Les Landes : un département avant tout forestier
Les paléoclimats
Sous le sable, la forêt
L'écrivain et poète gascon Bernard Manciet [1] le résume bien dans le titre de l'un de ses ouvrages : la forêt de pins maritimes (Pinus pinaster) forme un vaste "triangle" de près d'un million d'hectares. Les photos satellitales confirment l'étendue de cette grande tache vert foncé, limitée par l'agglomération bayonnaise au sud, la pointe de Grave au nord et le secteur de Nérac, en Lot-et-Garonne, à l'est. Boisé sur les trois-quarts de sa superficie, le département des Landes est donc considéré, avant tout, comme "forestier", au détriment de ses autres aspects.
De fait, la forêt est indissociable de l'histoire de ce territoire, les gisements de lignite d'Arjuzanx témoignant, par exemple, de l'ancienneté d'une couverture végétale aux temps géologiques. Issu du latin lignum, "bois", le lignite est un combustible intermédiaire entre houille et tourbe ; il résulte de la transformation sous l'eau de débris végétaux qui seraient normalement détruits à l'air. Contenant seulement 70 % de carbone, cette roche sédimentaire se présente en couche unique de 2 à 6 mètres d'épaisseur en moyenne. Il est composé de nombreux éléments végétaux fossiles : pollen, brindilles et même souches et troncs entiers pouvant atteindre deux mètres de diamètre et plusieurs mètres de long. Formé à la fin du Tertiaire, il témoigne donc bien que, il y a environ 11 millions d'années, au Miocène, des forêts de cyprès, de pins et de séquoias recouvraient déjà la région d'Arjuzanx...
La mine de lignite d'Arjuzanx
Sur le site d'Arjuzanx, l'entreprise EDF exploite, depuis plus de 10 ans, le gisement de lignite le plus important de France. 8500 tonnes sont extraites quotidiennement pour alimenter les chaudières de la centrale thermique. Présentation des moyens mis en œuvre pour l'extraction du charbon de terre et rencontre avec le directeur de la centrale, monsieur Turpin.
[1] Né à Sabres en 1923, mort à Mont-de-Marsan en 2005, cet écrivain landais prolixe s'est illustré notamment par un volumineux recueil de poèmes écrits en gascon intitulé L'Enterrament a Sabre s. Il est également l'auteur du Triangle des Landes, une approche originale de l'espace gascon.
Une exploitation très ancienne
Plus près de nous, au premier millénaire av. J.-C., les pirogues monoxyles de Sanguinet rendent compte, elles aussi, de l'existence d'une forêt sinon cultivée, du moins assez entretenue pour obtenir un bois d'œuvre destiné à la batellerie.
Sanguinet est une forme collective du gascon sanguin, "lieu où poussent les cornouillers" ; cet appellatif médiéval a servi à désigner la nouvelle agglomération établie au sud de l'antique quartier de Louse rappelant la station de Losa sur l'itinéraire côtier qui mène, au Ier siècle, de Bordeaux vers l'Espagne. La montée des eaux du petit ruisseau de la Gourgue à la suite de la fermeture du cordon dunaire et la formation consécutive d'un lac ont contraint les hommes à se déplacer : cinq sites archéologiques sublacustres, s'étendant de l'âge du Bronze à l'époque romaine, y ont donc été fouillés, fournissant un important mobilier, notamment une trentaine de pirogues monoxyles d'un intérêt majeur : 26 d'entre elles sont creusées dans un tronc de pin et 4 dans un tronc de chêne, assurant l'existence, à cette époque, d'un boisement dont les sujets semblent suffisamment développés pour fournir des embarcations monolithiques et justifier l'existence d'une première "industrie" liée à l'exploitation de la résine, corroborée par la découverte in situ de plusieurs jarres à brai [1].
Le pin maritime est bien l'arbre indigène autochtone et son ancienneté est également attestée par de nombreux témoignages. Si Strabon (Ier s. av. J.-C.) ne l'évoque pas, le géographe romain Pomponius Mela, son contemporain, suggère un pays qui "abonde en arbres à résine et à poix" [2]. Pline l'Ancien (Ier s. ap. J.-C.), parle de son côté, dans son Histoire naturelle, du saltus vasconiae, "forêt du pays des Vascons" [3], et Paulin de Nole (IVe -Ve s. ap. J.-C.) fait allusion, dans une lettre à son ami Ausone, au peuple des Boiens de l'actuelle région de La Teste de Buch, piceos Boios "hommes de poix" [4].
La forêt des Landes est donc "immémoriale tout en ayant seulement un peu plus d'un siècle". Paradoxe d'un pays qui ne peut se réduire à une image d'Épinal, opposant un littoral boisé et un arrière-pays désert, immense et voué au pastoralisme. Car la forêt naturelle est multiple, les documents d'archives (Rôles Gascons, livres terriers) et les cartes des XVIIe et XVIIIe siècles le montrent clairement : y apparaissent ripisylves ourlant les cours d'eau, îlots boisés au milieu de la lande, appelés ombrèiras, ou bois défrichés au début du second millénaire par les moines dont le souvenir est conservé dans les nombreux toponymes Luc, issu du latin lucus, "bois sacré" [5]. Liposthey, Lubbon, Lucbardez, Luglon et Luxey témoignent aussi, à partir de cette base, de l'ancienne couverture forestière quand Labatut, Lesperon et les lieux-dits Roncau évoquent précisément les défrichements.
On est donc loin du cliché du "désert landais" évoqué par les aménageurs du XIXe siècle. La géographie des "Landes" est plus complexe.
Les Landes : la forêt ou les hommes ?
Dans les Landes, l'implantation massive de pins résultant de la loi du 19 juin 1857, encouragée par Napoléon III, engendre de profondes mutations dans la société et le mode de vie des Landais. En un demi siècle, l'ancien système agro-pastoral est supplanté par un système sylvicole entièrement tourné vers l'exploitation de la résine et basé sur la privatisation des espaces communautaires.
Le poète a toujours raison : "Au XVIIIe siècle, on a fait des Landes une colonie...on établit des plans parce qu'il n'y a rien ; malheureusement il y avait quelque chose...Les Landais existaient même à l'âge du Bronze". Ces propos de Bernard Manciet sont effectivement confirmés par les récentes découvertes qui mettent en valeur l'établissement de premiers noyaux d'habitation proches des lagunes, dès la Protohistoire, et l'émergence, au XIIe ou XIIIe siècle, de l'"airial" issu du défrichement de chênaies naturelles [6].
[1] D'autres sites de ce type ont été découverts dans la Grande Lande, principalement dans le secteur du haut bassin de la Leyre. La fabrication du brai, à partir de la résine, servait notamment au calfatage des bateaux.
[2] Selon Elie Vinet, humaniste bordelais (1509-1587) qui a corrigé l'édition du géographe romain : ...arboribus resinam picemque ferentibus abundat.
[3] Pline l'Ancien, Histoire naturelle, IV, 24.
[4] Paulin de Nole, Carmina X (Epistolae 3), 233.
[5] Ainsi, nombreux sont les dérivés de lucus et de silva, "bois, forêt", qui correspondent à des lieux de culte anciens, comme Lugaut (commune de Retjons), Sauvelade (Pyrénées-Atlantiques) ou La Sauve Majeure (Gironde), par exemple.
[6] De la lagune à l'airial : le peuplement de la Grande Lande . Actes du colloque de Sabres, novembre 2008, édition de la fédération Aquitania et du Parc naturel régional des Landes de Gascogne.
Chênaies et biodiversité naturelle
Le chêne, et la forêt primitive
Comme l'a démontré François Lalanne [1], "contrairement à ce que l'on pensait, l'airial n'est pas un paysage gagné sur la lande déserte, mais plutôt le résultat du défrichement, par l'homme, de zones boisées de feuillus afin de créer des terres labourables". C'est dire l'importance des essences autres que le pin dans la forêt primitive : chênes pédonculés, chênes tauzins et, plus rarement, châtaigniers.
Dans ses Grandes notes, Arnaudin évoque par ailleurs ces sujets qui, à l'instar du pin marchand, sont exploités, à son grand regret, comme bois d'œuvre : "Dans l'année 1895, à Labouheyre seulement, près de douze cents vieux chênes sont tombés sous la hache des exploiteurs". Et il ajoute, reprenant les propos tenus en gascon par l'un de ses informateurs : Los Bacons que'n van har tombar mè d'un milèr [2]. Conscient de l'évolution des mentalités désormais soumises à la loi du profit avec l'émergence d'un pinhadar rentable, il déplore un peu plus loin qu'un certain Édouard Larrouy ait les mêmes intentions au quartier de Pémothe et rappelle que "cinq cents chênes sont tombés récemment à Marquèze" [3].
Déjà, à la fin du XIXe siècle, le paysage identitaire de l'airial est donc menacé, l'équilibre naturel rompu.
Les airiaux : paysage typique des Landes
L'opération menée pendant 4 ans par Aquitaine Forêt Service, visant à dresser un état des lieux des airiaux du canton de Roquefort, a permis d'évaluer les besoins en matière de pérennisation de leurs végétaux et d'amorcer l'entretien de certains chênes plusieurs fois centenaires. Par ailleurs, la dendrochronologie a permis de dater certains airiaux du XIIIe et XIVe siècles.
Arbres repères, solitaires, isolés au milieu de la lande ou regroupés en bosquets, constituant des lieux de rassemblement des troupeaux en été, les chênes sont vénérés : D'autes còps, qu'aimavan los cassis, que'us respectavan [4]. Associés au nom de lieu qu'ils identifient, ils s'animent - au sens étymologique - sous la plume de l'ethnologue qui personnifie ainsi le chêne de Traouquelongue (Traucalonga) à Pissos, celui du Pradéou (deu Pradèu) ou du parc dou Miey (deu Parc deu Miei) de Lubiosse, s'attardant sur l'énorme sujet dit "de Cantore", à Luë, qui mesure 11 m 30 de circonférence...
Autant de mentions qui évoquent en filigrane l'évolution inexorable de la monoculture du pin accompagnant la disparition des modes de vie traditionnels fondés sur l'agro-pastoralisme. Quand les arbres content l'histoire...
[1] François Lalanne est conservateur au Parc naturel régional des Landes de Gascogne. Il expose sa théorie dans un ouvrage collectif intitulé De la lagune à l'airial, Actes du colloque de Sabres, novembre 2009, éditions du Parc naturel régional des Landes de Gascogne.
[2] "Les Bacons vont en faire tomber plus d'un millier."
[3] Quartier de Sabres transformé, à la fin des années 1960, en écomusée. Le toponyme rappelle un ancien prénom gascon, Marquesa .
[4] "Autrefois, on aimait les chênes, on les respectait."
Les milieux humides
Près des cours d'eau - Eyre, Adour et leurs affluents - mais aussi le long des "courants" qui se jettent directement dans l'Océan, un autre type de paysage, composé d'essences diverses adaptées aux milieux humides, est aujourd'hui l'objet de mesures de protection : ce sont les barthes [1] et les forêts-galeries. Les bois blancs - aulnes et saules - limitent les zones inondables constituées par les premières tandis qu'une végétation plus complexe, faite de chênes, d'aulnes, de hêtres, charmes, saules, noisetiers, aubépines et robiniers, introduits au XVIIe siècle, abritent les cours d'eau formant une "galerie". Vestiges du boisement originel, ces milieux sont sauvegardés, notamment dans le cadre du programme Natura 2000.
Le nom choisi à la Révolution pour dénommer le département des "Landes" ne recouvre donc qu'une part de la réalité : la "Grande Lande" a toujours côtoyé la forêt ou participé d'une forêt sans laquelle nulle implantation humaine n'eût été possible [2] ; en Chalosse, en Tursan et dans les pays de l'Adour, une couverture de feuillus précède partout les grands défrichements.
Les barthes de l'Adour
Découverte, en compagnie de l'architecte et paysagiste Maïté Fourcade, des barthes de l'Adour, paysage emblématique du pays d'Orthe résultant de l'adaptation des pratiques agricoles à ce milieu régulièrement soumis aux crues de l'Adour et assaini dès la fin du XVIIe siècle par un système de drainage.
Visite dans le Parc naturel des Landes de Gascogne
Présentation du Parc naturel régional des Landes de Gascogne qui s'étend sur 262 000 hectares, à cheval sur les départements de la Gironde et des Landes. Depuis la réserve ornithologique du Teich, nous remontons la Leyre direction Sabres et l'écomusée de Marquèze où la vie rurale landaise du XIXe siècle est reconstituée.
[1] Barta est un mot gascon, d'origine prélatine, qui désigne des prairies inondables le long de l'Adour.
[2] Nécessaire à l'implantation des "industries du feu" (forges, tuileries, poteries et verreries), la forêt explique la localisation des premiers noyaux d'habitation, en tête de vallon, sur les affluents du cours d'eau majeur. La lecture des cartes de Cassini et de Belleyme met bien ce phénomène en exergue.
Le "pinhadar" ou la forêt de pins industrielle
Les mutations économiques du XIXe siècle
Dans la partie du territoire recouvert par les sables, aux sols acides et podzolisés, aux densités parmi les plus faibles de France, l'État décide d'intervenir. Face à l'insalubrité d'une région "malsaine et dangereuse", il se met en devoir d'assainir et de "civiliser", au milieu du XIXe siècle, ce "Sahara français poudré de sable blanc" [1].
Dans les faits, ces ambitions économiques et politiques, sous-tendues par l'hygiénisme [2], guident un programme inspiré par la volonté d'unifier une nation aux frontières encore fluctuantes.
Même si le boisement est amorcé par des ingénieurs et des investisseurs locaux dès le XVIIIe siècle, le massif forestier gascon, tel qu'on le connaît aujourd'hui, est en grande partie récent et artificiel, résultat d'une vaste mise en culture, encadrée par un dispositif législatif décidé en 1857 [3]. La forêt remplace la lande et altère la structure de la propriété ; l'économie et l'organisation sociale en sont radicalement changées. Les entrepreneurs s'engagent alors dans l'aménagement d'un territoire considéré comme une terre de conquête, démarche qui s'inscrit dans le contexte d'un siècle propice aux grandes utopies et à la fondation de nouvelles colonies.
L'émergence de cette nouvelle société dont les logiques dépassent le seul cadre du marché local s'accompagne d'une mutation profonde des paysages et bientôt des mentalités. On transforme sur place la matière première et on exporte des produits à forte valeur ajoutée.
Le métayage, fondé sur l'échange en nature, se révèle alors inadapté à une économie devenue monétaire. Les relations sociales en sont définitivement altérées : les écarts de fortune se creusent, suscitant des conflits qui durent jusqu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et à la disparition du gemmage.
L'ancien berger, devenu résinier, est désormais lié au propriétaire-sylviculteur. Ce dernier appartient généralement à d'anciennes familles aisées résidant généralement en ville mais il peut aussi être issu de la petite bourgeoisie, souvent apparenté à ceux qu'il assujettit désormais après avoir accédé au rang des "ayant-pins" [4].
L'arbre d'or
En 1857, la loi d'assainissement des Landes de Gascogne, initiée par Napoléon III, aboutit à la plantation massive de pins maritimes mettant à mal les anciennes structures du système agro-pastoral. L'espace boisé devient ainsi le théâtre de graves incendies, dont celui de 1949, point de départ d'une politique de prévention et d'expérimentation sur la réhabilitation d'anciennes fermes.
Entre 1861 et 1864, la Guerre de Sécession et le blocus des États-Unis producteurs de résine entraînent une augmentation spectaculaire du cours de la gemme landaise. La France devient alors le seul pays capable de fournir des quantités importantes de produits résineux tandis que le développement des mines de charbon dans le Nord de la France et en Angleterre offre un nouveau débouché pour le bois de mine (poteaux, étais).
Au pays de la résine [Muet]
Après une rapide présentation de la ville de Dax, le documentaire s'intéresse au gemmage et à la distillation de la résine qui permet d'obtenir l'essence de térébenthine et la colophane. Il se termine par une mise en garde sur les menaces qui pèsent sur la forêt des Landes : la surexploitation et les incendies.
Le chemin de fer marque l'entrée de la forêt dans l'ère industrielle, servant notamment au transport des bois. À son apogée, au début des années 1920, la forêt emploie entre 20 000 et 25 000 gemmeurs, réclamant un meilleur partage des richesses. Grèves et manifestations se multiplient alors avec le développement d'un syndicalisme de type ouvrier tandis qu'on cherche toujours à améliorer les conditions d'exploitation et à protéger une matière première qui transforme l'économie locale : le laboratoire de Pierroton, en Gironde, devient un lieu d'expérimentation innovant, exemplaire.
Congrès de la forêt landaise [Muet]
Film présentant quelques unes des expériences d'industrialisation forestière menées par le laboratoire de Pierroton, en juin 1932, lors du Congrès de la forêt landaise, et visant à l'amélioration de l'exploitation forestière et de la prévention des incendies.
[1] GAUTIER Théophile , "Le pin des Landes" in España .
[2] L'hygiénisme est un courant du milieu du XIXe siècle qui se fonde sur le respect de principes sanitaires. Ce principe valorise la qualité de la nourriture, des boissons, de l'air, et la propreté d'un corps censé laisser pénétrer l'oxygène par la peau. C'est l'époque de la création ou de la réhabilitation des stations thermales et de la construction, à Arcachon et sur la côte, de villas dites précisément "hygiéniques", conçues pour favoriser la circulation de l'air. Dans les agglomérations, les remparts sont parfois rasés (Dax) et les cimetières déplacés hors les murs.
[3] La loi du 19 juin 1857, également appelée "loi relative à l'assainissement et de mise en culture des Landes de Gascogne", vise à assécher les zones marécageuses et à les mettre en exploitation.
[4] Expression qui désigne les forestiers à la tête d'une propriété assez vaste pour vivre de leurs rentes.
Le déclin d'une économie fondée sur l'exploitation de la résine
L'âge d'or de la résine cesse avec la Seconde Guerre mondiale. C'est la conséquence d'une crise économique qui frappe progressivement, depuis l'Entre-deux-guerres, la production forestière. L'effondrement des cours et la concurrence d'autres pays producteurs (Grèce, Portugal, Chine, Brésil...), rappellent aussi que le marché de la gemme, qui s'est développé grâce aux marchés internationaux, leur reste étroitement lié.
Ainsi, le début des années 1980 marque la fin du gemmage dans les Landes mais la forêt de Gascogne continue de fournir bois d'ouvrage et bois de trituration destinés respectivement aux scieries et aux papeteries situées au cœur du massif forestier, à Mimizan et à Tartas, en liaison directe, en amont, avec les fournisseurs, en aval avec les industries de transformation [1].
Mimizan : les Papeteries de Gascogne
A Mimizan, les Papeteries de Gascogne se placent en tête de la production européenne de papier kraft écru. Le site bénéficie de l'approvisionnement direct en matière première du fait de sa proximité avec la forêt des Landes et d'un fonctionnement en étroite collaboration avec les différentes filiales du groupe.
[1] SARGOS, Jacques, Histoire de la forêt Landaise, Bordeaux : l'Horizon chimérique, 1997.
Les ressources liées à la forêt
Une gestion sophistiquée, des débouchés nouveaux
La forêt des Landes de Gascogne est donc une forêt cultivée qui fait appel aux techniques proches de l'agriculture. Sa croissance est tributaire des conditions naturelles et des objectifs de production ; elle est en perpétuelle reconversion.
Le métier de sylviculteur intègre désormais des techniques fondées sur l'informatique et la mécanisation. On parle alors de "gestion" des parcelles. Des machines de plus en plus complexes et spécialisées remplacent les tronçonneuses qui elles-mêmes avaient supplanté les passe-partout des litches, bûcherons venus des pays d'Auvergne et du Cantal au XIXe siècle et dont certains ont fait souche dans la région, devenant à leur tour industriels du bois.
Pour demeurer concurrentielle, la sylviculture s'appuie en effet aujourd'hui, en amont, sur des recherches scientifiques et des techniques permettant d'améliorer les rendements ; la transformation du bois n'implique plus de forte valeur ajoutée alors qu'elle est de plus en plus soumise aux aléas du marché mondial.
C'est ce qui a motivé, dans les années 1980, des investisseurs locaux et étrangers à trouver de nouveaux débouchés : à Labouheyre, l'usine ROL adopte les techniques du "bois déroulé", à Rion-des-Landes la fabrication des panneaux de particules s'adapte à de nouveaux procédés de fabrication informatisée, tandis qu'au Sen, au cœur de l'Albret, un ingénieur reprend le procédé canadien de la trituration des cimes de conifères pour produire des huiles essentielles ; forte de son succès, cette unité de production est promue aujourd'hui au rang de multinationale [1], suite à la diversification de sa production.
De locale, la fabrication d'une partie des produits extraits du pinhadar landais est devenue internationale.
Fabrication de panneaux de particules de bois à l'usine Rol de Rion-des-Landes
Pour faire face à la concurrence européenne, l'usine Rol de Rion-des-Landes, spécialisée dans la fabrication de panneaux de particules, vient d'investir dans une chaîne de fabrication en continue ultra moderne, entièrement gérée par ordinateur et permettant un meilleur rendement et une qualité constante des produits.
L'entreprise Biolandes
Souhaitant lancer une activité basée sur les ressources naturelles de la Haute Lande et ainsi préserver l'emploi local, les frères Coutière créent l'entreprise Biolandes, spécialisée dans la transformation d'aiguilles de pins en huiles essentielles utilisées notamment en parfumerie.
[1] Voir le site de Biolandes
La crise de l'industrie de l'ameublement
Parallèlement, les industries traditionnelles du meuble, pour la plupart installées en Chalosse, longtemps florissantes, connaissent régulièrement les difficultés liées aux lois du marché et à l'importation de produits étrangers. Après s'être organisées en coopératives (SCOP), essayant de maintenir une main-d'œuvre locale en place, les difficultés s'accroissent jusqu'à la fermeture, en 2010, de la dernière usine à Hagetmau dont le nom rappelle pourtant, que le bois y constitue depuis toujours une matière première essentielle [1].
Hagetmau : le Meuble chalossais
Quatorze anciens employés d'une fabrique de meubles d'Hagetmau, licenciés en janvier 1982, décident de créer leur propre entreprise, le Meuble chalossais, sous la forme d'une société coopérative et participative. Présentation de la constitution et du fonctionnement de la SCOP et rencontre avec son PDG.
[1] Hagetmau ou Haget selon l'usage local, désigne, en gascon une "hêtrai". Bois tendre et facile à travailler, le hêtre est principalement destiné à l'ameublement.
Une heureuse reconversion
Mais le massif forestier artificiel le plus grand d'Europe (1 million d'hectares) est aussi un espace de détente et de loisir aux portes de Bordeaux ; il est devenu un atout supplémentaire dans la panoplie des offres touristiques de la région. C'est notamment le cas de la vieille forêt usagère de La Teste et de Biscarrosse, dite "Grande Montagne", soumise à un régime juridique particulier : des "usages" lui sont effectivement attachés, héritiers des "baillettes" fixant depuis le Moyen Âge des droits d'utilisation du bois pour les habitants [1]. Les chemins muletiers (carrejas) et les anciennes voies de chemin de fer secondaires destinées au transport du bois y sont transformées en pistes cyclables ou "voies vertes" pour le plus grand bonheur des touristes sportifs et des pèlerins qui se rendent en Galice.
Entre les héritages du passé, les exigences du présent et les incertitudes de l'avenir, la forêt constitue un espace économique très mobile dans une apparente stabilité [2].
Balade en forêt landaise
A l'occasion d'une balade, une jeune guide nous propose de découvrir les particularités de la forêt landaise, à travers son histoire et la présentation des plantes qui constituent son sous-bois. La promenade s'achève sur les bords de l'étang Bourg Vieux, une réserve d'eau douce naturelle qui abrite nombre d'espèces sauvages animales et végétales.
[1] FENIE, Bénédicte et Jean-Jacques, Petit vocabulaire de la forêt landaise, Bordeaux : éditions Confluences, 2002, 62 pages.
[2] Cette évolution est mise en scène dans le Pavillon des Landes de Gascogne, à l'écomusée de Sabres (Landes).
Aujourd'hui, des questions sur un territoire
La sylviculture, un défi constant
Vivre dans la forêt landaise c'est donc accepter les aléas d'un milieu fragile, soumis aux caprices de la nature et à l'inconscience des hommes. Deux dangers majeurs menacent en effet ce territoire atypique : le feu et le vent.
À chaque épisode majeur engendrant la destruction d'hectares de pins correspond un temps de réflexion durant lequel le sylviculteur, qui sait que la reconstitution de son patrimoine exige une quarantaine d'années de soins attentifs, s'interroge. Face aux attaques de scolytes qui surviennent à la suite des grands traumatismes, face à l'appétit foncier des agriculteurs en quête de terres arables, certains cèdent mais la plupart ressèment ; le Landais est opiniâtre...
Le feu, une menace permanente
La forêt des Landes de Gascogne, certes beaucoup moins étendue avant les grands boisements du XIXe siècle, est déjà, depuis bien longtemps, régulièrement la proie des flammes. Les registres des intendants du XVIIIe siècle rendent compte du grand incendie de La Teste en 1713, de ceux de Pissos en 1735, de Messanges, Magescq et Rion en 1742 et 1753...
Mais c'est la décennie 1940 qui est la plus destructrice : entre août 1942 et avril 1943, Trensacq, Soustons, Arjuzanx et Pissos sont durement touchés. Au repli des troupes d'occupation en août 1944, le feu prend sur la RN 10 vers Liposthey et court jusqu'à la Leyre. Le bilan sommaire fait état de 66 000 hectares ravagés en 1942 - dont 45 000 en un mois - et de 30 000 hectares en 1945 et 1946.
La plus terrible de ces "années de braise" est 1949. L'incendie du 7 août, parti de la Grande Leyre, ravage la lande de Bern et Gruey à Pissos et anéantit les communaux de Sore. Le grand et sinistre incendie du 20 de ce même mois s'étend du Barp à Marcheprime et Saucats, faisant 82 victimes parmi les sauveteurs...
Visite de Paul Ramadier après l'incendie de 1949 [Muet]
Dans un village, le ministre de la défense, Paul Ramadier vient rendre hommage aux victimes des incendies d'août 1949 qui ont dévasté la forêt des Landes. Pendant ce temps, les militaires, avec l'aide de civils, éteignent les derniers foyers d'incendie.
La création de la Défense Contre les Incendies (DFCI)
Par la suite, l'organisation de la défense contre les incendies s'améliore (tours de guet, entretien des pistes, aménagement de puits tubés pour pompes immergées) et, sur le terrain, les moyens des sapeurs-pompiers pour surveiller et lutter se perfectionnent. Néanmoins, le danger demeure et les incendies reviennent chaque année avec parfois une grande intensité.
En 1976, par exemple, une burla [1] prend à Liposthey et court droit vers Moustey pour s'arrêter à la Grande Leyre. Un incendie à Ychoux en 1997 détruit 500 hectares aux confins de Sanguinet et de Parentis. En 2003, un incendie qui prend au sud de Belhade, traverse les confins de Biganon à Moustey et court jusqu'à Saugnac où les bas-fonds de l'Eyre l'arrêtent tant bien que mal.
Les causes en sont nombreuses : sécheresse estivale bien sûr, mais surtout celle du mois de mars quand un vent fort peut attiser la progression des flammes alors que les sous-bois sont encore détrempés, gênant la pénétration des engins de lutte ; négligences aussi, auxquelles les autorités et la réglementation font la traque (incinérations, certains travaux en forêt, etc.).
Campagne de sensibilisation de la DFCI
Dans les Landes, les associations de DFCI - Défense des Forêts Contre l'Incendie - lancent une vaste campagne de sensibilisation aux risques d'incendie de forêt. Plusieurs panneaux informatifs sont installés à cet effet le long des principaux axes routiers. A terme, cette opération devrait s'étendre à toute la région Aquitaine.
Mais, pour dramatiques que soient ces accidents, le Landais ne se décourage pas. Bernard Manciet le rappelle à la fin de son ouvrage Landes en feu : "Mais, enfin, on va replanter cette année..."
[1] Mot gascon désignant l'incendie qui se retrouve fréquemment dans la microtoponymie.
Les tempêtes
On le sait, depuis des siècles, les chroniques font état de tempêtes dévastatrices comme celle qui fit changer le cours du lit de l'Adour en 1310, obstruant son exutoire de Capbreton. Cependant, les épisodes du 27 décembre 1999 et du samedi 24 janvier 2009 marqueront plus profondément l'histoire du territoire car ils hypothèquent l'avenir du plus grand massif forestier d'Europe.
Si, en décembre 1999, l'ouragan Martin qui balaye la France en deux temps suit un axe principal Nord-Gironde / Saintonge-Périgord, ravageant notamment la forêt médocaine, le cyclone Klaus frappe de plein fouet le département des Landes le 24 janvier 2009 ; il progresse sur un front majeur allant du Pays de Born au Seignanx et sur un axe nord-ouest-sud-est, s'étendant bien au-delà, en Gascogne et en Languedoc. C'est une catastrophe forestière, agricole et économique sans précédent.
Les dégâts dans les Landes suite au passage de la tempête Martin
Le département des Landes a été balayé par la tempête Martin. Sur la côte, les dégâts matériels sont importants . Dans les terres, les arbres sont tombés par milliers, n'épargnant dans leur chute ni les maisons alentours ni les réseaux électriques. Exemple à Biscarrosse et Parentis.
Débâcle des scieries landaises : le cas de la scierie de Bénesse-Maremme
Dans les Landes, les scieries ferment les unes après les autres ne pouvant plus faire face aux prix élevés pratiqués par les propriétaires forestiers locaux. Exemple, à Benesse-Maremme où la scierie de Christian Nicolas a du fermer après 31 ans d'activité.
Grâce aux moyens modernes d'observation et de comptage, on estime assez vite les dégâts [1]. Les communes les plus touchées, où le pin maritime a été détruit à plus de 60 %, sont situées au centre de la Haute-Lande : Arengosse, Arjuzanx, Garrosse, Luglon, Morcenx, Sabres, Solférino, Labrit, Vert. Leurs proches voisines sont atteintes entre 40 et 60 %.
Sur un axe à peine plus méridional, Klaus est encore plus dévastateur : Rion-des-Landes, Ousse-Suzan, Geloux, Uchacq-et-Parentis, Maillères, Lucbardez-et-Bargues, les environs directs de Mont-de-Marsan (Saint-Perdon, Haut-Mauco, Laglorieuse, Bascons...), les contrées de Tartas, Carcen-Ponson ou Souprosse, ainsi que le Bas-Armagnac (Gaillères, Sainte-Foy, Perquie, Saint-Gein, Hontanx, et Créon-d'Armagnac) sont touchés à plus de 60 % [1]
Conséquences de la tempête Klaus sur la filière bois à Pontex-les-Forges
Deux jours après le passage de la tempête Klaus, les professionnels de la filière bois de Pontenx-les-Forges constatent les dégâts : la violence des vents combinée à l'humidité des sols a entraîné le déracinement de plus de la moitié des arbres de la commune. Les conséquences économiques s'avèrent plus désastreuses qu'en 1999.
Dès lors, des questions se posent à la sylviculture et aux collectivités locales. La filière bois étant évidemment très touchée, que va devenir la production locale de pin maritime ? Comment dégager et traiter au mieux les volumes gisant et enchevêtrés par milliers dans les pinhadars dévastés ? Faudra-t-il diversifier les plantations ? De quelle façon les communes forestières, tirant jusque là une bonne partie de leurs ressources des ventes de bois, vont-elles équilibrer leur budget, réaliser leurs projets ? [2]
Dans une perspective environnementale, cette première tempête du troisième millénaire compromet en partie l'avenir du massif des Landes de Gascogne dans ses fonctions de "piège à carbone", si utile dans le contexte actuel de lutte contre le réchauffement ou du moins le changement climatique.
Les sylviculteurs en colère contre l'Etat
Les décrets publiés en mai 2009 par le Journal Officiel ne sont pas à la hauteur des promesses faites par l'Etat, quelques mois plus tôt, pour venir en aide à la filière sylvicole durement touchée par la tempête Klaus. A Uchacq-et-Parentis les sylviculteurs expriment leur colère.
[1] Selon une estimation établie par la DRAAF (Direction régionale de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt), avec l'appui des services du CRPF (Centre régional de la propriété forestière) et de la DFCI (Défense des forêts contre l'incendie), au moyen de 14 000 relevés GPS au bord des routes, complétés par des photos aériennes.
Début mars 2009, on estime la perte de bois à 40,1 millions de m³ dans tout le massif, dont 37,1 de pins maritimes. En 1999, la tempête avait détruit 28 millions de m³ de bois.
[2] GARNIER, Emmanuel, "Les grands vents dans le Grand Ouest français XVIe-XIXe siècles", in : Tempêtes sur la forêt française XVIe-XXe siècle, Paris : L'Harmattan, 2005, p. 55-70.
GARNIER, Emmanuel, Les dérangements du temps : 500 ans de chaud et de froid en Europe, Paris : Plon, 2010, 244 p.