Europe des Cultures - Christo empaquette le Pont-Neuf

Éclairage

Né à Gabrovo (Bulgarie) en 1935, Christo Javacheff dit "Christo" entre à l'école des Beaux-Arts de Sofia en 1952. Peu docile à la doctrine du réalisme socialiste qui régit alors la production artistique des pays de l'Est, Christo fuit à Vienne et débarque à Paris en 1958. Il fait la rencontre de sa future femme et fréquente le groupe des nouveaux réalistes en composant des oeuvres à partir de matériaux bruts (cartons, bouteilles, papiers...). En 1962, il tente d'élever un mur de barils de pétrole à Paris, pour exprimer sa colère après la construction du mur de Berlin.

Son installation aux Etats-Unis dès 1964 inaugure des projets de grande ampleur. En 1972, il achève ainsi son Valley Curtain : un rideau de 13000 mètres carrés de nylon étendu entre deux plateaux d'une vallée du Colorado, distant de 350 mètres. Il se spécialise dans les "emballages" : le Musée d'art contemporain de Chicago (1969), la Scala de Milan (1970).

Du 22 septembre au 7 octobre 1985, malgré la controverse et les difficultés techniques et juridiques, il recouvre le plus vieux pont de Paris, le Pont Neuf, de toile polyamide. L'opération est un franc succès et Christo renouvelle la démarche en investissant des lieux symboliques, comme le Reichstag de Berlin en 1995. En 2005, il revisite poétiquement Central Park avec The Gates, parcours de portiques tendus de toile couleur safran. L'oeuvre de Christo s'inscrit directement dans le courant de "l'art éphémère", ce qui incite l'artiste à être également réalisateur en filmant son travail pour en conserver une trace et le restituer (comme ici aux ouvriers du Pont-Neuf)

Claire Sécail

Transcription

Paul Amar

A Paris, le célèbre Pont Neuf n'aura pas froid cet automne. L'artiste Christo va l'habiller. Pourquoi cette drôle d'initiative ? Comment s'y prendra-t-il ? Sylvie Marion et Jacques Aubertin répondent à notre curiosité.

Sylvie Marion

Un projet fou, une oeuvre d'art tout à fait inhabituelle comme Paris n'en a jamais connu est en train de voir le jour. Cet homme, un artiste américain d'origine Bulgare, Christo, se donne pour but d'envelopper, draper dans du tissu, empaqueter le Pont Neuf comme un immense cadeau offert aux Parisiens fin septembre pour 15 jours. Voici le projet de Christo. Il ne changera en rien la vie des Parisiens. Ce clochard pourra dormir, comme d'habitude, dans la même position sous cette arche.

Christo

C'est-à-dire, bien sûr toute la voûte sera couverte de cette toile. La toile est dessinée de façon très spéciale, et elle est retenue par 11 kilomètres de câble, de rope, et aussi les voitures pourront passer le pont, les bateaux-mouches, les piétons, marcher sur le pont, sur le trottoir couvert de toile, et aussi les voitures sur la voie Georges Pompidou, elles vont passer librement.

Sylvie Marion

Si le projet monumental de Christo est fou, la réalisation, elle, est des plus sérieuses. Une dizaine d'entreprises y travaillent. 12 ingénieurs dirigent une centaine d'exécutants. 200 personnes oeuvreront sur le site. Ici, tout l'été, à l'usine [Valrave] à Armentières, on assemble 40 000 m² de toile polyamide couleur pierre de Paris.

Christo

Ça, ça l'enveloppe complètement et sera accroché par les hommes grenouilles qui vont partir. Mais ça, ça sera ouvert par les alpinistes et ça va tomber [inaudible].

Gérard Moulin

Nous ne ferons aucune fixation dans le pont. Le pont sera entièrement maintenu dans son état et tous les risques d'accident, de gros accident, ont été prévus, je crois.

Sylvie Marion

La projection d'un film américain réalisé sur l'une de ces oeuvres exécutées dans les montagnes du Colorado, c'est ce que Christo a tenu à montrer aux ouvriers d'Armentières.

Inconnu

[Anglais]

Inconnu 2

Ce qui m'épate le plus, en fait, simplement penser à faire ça. Parce que je pense que c'est quand même... En fait, c'est ça le vrai problème : c'est de savoir penser et imaginer autre chose que ce qu'on fait habituellement. Mais je pense que ça, il faut être un artiste pour faire ça. C'est tout. C'est ça, en fait, l'idée originale. C'est de pouvoir faire profiter à tout le monde. C'est gratuit.

Christo

C'est de la liberté poétique totale.

Sylvie Marion

Vous êtes content de votre travail sur le Pont Neuf ?

Inconnue

Bien sûr. Ça change vraiment tout. Habituellement, on travaille sur des tentes, quelque chose de très « normal », et sur le Pont Neuf, c'est vraiment quelque chose d'extraordinaire. Je ne peux pas vous définir mais vraiment toute l'usine participe.

Sylvie Marion

Il faut savoir que Christo finance entièrement seul tous les travaux sans un sou de subvention, en vendant les dessins et collages préparatoires à son oeuvre. Avis aux collectionneurs. Si tout se déroule comme prévu, les Parisiens vivront, à la fin de l'été, un moment poétique, collectif, sans doute unique dans l'histoire de la capitale.