Hansi, artiste et homme multiple [en alsacien]

C’est à l’occasion de la sortie en 2018 de l’ouvrage La Force de la création de Gabriel et Hélène Braeuner consacré à l’artiste alsacien Hansi que ce reportage a été réalisé. Gabriel Braeuner est un historien sélestadien reconnu, spécialiste de l’histoire du Rhin supérieur et auteur de nombreux ouvrages consacrés à Colmar, ville natale de Hansi. Hélène Braeuner est pour sa part historienne de l’art.

Jean-Jacques Waltz a pris le pseudonyme Hansi dès la réalisation de ses premières caricatures dans les années 1890 afin d’éviter d’être poursuivi par les Allemands qu’il moquait de manière incisive et répétée. Son anti-germanisme s’explique par son héritage familial. Il est en effet né dans une famille bourgeoise très francophile juste deux ans après l’annexion de l’Alsace et de la Moselle par l’Empire allemand, conséquence de la défaite française lors de la guerre franco-prussienne de 1870-1871 et de la signature du traité de Francfort. 

La région était devenue française en 1648 suite aux conquêtes victorieuses de Louis XIV. Tout en continuant à utiliser largement leurs dialectes, les Alsaciens s’étaient attachés à la France. Comme nombre d’eux, Hansi a ainsi grandi avec la nostalgie de la patrie de ses parents et la défiance face aux nouveaux dirigeants. Afin de germaniser la population, de nombreux Allemands sont invités à s’installer en Alsace. Parmi eux, des instituteurs, largement dénoncés par l’artiste, en raison de leur zèle à vouloir imposer l’apprentissage du Hochdeutsch, l’allemand standard, aux enfants au détriment de leurs dialectes maternels. C’est dans ce contexte qu’il est envoyé poursuivre ses études à Lyon. Revenu en Alsace en 1896, il devient rapidement un célèbre dessinateur de cartes postales. Il travaille également pour des entreprises locales, tout d’abord dans une usine textile à Cernay puis aux établissements Herzog à Logelbach, pour y illustrer les emballages de leurs produits. La boîte de dragées montrée dans le reportage en témoigne. Au fil des décennies, la population s’est habituée à la vie dans l’Empire allemand, source d’enrichissement et de modernisation de la vie quotidienne. L’Allemagne est alors une grande puissance industrielle dans laquelle la législation sociale est avantageuse, même si la liberté d’expression reste limitée d’où les poursuites dont Hansi fut l’objet en raison de ses publications. En 1913, il est ainsi jugé et condamné pour avoir insulté, dans son Histoire d'Alsace, la collectivité des Allemands venue en Alsace. Un autre procès le condamne à une année de prison. Il parvient à s’échapper et à fuir en France en 1914 et combat du côté français, à l’instar de nombreux Alsaciens réfractaires, et contre l’Allemagne durant la Première Guerre mondiale. Célébrant la victoire et le rattachement de sa région à la France, il voit pourtant son succès populaire décliner après-guerre. Les Alsaciens ne souhaitent en effet pas perdre leur identité ardemment défendue pendant la période allemande. L’opposition viscérale de l’artiste à l’Allemagne même au-delà des deux guerres mondiales n’est donc pas représentative de l’ensemble de la population alsacienne. 

Caricaturiste et polémiste, Hansi est cependant aussi un artiste pluriel. Il s’illustre dans différentes techniques picturales telle que la gravure par laquelle il est surtout devenu célèbre ou l’aquarelle. Nombre de ses productions s’inscrivent dans l’Art nouveau, mouvement artistique de la fin du XIXe et du début du XXe siècle qui se caractérise par ses couleurs, les ornementations souvent sous formes d’arabesques inspirées des modèles présents dans la nature. Ses peintures de femmes ne sont pas sans rappeler celles de l’artiste tchèque Alfons Mucha.

Le reportage a été intégralement tourné au musée Hansi de Colmar. Le journaliste Pierre Breiner lance le sujet en évoquant la face la plus connue de l’artiste à savoir celle du patriote français engagé. Un aperçu de la diversité des œuvres visibles dans le musée vient cependant nuancer cette image et introduire les propos de l’historien Gabriel Braeuner, co-auteur du nouvel ouvrage consacré à Hansi. Il s’agit pour lui de montrer, d’expliciter et de contextualiser des oeuvres moins connues de l’artiste. Des dessins célèbres représentant une Alsace idéalisée alternent ainsi avec des aquarelles remises à l’honneur et des objets dérivés vendus aux visiteurs du musée. Parmi les œuvres les plus réputées, se trouvent notamment un dessin représentant une cigogne dans son nid installé au-dessus d’un village alsacien. Le nid est décoré de petits drapeaux tricolores, signe de l’attachement de l’échassier, animal emblématique de la culture alsacienne, à la France. Un autre dessin représente une fillette en costume traditionnel alsacien avec son père. Dans la main, elle porte un bouquet de fleurs dans les tons bleu - blanc - rouge, illustration de l’imagination des Alsaciens pour exprimer leur patriotisme sans pouvoir recourir librement aux symboles traditionnels de la France. Un autre dessin représente le « Boche », l’Allemand tant haï par Hansi, avec les traits que l’artiste lui attribue à chaque fois : un physique disgracieux encore desservi par une tenue et une attitude ridicules. Les pages de garde de ses principaux ouvrages, L’histoire d’Alsace racontée aux petits enfants par l’oncle Hansi, ou encore Mon village, ceux qui n’oublient pas tous deux parus en 1913 viennent confirmer son engagement patriotique indéfectible.

Les propos de Gabriel Braeuner amènent à nuancer ce portrait monolithique. L’historien, après être revenu sur ce qui a contribué à la célébrité de Hansi, s’attache à montrer la diversité de son œuvre. Plusieurs aquarelles sont présentées pour montrer son éclectisme. 

Le reportage s’achève avec la visite de la boutique du musée Hansi. Celle-ci commercialise une large palette de produits typiquement alsaciens, alimentaires ou non, floqués des dessins les plus célèbres et appréciés du public. Les principaux sont de jeunes Alsaciens en costumes traditionnels et des cigognes perchées sur les toits de maisons à colombage. Ce type de produits constituent une source de profits non négligeables, tant pour les musées que pour le tourisme et l’économie de l’ensemble des régions françaises.