Fin de la grève des mineurs de Villerupt

Ce reportage en noir et blanc nous plonge dans la ville industrielle de Villerupt au nord de la Meurthe-et-Moselle, à la frontière luxembourgeoise. Ce 5 novembre 1961 la télévision régionale française filme la remontée au jour des 75 mineurs qui occupaient le fond de la mine d’Aubrives depuis le 17 octobre. Ils étaient en grève pour protester contre les licenciements de 28 d’entre eux. La direction avait justifié cette mesure par la fermeture d’un haut-fourneau de l’usine d’Aubrives propriétaire de la mine.

Depuis la fin des années 50, les mines de fer de Lorraine souffrent de surproduction. Entre 1956 et 1960, le rendement a augmenté de 29 %. Le gouvernement active le plan dit « de modernisation des mines de fer ». Ce sera le coup d’envoi de la fermeture progressive des 56 puits lorrains jusqu’à l’extinction finale avec la dernière remontée des mineurs de la mine des Terres Rouges à Audun-le-Tiche le 27 juillet 1997.

Mais ce 5 novembre 1961 les mineurs d’Aubrives savourent leur victoire. La direction suspend son plan de licenciements. La caméra les accompagne vers la lumière du jour avec un long travelling. Les familles, la population, les camarades de travail et les élus locaux les accueillent en héros. Les scènes sont touchantes. Les femmes et les enfants embrassent leurs maris et pères casqués, arborant des visages fatigués et mangés de barbe. Parmi les personnalités, nous reconnaissons en imperméable blanc Albert Balducci le charismatique dirigeant CGT de la corporation minière.

Ce reportage muet a été tourné sans preneur de son sur le terrain. La pratique était courante dans les années 60 et 70. Les sujets étaient souvent commentés en direct par le présentateur ou en « voix off ». Pour compenser l’absence de commentaire, les techniciens de l’INA ont aujourd’hui ajouté le son du reportage radio réalisé pour la même actualité. Ainsi réagissent en interviews téléphoniques, Armand Sacconi le maire de Villerupt, un délégué mineur ainsi qu’une femme. Cette dernière exprime la satisfaction des épouses de retrouver enfin leurs hommes après 18 jours d’absence. Enfin, selon les témoins de l’époque, les mineurs seraient sortis au son de la Marseillaise.

Mais les dirigeants de la CGT-mineurs ne sont pas dupes. Cette grève est selon ce propos rapporté par l’enseignant-militant Jacques Jeandin dans son livre : Trieux, 79 jours au fond pour la Lorraine, le premier fruit amer d’une politique tournée exclusivement vers le profit patronal. À considérer qu’une politique d’exploitation de type colonial de la matière première était appliquée à la Lorraine du fer, il n’y a qu’un pas que certains n’hésitent pas à franchir. A l’époque, 40 % du minerai de fer lorrain était vendu brut à l’exportation. A l’Allemagne principalement. Pays qui aura une toute autre politique de diversification industrielle…

Ce 5 novembre est donc une victoire en trompe-l’œil car ces salariés feront l’objet de reclassement dans d’autres mines de fer. Ce qui signifie que le programme de suppressions de postes à la mine d’Aubrives sera appliqué, prémisses de la disparition à terme des 25 000 mineurs de fer lorrains. Au fil des fermetures de puits, les gueules jaunes seront en toute dernière extrémité reclassés dans les usines sidérurgiques. Des situations souvent mal vécues car il s’agit de professions et de cultures différentes. Un antagonisme historique existait entre sidérurgistes et mineurs mais aussi entre Italiens et Polonais d’origine. Baru, auteur de bande dessinée et Villeruptien d’origine évoque cette sourde rivalité dans l’album La piscine de Micheville où les différents se réglaient de façon virile sur les terrains de foot.

La minette Lorraine va peu à peu céder la place dans les hauts-fourneaux aux minerais mauritanien, brésilien, canadien et suédois plus riches en teneur de fer et plus rentables car nécessitant moitié moins de coke à la fonte.

L’occupation du fond de la mine va devenir un acte de résistance récurrent et à haute valeur symbolique dans les mines menacées de fermeture. La plus emblématique restera dans l’histoire ouvrière celle de Trieux en 1963. Les mineurs occupèrent le fonds pendant 79 jours ! Il reste de cette histoire, outre des vestiges, les témoignages des anciens, la fête du sous-sol lorrain chaque 1^er mai et le fameux « chant des mineurs » écrit au fond de la mine. Un chant qui perdure chez les plus jeunes, souvent descendants de ces ouvriers du fer et qui entendent préserver en héritage cet ultime bien qui subsiste lorsque l’on vous a tout retiré : la dignité.

• Jean-Thomas Casarotto, La société métallurgique d’Aubrives et Villerupt – De la grève des mineurs à la fermeture de l’usine de Villerupt (1961-1967), Fensch Vallée Editions, 2015.
• Jacques Jeandin, Trieux, 79 jours au fond pour la Lorraine, Editions Sociales, 1977.
• Baru, La piscine de Micheville, Dargaud Editeur, 1985
• Muckrackers, Le chant des mineurs, [en ligne], https://www.youtube.com/watch?v=u8E1owmLvMc, page consultée le 26 octobre 2021. 
• Michel Dreyfus, « Albert Balducci », Le Maitron, 2008, [en ligne], https://maitron.fr/spip.php?article15533, page consulté le 26 octobre 2021.