Décoloniser trois départements français : le cas de l'Algérie
Introduction
La conquête de l'Algérie a débuté en 1830. Devenant une colonie de peuplement, ce qui la distingue de tous les autres territoires de l'empire français, l'Algérie est ensuite structurée en trois départements français en 1848. Le principe de l'Algérie française, qui s'enracine avec la colonisation, est a priori inébranlable : « L'Algérie c'est la France » selon l'expression de François Mitterrand, ministre de l'Intérieur en 1954.
Après la Seconde Guerre mondiale : massacres et réformes
Les émeutes et massacres du 8 mai 45
Dans le Nord Constantinois, après la répression des manifestations du 1er mai à Alger et Oran, les manifestations du 8 mai 1945, jour de l'armistice et de la paix célébrée, donnent lieu à des assassinats d'Européens et de violentes émeutes brutalement réprimées par l'armée. Sétif, Guelma, Kherrata et les villages alentours subissent de véritables « massacres coloniaux ». Ces événements symbolisent un point de rupture dans l'histoire de l'Algérie coloniale et de la décolonisation, et marquent la mobilisation de milliers d'Algériens pour le nationalisme et l'indépendance. La terrible répression menée par l'armée française ne parvient pas à arrêter le mouvement nationaliste.
La répression par l'armée française des manifestations algériennes du 8 mai 1945 [muet]
[Document muet] Ce document montre les suites des manifestations nationalistes du 8 mai 1945, en particulier la répression menée les jours suivants par l'armée française à l'encontre des populations civiles algériennes.
Le statut de 1947
La mise en place des institutions de la IVe République et de l'Union française à l'automne 1946 ouvre la voie à la discussion d'un nouveau statut de l'Algérie. Celui-ci est promulgué le 20 septembre 1947. Dans les faits, ce statut ne propose pas d'avancée significative. Le Gouverneur général continue d'exercer le pouvoir exécutif et administratif sur les départements algériens. L'Assemblée algérienne est composée de 120 membres élus à parité par deux collèges électoraux. Mais elle consacre l'inégalité du système colonial : le premier collège comprend les citoyens français de plein droit et 58 000 citoyens musulmans de « statut local » tandis que le second concerne 1 300 000 électeurs musulmans. Les partis nationalistes comme l'UDMA de Ferhat Abbas et le PPA – MTLD de Messali Hadj peuvent ainsi investir légalement la scène politique.
Les élections à l'Assemblée algérienne
Reportage à Alger à propos des élections des délégués de la première Assemblée algérienne. Des citoyens français, hommes et femmes, ainsi que des notables musulmans votent pour le premier collège. Les autres citoyens de statut musulman votent pour le second collège.
Mais les élections d'avril 1948 ou « élections Naegelen », du nom du Gouverneur général Marcel-Edmond Naegelen, sont entachées de fraude et de corruption. L'Algérie coloniale semble plus que jamais bloquée.
L'insurrection de la Toussaint Rouge
Malgré la propagande coloniale qui se gargarise des bienfaits et des réalisations de la France, la population algérienne s'enfonce dans la misère et se heurte à l'injustice et aux absences de réformes de la société coloniale.
Le FLN, jusqu'alors inconnu puisqu'il est né d'une scission au sein du mouvement nationaliste quelques mois plus tôt, déclenche l'insurrection le 1er novembre 1954, avec 70 attentats sur une trentaine de points du territoire algérien. Les pouvoirs publics condamnent le « terrorisme » de ces « hors-la-loi », mais ne saisissent pas la portée de l'événement qui marque le début de la guerre d'indépendance.
La « guerre sans nom » [1]
La répression
Il est hors de question de reconnaître l'état de guerre.
Les autorités parlent dès 1954 d'« opérations de pacification » ou « de maintien de l'ordre » face à la « rébellion » parfois « fomentée depuis l'étranger » ou plus pudiquement encore des « événements en Algérie ». Si la guerre n'est jamais nommée et reconnue comme telle [2], la répression, elle, ne se fait pas attendre. Dès le 2 novembre 1954, l'armée française procède à des opérations sur le terrain et des arrestations de nationalistes. « À la veille de l'année 1955, l'Algérie s'installa donc dans la guerre, qui opposait à un millier de maquisards une armée française forte de 80 000 hommes ».[3]
Sans état de guerre, il n'est pas question d'appliquer les conventions encadrant tout conflit. Des législations spécifiques sont donc élaborées : l'état d'urgence dès 1955 et les pouvoirs spéciaux en 1956.
Allocution télévisée de Guy Mollet et Robert Lacoste sur les pouvoirs spéciaux en Algérie
Guy Mollet (président du Conseil) et Robert Lacoste (ministre résident en Algérie) reviennent sur le contexte qui a prévalu à la loi sur les pouvoirs spéciaux en Algérie, adoptée récemment par les parlementaires. Ils expliquent les deux volets de cette loi : la répression par l'action militaire et les réformes économiques et sociales.
Suite à l'adoption des pouvoirs spéciaux le 12 mars 1956, le président du Conseil Guy Mollet amplifie la répression en faisant appel au contingent et aux réservistes.
Les effectifs de l'armée montent à plus de 400 000 hommes durant l'été 1956. L'armée se voit confier des pouvoirs de police et s'éloigne d'une gestion par simple « maintien de l'ordre », contrairement à ce qui est avancé.
[1] Selon les ouvrages de John Taalbott, The war without a name, France in Algeria, 1954-1962, New York, Alfred A. Knopf, 1980 et de Patrick Rotman, Bertrand Tavernier, La guerre sans nom : les appelés d'Algérie 1954-1962, Paris, Le Seuil, 1992.
[2] Par le vote de la loi du 18 octobre 1999, le Parlement français reconnaît officiellement l'existence de la « guerre d'Algérie ».
[3] Ouanissa Siari Tengour, « 1945-1962 : vers l'indépendance », in Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanissa Siari Tengour, Sylvie Thénault (sous dir.), Histoire de l'Algérie à la période coloniale 1830-1962, Alger – Paris, coéd. Barzakh – La Découverte, 2012, p. 480.
Une affaire interne - Un conflit internationalisé
Le gouvernement français entend gérer le « maintien de l'ordre » sur son territoire comme une affaire interne. Tout écho international du conflit est donc vécu comme une insupportable ingérence. Ainsi lorsqu'en septembre 1955, l'Assemblée générale de l'ONU inscrit la question algérienne à son ordre du jour, Antoine Pinay, ministre des Affaires étrangères, quitte New York.
L'internationalisation de la question algérienne et la réaction du gouvernement français
Le ministre des Affaires étrangères Antoine Pinay est de retour de New York où il a quitté une séance de l'ONU après l'inscription à l'ordre du jour de la question algérienne. Discours d'Edgar Faure contre cette décision.
Dès 1954, le FLN travaille sa stratégie d'internationalisation du conflit. Une délégation, conduite par Hocine Aït Ahmed et M'Hamed Yazid, participe à la conférence de Bandoung en avril 1955. Le soutien des pays arabes et du groupe afro-asiatique lui sera précieux.
Le FLN mène un travail politique constant sur la scène internationale, par l'intermédiaire notamment de M'Hamed Yazid qui devient son porte-parole auprès de l'ONU. L'historien Matthew Connelly parle à ce sujet de « révolution diplomatique ». En décembre 1960, une résolution est adoptée et reconnaît « le droit du peuple algérien à la libre détermination et à l'indépendance ».
Action psychologique et opérations militaires
L'insurrection du Nord Constantinois a conforté les pouvoirs civils et militaires vers l'option du tout répressif.
Les opérations de pacification ne se limitent pas aux affrontements avec les combattants de l'ALN.
Persuadés d'avoir à contrer une « guerre subversive » ou « guerre révolutionnaire », surtout avec la multiplication des attentats du FLN, l'armée entend contrôler les populations civiles et étend la répression par
- les opérations de recensement, la multiplication des arrestations et la politique des camps de regroupement,
- le recrutement de supplétifs ou harkis,
- la création des sections administratives spécialisées et sections administratives urbaines,
- l'extension de l'action psychologique.
Les Compagnies de hauts-parleurs et tracts
Présentation des compagnies de hauts-parleurs et de tracts (CHPT), nouvellement créées pour rallier les populations et les rendre fidèle à la France. Cet outil d'information audiovisuelle de l'armée s'inscrit dans le cadre de la guerre psychologique et fait partie du 5e Bureau.
Cette militarisation renforcée de l'Algérie, les prérogatives confiées à l'armée, cette répression généralisée aussi bien des combattants que des civils, laissent la voie libre aux dérives de toutes sortes, la première d'entre elles étant le recours à la torture, notamment lors de la bataille d'Alger en 1957.
De Gaulle et l'Algérie : vers l'indépendance ?
Le tournant du 13 mai 1958
Le bombardement par l'aviation française du village de Sakiet Sidi Youssef le 8 février 1958 contraint le président du Conseil Félix Gaillard à la démission et ouvre une grave crise ministérielle. L'annonce de l'investiture de Pierre Pflimlin, qui s'était déclaré favorable à des négociations, provoque la colère des Français d'Alger. Les manifestations organisées le 13 mai 1958 virent à l'émeute, avec pour apogée l'assaut du bâtiment du Gouvernement général, puis la formation d'un Comité de salut public dirigé par le général Massu. Après la démission de Pflimlin le 28 mai, le général De Gaulle est investi président du Conseil le 1er juin et se rend à Alger trois jours plus tard pour prononcer un discours passé à la postérité avec la formule « Je vous ai compris ».
Il propose rapidement de nouvelles institutions. La Constitution adoptée par référendum le 28 septembre 1958 donne naissance à la Ve République. Le 13 mai 1958 marque donc un tournant pour la vie politique française. Mais dans un premier temps, la répression en Algérie se poursuit sous les mêmes formes.
Vers l'autodétermination
Le général Challe, nouveau commandant en chef, est chargé de la poursuite des opérations militaires afin d'éradiquer la « rébellion ». Les maquis de l'ALN sont durement frappés et la supériorité de l'armée française est réelle suite à la construction des barrages aux frontières et aux opérations du plan Challe.
C'est en ayant établi ce rapport de force que le général de Gaulle choisit d'annoncer l'autodétermination le 16 septembre 1959. Cette proposition décisive laisse supposer l'ouverture de négociations. Selon l'historienne Sylvie Thénault : « l'annonce de l'autodétermination n'est ni un revirement soudain, ni le but vers lequel tendait implicitement le Général depuis son retour au pouvoir, mais l'effet différé du changement de régime, qui impliquait une redéfinition de la politique algérienne, dans un délai que le temps de l'histoire permet d'apprécier à sa juste mesure ». [1]
[1] Sylvie Thénault, Histoire de la guerre d'indépendance algérienne, Paris, Flammarion, collection « Champs Histoire », 2012, p.215.
Vers une solution négociée
Les négociations s'étalent sur deux années, scandées par plusieurs rencontres. Les premières ont lieu à Melun, du 26 au 29 juin 1960, et reprennent un an plus tard à Évian du 20 mai au 13 juin 1961, puis au château de Lugrin du 20 au 28 juillet 1961.
Les discussions achoppent notamment sur la question du Sahara, enjeu stratégique pour la France suite aux essais nucléaires et à la découverte de gisements d'hydrocarbures.
Alors que la dernière ligne droite des négociations se profile, les ultras de l'Algérie française entendent maintenir la pression. Les violences de l'OAS et la tentative de putsch des généraux apparaissent comme des tentatives extrêmes et désespérées et comme une menace pour la République.
Message radiotélévisé du général de Gaulle du 23 avril 1961
Le samedi 22 avril 1961, les généraux Challe, Salan, Zeller et Jouhaud, avec l'appui du 1er régiment de parachutistes, commettent un coup de force à Alger. Le 23 avril, De Gaulle décide d'assumer les pleins pouvoirs prévus par l'article 16 de la Constitution. Il en informe la Nation.
Ces événements incitent à leur manière à en finir définitivement avec le conflit algérien. Les négociations s'ouvrent de nouveau aux Rousses du 11 au 18 février 1962, et enfin à Évian du 7 au 18 mars 1962.
Le 8 avril 1962, les accords d'Évian, soumis à un référendum en métropole, recueillent une approbation écrasante avec 90% des voix pour, et 23% d'abstention. En Algérie, le référendum sur l'indépendance a lieu le 1er juillet 1962 et se conclut par un écrasant 99,72% de oui.
Référendum à Alger le 1er juillet 1962 [muet]
[Document muet] Ce sujet réalisé le jour du référendum du 1er juillet 1962 dans les rues d'Alger montre le déroulement du référendum dans des bureaux de vote de la Casbah ou du quartier d'El Biar. Algériens et Européens votent dans une ambiance apaisée pour ce référendum historique qui fera de l'Algérie un État officiellement indépendant
Bibliographie
- Abderrahmane BOUCHÈNE, Jean-Pierre PEYROULOU, Ouanissa SIARI TENGOUR, Sylvie THÉNAULT (sous dir.), Histoire de l'Algérie à la période coloniale 1830-1962, Alger – Paris, coéd. Barzakh – La Découverte, 2012
- Bernard DROZ, Évelyne LEVER, Histoire de l'Algérie 1954-1962, Paris, Le Seuil, collection « Points Histoire », 1982.
- Guy PERVILLÉ, Atlas de la guerre d'Algérie. De la conquête à l'indépendance, Paris, Autrement, collection Atlas / Mémoires, 2003.
- Sylvie THÉNAULT, Algérie : des « événements » à la guerre. Idées reçues sur la guerre d'indépendance algérienne, Paris, Le Cavalier bleu, collection « idées reçues », 2012.
- Sylvie THÉNAULT, Histoire de la guerre d'indépendance algérienne, Paris, Flammarion, collection « Champs Histoire », 2012.
- Benjamin STORA, Histoire de la guerre d'Algérie 1954-1962, Paris, La Découverte, collection « Repères », 2006.