L’annexion de la Moselle par le IIIe Reich (1940-1944)
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Résumé
En 1940, l’Alsace et la Moselle sont annexées au IIIe Reich, puis germanisées et nazifiées. En 1942, environ 130 000 Alsaciens et Mosellans ont été incorporés de force dans l’armée allemande, la plupart a été envoyée sur le front de l’Est et 40 000 sont morts. La mémoire des « Malgré-nous » est restée sensible jusque dans les années 1980.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
20 déc. 1999
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Contexte historique
ParProfesseur agrégé d’histoire, Doctorant en histoire contemporaine à l’Université de Strasbourg
En juin 1940, après la défaite de la France, l’Alsace et la Moselle, considérées comme des provinces germaniques sont annexées de fait à l’Allemagne nazie. Contrairement à l’annexion de 1871, d’une part celle-ci n’est le fait d’aucun traité international, d’autre part l’Alsace-Moselle ne gardent pas un statut particulier dans le Reich, mais sont séparées et rattachées à des circonscriptions déjà existantes : le Gau du Bade pour l’Alsace et le Gau « Westmark » pour la Moselle. À partir de l’été 1940, une politique de germanisation et de nazification débute sous la responsabilité du Gauleiter Josef Brückel. Comme l’Alsace, la Moselle est germanisée, ainsi la langue française et le béret « français » sont interdits, les symboles français comme les monuments aux morts sont détruits ou modifiés. La province est aussi nazifiée avec l’implantation du Parti nazi et de ses organisations parallèles, comme le secours populaire nazi (NS-Volkswohlfahrt), l’association de transport nationale-socialiste (NS-Kraftfahrkorps) ou la ligue nationale-socialiste des femmes (NS-Frauenschaft). Après la signature de l’armistice, le régime nazi encourage le retour des Alsaciens et des Mosellans qui avaient été évacués en France en 1939 et les 50 000 prisonniers de guerre alsaciens et mosellans portant l’uniforme français sont libérés sur ordre de Hitler.
En août 1942, après les premiers revers de l’armée allemande sur le front de l’Est et suite à l’échec de la campagne d’appel au volontariat, Wagner et Brückel décrètent la conscription dans les territoires annexés. Pourtant, Brückel est plus méfiant que Wagner à l’égard des populations annexées sous sa responsabilité, notamment parce que la moitié du territoire est de culture romane. Les incorporations concernent 130 000 Alsaciens-Mosellans, dont 30 000 Mosellans nés entre 1914 et 1927, qui servent en tant que « Volksdeutschen », allemand par le sang. Après un service de travail dans le Reichsarbeitsdienst préliminaire à la conscription, les jeunes Alsaciens et Mosellans sont intégrés à l’armée allemande, que ce soit dans la Wehrmacht ou dans la Waffen-SS. Les incorporés de force sont surtout envoyés sur le front de l’Est afin de pallier le manque de soldats mais aussi d’éviter les désertions. À partir de 1943, les incidents se multiplient comme le 15 janvier 1943, lorsque 200 appelés entonnent La Marseillaise dans la caserne de Sarreguemines. Conséquemment, la répression se durcit, frappant les intéressés mais aussi leur famille en vertu de la loi du clan (Sippenhaft) par des mesures d’internement et de déportation.
Environ 80 000 Alsaciens et Mosellans sont tombés aux mains des Alliés. Ceux qui sont capturés par les Anglo-saxons sont envoyés en Afrique du Nord ou en Sicile, où ils peuvent rejoindre l’armée française et participer à la campagne de la Libération. Néanmoins, la majorité des incorporés de force sont faits prisonniers par les Soviétiques puis internés dans des camps de prisonniers où les conditions de vie sont particulièrement difficiles. Ces camps sont à l’origine de la moitié des 40 000 « Malgré-nous » - dont environ 8 000 Mosellans - tués dans la guerre. Le plus célèbre, le camp 188 de Tambov mentionné dans le reportage, surnommé le « camp des Français », a accueilli environ 16 000 « Malgré-Nous » et environ 4 000 d’entre eux y sont morts.
Éclairage média
ParProfesseur agrégé d’histoire, Doctorant en histoire contemporaine à l’Université de Strasbourg
Ce reportage a été diffusé sur France 3 Lorraine dans le journal télévisé du 20 décembre 1999 dans le cadre de la série « témoins du siècle », un ensemble de documentaires historiques qui souhaite mettre en avant la parole des témoins du XXe siècle touchant alors à sa fin. Cette démarche est particulièrement intéressante puisqu’en plus de contribuer à la vulgarisation historique, elle permet de capturer un témoignage, matériau précieux pour les historiens des générations suivantes qui n’auront plus l’occasion d’en collecter eux même. Cette émission est aussi un vecteur de sensibilisation des Lorrains au cas particulier de la Moselle entre 1940 et 1945 dans une région qui, contrairement à l’Alsace, n’a pas connu l’annexion par le IIIe Reich dans son ensemble.
Le témoignage d’Eugène Saint-Ève, interrogé ici, est pertinent car il s’agit d’un parcours de « Malgré-nous » à la fois très classique et semé d’originalités. Après avoir combattu dans l’armée française en 1940, Eugène Saint-Ève est démobilisé et revient à Metz en 1941 où il constate la politique de germanisation et de nazification du Gauleiter Josef Brückel. Avec le décret sur l’incorporation de force, le jeune Mosellan est enrôlé puis envoyé sur le front de l’Est, en Biélorussie, où il est fait prisonnier lors de l’opération Bagration à l’été 1944. Il prend ensuite part à l’humiliante « marche des vaincus » du 17 juillet 1944, lors de laquelle plus de 50 000 prisonniers de guerre de la Wehrmacht ont défilé dans les rues de Moscou, se déféquant dessus à cause des soupes laxatives qui leur ont été données auparavant par l’Armée rouge. Puis, il est envoyé à Tambov, principal lieu de détention des incorporés de force alsaciens et mosellans en Union soviétique, où il connaît des conditions de vie terribles, avant de rentrer finalement à Metz à la fin de la guerre. Afin de compléter les propos d’Eugène Saint-Ève, les équipes de France 3 ont fait appel à Pierre Rigoulot, historien spécialiste de la Seconde Guerre mondiale et auteur de plusieurs travaux de référence sur l’Alsace-Moselle annexée. Pour illustrer le documentaire, les réalisateurs ont choisi d’introduire des images d’archive principalement issues des documents de propagande allemands.
Après la guerre, la mémoire de l’incorporation de force est restée longtemps sensible. Dans une France héroïsée par le mythe de la résistance, la participation des Alsaciens et des Mosellans à la guerre sous l’uniforme allemand est mal acceptée. En dehors des associations locales, telles que l’Association des Évadés et Incorporés de force (ADEIF), la mémoire de ceux qui se font appeler les « Malgré-Nous » afin de revendiquer leur statut de victime est relativement discrète jusque dans les années 1980. Ce document a donc été produit à un moment où les mémoires de l’incorporation de force refont surface, notamment sur le plan médiatique. Après la chute du bloc soviétique, les archives deviennent accessibles : en 1995, la France signe un accord avec la Russie afin d’obtenir le droit à chaque descendant de « Malgré-nous » d’obtenir une copie du dossier établi par le NKVD au sujet de son aïeul, permettant pour beaucoup de famille de savoir ce qu’il est advenu de leurs proches et dans certains cas de retrouver la sépulture des prisonniers morts en captivité. L’inauguration du Mémorial Alsace-Moselle de Schirmeck en 2005, qui restitue l’histoire tourmentée de la région depuis 1870, montre la volonté de transmettre ce qu’a été le sort des Alsaciens-Mosellans, ballottés entre deux nationalismes, pendant près d’un siècle.
Transcription
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Hélène Messang
Témoins du siècle en Lorraine, le volet de notre série est consacré ce soir à la Moselle et à la période 1940 – 1945, des années noires pour le département.L’annexion de la Moselle par le troisième Reich a conduit à l’incorporation de force.François Erb et Guy Grunberg nous raconte ce qui fut un drame pour de milliers de jeunes Mosellans, ceux que l’on a appelés « les Malgré nous ».
(Musique)
Françoise Erb
Été 1940, après l’armistice et malgré les protestations de Vichy, le troisième Reich annexe la Moselle et l’Alsace.Le Nazi, Joseph Bürckel est nommé à la tête de l’administration mosellane, il a carte blanche pour germaniser cette province lorraine, une germanisation brutale, rapide, qui ne ressemble pas à celle entreprise en 1871.Eugène Saint-Eve revient à Metz en 1941, après avoir reçu comme tous les Mosellans et Alsaciens présents dans les troupes de l’armistice un ordre de démobilisation.Il ne reconnaît plus sa ville.
Eugène Saint-Eve
Et quand je suis arrivé à Metz, j’ai retrouvé une ville tout à fait allemande, qui n’était plus non seulement occupée mais complètement transformée.Pas loin d’ici il y avait le monument aux morts, dont on avait enlevé les Poilus tutélaires.Et partout ailleurs, il n’y avait plus un seul mot en français, vous n’aviez plus le droit non plus de porter des bérets.Bref, tous souvenirs qui rappelaient la France avaient été complètement éradiqués.
Pierre Rigoulot
Les choses changent, mais ce n’est pas simplement au sens où il y a une germanisation du pays, ça change aussi où il y a une nazification.Il y a un contrôle, on brûle les livres, on chasse tout ce qui ressemble de près ou de loin à la pensée démocratique ou à une pensée de gauche.Enfin, c’est une soumission complète au troisième Reich qui est demandée aux habitants de la Moselle.
Françoise Erb
L’incorporation de force sera une nouvelle étape après avoir mis en place pour les plus jeunes le Reichsarbeitsdienst et après l’échec des appels au volontariat, les nazis enrôlent de force à partir de 1942, les jeunes mosellans et alsaciens.
Eugène Saint-Eve
Nous avons vécu pendant très longtemps avec l’idée que cela n’arriverait jamais.On s’était dit qu’au regard des Allemands, nous étions considérés comme des gens indignes de porter l’uniforme allemand.Et en réalité, devant les énormes pertes qu’a subies la Wehrmacht, le décret a été pris d’incorporer les Alsaciens Mosellans dans la Wehrmacht.
(Musique)
Françoise Erb
Eugène Saint-Eve, comme l’immense majorité des « Malgré nous », est envoyé sur le front de l’Est où les troupes allemandes sont en difficulté.Les combats sont terribles, il se rend aux Russes qu’il considère, lui, Français, comme des alliés.
(Musique)
Françoise Erb
Mais les Russes le font prisonnier.Et en juillet 1944, il traverse Moscou, noyé dans une longue colonne de milliers de soldats portant l’uniforme allemand.
(Musique)
Françoise Erb
Cette armée de fantômes est conduite dans les gares où des trains l’attendent, les prisonniers sont transportés vers des camps.Eugène Saint-Eve est dirigé vers l’Oural, puis le camp de Tambov où il restera 18 mois.Tambov, où des milliers de « Malgré nous » meurent de froid, de faim et d’épuisement.
Eugène Saint-Eve
Les Russes se méfiaient énormément de nous, ne nous considéraient pas comme des Français à part entière.Il y a des gens qui, en somme, étaient de leur côté.Et bien c’était très difficile à supporter cela.
Françoise Erb
À son retour de captivité, le jeune Messin découvre une Moselle qui a souffert et qui a été libérée tardivement.Comme beaucoup d’incorporés de force, il a du mal après la guerre à se faire entendre dans une France dominée par le parti communiste.
Pierre Rigoulot
L’Union soviétique c’est la grande alliée.C’est celle qui a aidé à vaincre le nazisme, et voilà que ces jeunes gens qui rentrent, disent « nous, nous étions aussi dans des camps de concentration ».Ce qu’ils ont raconté a été mal perçu, on n’a pas tellement voulu entendre qu’au fond l’adversaire de l’Allemagne nazie qui avait produit de terribles camps de concentration était aussi porteuse, productrice de camps de concentration.
Françoise Erb
À Moscou, dans les archives du KGB où sont stockés des millions de dossiers de prisonniers de guerre, ceux des « Malgré nous » témoignent de la tragédie vécue par les Mosellans et les Alsaciens.30 000 jeunes Lorrains et 100 000 Alsaciens ont été enrôlés de force dans la Wehrmacht pendant la deuxième guerre mondiale.40 000 sont morts ou ont été portés disparus.L’émotion perceptible en 1995 lors de la remise de centaines de dossiers à des familles montre combien cette histoire pèse encore sur le présent mosellan et alsacien.
(Musique)
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