur de décalcomanies imprégnées de LSD circulant dans les écoles revient épisodiquement. Relayée par des tracts anonymes qui s'inspirent de campagnes officielles, cette rumeur trompe professeurs et parents, qui s'empressent de faire circuler l'information sous le coup de l'émotion. Le ministère de la Santé a dû officiellement intervenir : aucun cas d'intoxication n'a été recensé.
Date de diffusion :
19 nov. 1991
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Contexte historique
ParDocteur en Histoire contemporaine, Post-doctorant à Aix-Marseille Université
Publication : 17 nov. 2023
En novembre 1991, une rumeur mensongère parcourt depuis plusieurs jours la région marseillaise et la Corse laissant à penser que des décalcomanies, tatouages éphémères à se mettre sur la peau, seraient imprégnées de LSD et pourraient s’avérer dangereux pour la santé des enfants, qui viendraient à les lécher ou à se les appliquer sur la peau. Cette fausse information est colportée par un tract anonyme adressé aux parents et les mettant en garde contre le danger que court leur progéniture. Cette feuille, photocopie de photocopie aux caractères devenus de moins en moins lisibles à la suite des reproductions successives, se diffuse en passant rapidement de mains en mains. De nombreux parents s’inquiètent et une certaine psychose s’installe dans les écoles, car les enseignants, eux-mêmes, ne savent pas toujours de quelle manière réagir face à ce qui peut leur apparaître, par méconnaissance, comme une potentielle mise en danger de la vie de leurs élèves. D’aucuns d’entre eux contribuent même à propager la rumeur en informant les parents de l’existence de ce tract voire en leur distribuant.
Des démentis sur le caractère totalement infondé de l’information sont diffusés à de multiples reprises par la police, par la presse écrite et télévisuelle, ou par les pouvoirs publics, via notamment des communiqués du ministère de l’Éducation nationale ou de celui de la Santé. Aucun cas d’empoisonnement au LSD n’a jamais été constaté chez des enfants et il n’existe pas de dose mortelle de LSD connue chez l’Homme. La substance ne peut par d'ailleurs pas pénétrer dans l’organisme par voie cutanée. Mais ces démentis demeurent en partie inaudibles et la rumeur enfle. Dans le doute, des personnes, souvent bien intentionnées, photocopient ce tract pour prévenir leur entourage familial et amical ou l’école du quartier du risque encouru par les plus jeunes. Pour tenter de faire cesser la diffusion malsaine de cette fausse information, les autorités en viennent même à agiter la menace de poursuites pénales à l’encontre des personnes qui continueraient à diffuser ce tract. Mais rien n’y fait, et cette puissante rumeur réapparaîtra épisodiquement ailleurs au cours de la décennies 1990 voire au-delà.
La période de diffusion de cette rumeur coïncide en France avec une large couverture médiatique des affaires liées à la drogue, qu’il s’agisse d’overdoses d’héroïne ou de saisies de cocaïne, ce qui ne peut que contribuer à donner du crédit à cette fausse information. En outre, les comportements traditionnellement jugés les plus graves par les Français, dans les sondages, sont la vente de drogue et l’exploitation des enfants, deux éléments que l’on retrouve associés dans cette fausse information.
Cette rumeur est aussi tenace car elle trouve son origine plus d’une décennie auparavant aux États-Unis, d’où elle s’est progressivement diffusée vers d’autres espaces. En 1980, la police d’État du New Jersey saisit un stock de buvards imbibés de LSD et comportant des têtes de Mickey, manière d’indiquer la provenance de ces doses. Elle rédige alors une note d’information comportant le passage suivant : attention les enfants sont susceptibles de prendre ce type de dessins imprimés pour un tatouage
. Le LSD est en effet le plus souvent consommé, soit en léchant des buvards, soit en ingérant de petits comprimés. Quelques années plus tard, en 1986-1987, toujours aux États-Unis commence à se diffuser un tract mensonger alertant les parents sur le fait que des tatouages, sous forme de décalcomanies, peuvent être imprégnés de LSD et par conséquent dangereux pour les enfants. En 1987, ce tract complotiste est traduit en langue française lorsqu’il passe la frontière américaine en direction du Québec. De là il franchit l’Atlantique et se retrouve en avril 1988 à Nice où le quotidien Nice Matin le qualifie de canular
. Mais dès mai la rumeur commence à dépasser la région azuréenne, se diffusant, via le bouche à oreille et/ou le tract, dans le Sud et le Nord du pays ainsi qu’en Outre-mer. De la France métropolitaine, cette fausse information gagne ensuite comme une traînée de poudre plusieurs États européens, francophones ou non, tels la Belgique, la Suisse, la République fédérale d’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, l’Espagne ou la Grèce.
Bibliographie
Philippe Aldrin, Sociologie politique des rumeurs, Paris, Presses Universitaires de France, 2005.
Pascal Froissart, La rumeur. Histoire et fantasmes, Paris, Belin, 2010.
Jean-Bruno Renard, « Les décalcomanies au LSD », Communications, n° 52, 1990, p. 11-50.
Denis Richard, Jean-Louis Senon, Dictionnaire des drogues, des toxicomanies et des dépendances, Paris, Larousse, 1999.
Transcription
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