L’incorporation de force des Alsaciens-Mosellans dans l’armée allemande
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Environ 130 000 jeunes Alsaciens et Mosellans ont été incorporés de force dans l’armée allemande durant la Seconde Guerre mondiale et on estime à 40 000 le nombre de ceux qui ne sont jamais rentrés. La plupart d’entre eux ont été envoyés sur le front de l’Est et une grande partie a été faite prisonnière par les Soviétiques et internée dans des camps aux conditions de vie difficiles.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
25 août 2012
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Contexte historique
ParProfesseur agrégé d’histoire, Doctorant en histoire contemporaine à l’Université de Strasbourg
Durant la Seconde Guerre mondiale, 500 000 étrangers ont été incorporés de force dans la Wehrmacht et la Waffen-SS, parmi eux on compte environ 134 000 Alsaciens et Mosellans, appelés les « Malgré-nous ».
En juin 1940, la France est défaite. L’Alsace et la Moselle, considérées comme des provinces germaniques, sont annexées à l’Allemagne nazie. Aucun traité ne valide cette mesure car du point de vue de l’idéologie nazie, le droit naturel supplante le droit international. Dans ce cas, il s’agit de la réunion du « sol et du sang » allemands. À partir de l’été 1940 débute de ce fait une vaste politique de germanisation et de nazification de l’Alsace-Moselle, sous l’égide des responsables de l’administration provinciale, les Gauleiter Robert Wagner pour l’Alsace et Josef Brückel pour la Moselle.
En août 1942, suite aux premiers revers de la Wehrmacht et après l’échec des campagnes d’appel au volontariat, Wagner et Brückel décrètent la conscription dans les territoires annexés, puisque les Alsaciens-Mosellans sont considérés comme « Allemands par le sang ». Les incorporations débutent en novembre 1942 et concernent tout au long de la guerre les Alsaciens-Mosellans nés entre 1909 et 1928 que ce soit dans l’armée régulière ou dans la Waffen-SS. À partir de 1943, les incidents se multiplient et la répression s’accentue, frappant les intéressés mais aussi leurs familles en vertu de la loi du clan (Sippenhaft). Les « Malgré-nous » sont surtout envoyés sur le front de l’Est afin d’éviter les désertions, mais certains se retrouvent aussi à l’Ouest, comme ceux de la 2e division blindée SS, responsable du massacre d’Oradour-sur-Glane.
La majorité des incorporés de force sont faits prisonniers par les Soviétiques et détenus dans des camps aux conditions de vie terribles. Ces camps sont à l’origine de la mort de la moitié des « Malgré-nous » tués durant la guerre. Le plus célèbre, le camp 188 de Tambov a accueilli environ 16 000 « Malgré-Nous » et environ 4 000 y sont morts. Les « Malgré-nous » constituent une monnaie d’échange pour l’URSS dans le cadre de la Guerre froide, ce qui explique que le dernier d’entre eux, Jean-Jacques Remetter, ne rentre chez lui qu’en 1955. Le bilan est difficile à déterminer, on estime à environ 40 000 le nombre d’entre eux qui ne sont jamais revenus.
La mémoire de l’incorporation de force est particulièrement sensible. Dans les années 1950, une vague de procès sur les crimes de guerre nazis sont instruits et la question des « Malgré-nous » ressort particulièrement en 1953 avec le procès de Bordeaux. On y condamne 14 Alsaciens – dont un engagé volontaire – en tant que responsables du massacre d’Oradour-sur-Glane à des peines de prison ou de travail forcé. Des manifestations éclatent pour accuser soit le laxisme du jugement, soit son injustice au regard de la condition des incorporés de force. Le conflit mémoriel est ouvert et accentué par sa médiatisation. La France d’après-guerre, à la recherche de la cohésion nationale dans un contexte de reconstruction, se divise : les uns plaident la culpabilité des bourreaux, les autres dénoncent l’incompréhension de leur sort. Les mémoires alsaciennes et limousines ne peuvent être satisfaites par la justice. Le problème est finalement évacué par l’amnistie des incorporés de force.
Dans la France des années 1960-1970, la sensibilité mémorielle de l’incorporation de force en fait un thème délaissé, ne concordant pas avec l’image d’une France résistante et victorieuse. Bien des « Malgré-nous » redoutent d’être jugés comme des collaborateurs. Il faut attendre les années 1980 pour que la mémoire de la Seconde Guerre mondiale connaisse une nouvelle dynamique grâce aux travaux d’historiens qui ont nuancé le récit élaboré après-guerre. La reconnaissance de l’incorporation de force a franchi une étape décisive en 1981 lorsque la France et la RFA signent un accord sur l’indemnisation des « Malgré-nous ». L’inauguration du Mémorial Alsace-Moselle de Schirmeck en 2005 montre la volonté de comprendre l’histoire de ces provinces depuis 1870.
Éclairage média
ParProfesseur agrégé d’histoire, Doctorant en histoire contemporaine à l’Université de Strasbourg
À l’occasion des 70 ans du décret portant sur l’incorporation de force en Alsace, le 25 août 1942, France 3 Alsace a réalisé 6 petits documentaires sur cette thématique et les a diffusés entre les 20 et 25 août 2012 lors des journaux du midi et du soir. Ce dernier épisode fait office de synthèse sur l’incorporation de force et insiste sur les questions de son traitement après-guerre, sur la détention dans « Malgré-nous » dans les camps soviétiques et sur les mémoires plurielles du phénomène.
Les 70 ans de l’incorporation de force ont été le moment d’un regain d’intérêt pour la question des « Malgré-nous » : un colloque international sur l’incorporation de force s’est tenu à l’Université de Strasbourg, une collecte d’archives privées a été lancée et les médias locaux et nationaux ont multiplié les documentaires et les articles à ce sujet. Le lien entre cette date anniversaire et la production médiatique se remarque d’ailleurs à la fin de l’extrait vidéo, puisque la présentatrice donne la parole à une journaliste présente aux commémorations qui ont lieu à Obernai sur le Mont national, où se trouve un monument en mémoire de l’incorporation de force érigé en 1956 par l’Association des déserteurs, évadés et incorporés de force (ADEIF). Pourtant, les mémoires de l’incorporation de force sont restées longtemps sensibles en raison de la douleur qu’elles ont pu susciter. Ce sont principalement les associations locales qui ont œuvré à leur transmission et la reconnaissance du grand public de l’incorporation de force ne démarre que durant les années 1980-1990.
Afin de restituer la complexité du phénomène, l’équipe de France 3 a fait appel à Nicolas Mengus, docteur en histoire, responsable du site malgré-nous.eu et à l’origine de plusieurs ouvrages sur la question, qui s’exprime sur les difficultés à élaborer des données sur les incorporés de force. L’infographie présentée à l’écran évoque les chiffres de 40 000 disparus et de 30 000 blessés, mais ces données ne sont que des estimations, faute de recherches et de sources suffisantes.
Pour illustrer le documentaire, les équipes de France 3 Alsace ont réalisé un montage avec des documents d’origines diverses. Elles ont utilisé des images d’archives issues de fonds variés, comme des extraits des actualités filmées du régime nazi (Die Deutsche Wochenschau) pour les scènes de combats ou du journal France Libre Actualités du 14 décembre 1944 pour montrer les 1 500 Alsaciens autorisés à quitter Tambov. Toutefois, le montage insiste résolument sur les individus qui ont vécu cette période, ainsi, on peut voir des photographies privées, des dessins de « Malgré-nous » représentant les camps de détention soviétiques, ou encore des vues du recueil photographique des « non-rentrés » élaboré en 1948 par l’ADEIF. De ce fait, ce reportage constitue un moyen de faire vivre les mémoires des « Malgré-nous » en leur donnant une visibilité médiatique, et participe donc à cette construction mémorielle.
Ces archives ont été mises en regard avec des vues actuelles, comme celles d’Oradour-sur-Glane, du Mémorial Alsace-Moselle de Schirmeck, ou encore du « Monument Tambov » de Mulhouse sur lesquels se clôt le documentaire. Ceci rappelle que la question de l’incorporation de force a eu du mal à trouver sa place dans la mémoire collective jusqu’à une date récente. Comment des bourreaux du régime nazi peuvent-ils en être à la fois des victimes ? Il y a là une inextricable équivocité dans la qualité d’incorporé de force. Il existe en réalité plusieurs mémoires de l’incorporation de force, ce qui en fait un objet d’une complexité spécifique, et seul le recul et la nuances, apportés par les travaux d’historiens, ont permis de faciliter la compréhension. Ce n’est qu’en 2010, soit tardivement, que la présidence de la République a reconnu officiellement les incorporés de force comme victimes du nazisme.
Transcription
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