La guerre des tranchées dans les Monts de Champagne
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Résumé
Les Monts de Champagne, entre Reims et Argonne, ont été le théâtre de toute la guerre, de 1914 à 1918, de la guerre de mouvement à la guerre de position. Les témoins racontent ici la guerre et l’expérience combattante. Le reportage permet aussi de voir la mise en place d’une mémoire de la Grande Guerre.
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Date de publication du document :
11 mai 2021
Date de diffusion :
04 nov. 1967
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Contexte historique
ParProfesseur certifié d'histoire-géographie au collège François Legros de Reims
Le reportage réalisé en 1967 pour une émission régionale de France 3 témoigne de l’intérêt pour un des hauts lieux de la Grande Guerre : la partie nord-est de la Champagne. En quoi la région est-elle au cœur de la Première Guerre mondiale ?
Le reportage offre un regard sur la guerre en le situant sur une toute petite partie du territoire français : les Monts de Champagne. Ce territoire s’étend d’ouest en est de Reims à l’Argonne et la Meuse. Il est constitué d’un ensemble vallonné de faible altitude qui ferme la plaine de Champagne au nord, et dont de nombreuses images permettent de voir les pins noirs et le sol crayeux.
La situation de frontière de la région lui a déjà conféré un rôle important dans l’Histoire de France : pendant la Révolution, la bataille de Valmy en 1792 a sauvé la France d’une invasion par la coalition des monarchies et en 1870, la défaite de Sedan, plus au nord, scelle le sort de Napoléon III et le retour de la République.
Les débuts de la guerre de 14 - 18 replacent la région au cœur de cette histoire. En août 1914, les Allemands envahissent la Belgique, passent la frontière dans les Ardennes et avancent sur Reims qu’ils atteignent fin août. Les troupes françaises reculent dans un désordre certain et avec des pertes considérables au sud de la Marne. Joffre, commandant des armées françaises, se replie sur l’Aube, et ordonne de reprendre l’offensive, dans son célèbre ordre du jour intimant aux soldats de "mourir sur place plutôt que de reculer". Bénéficiant des hésitations de l’armée allemande, et du sacrifice des soldats français (ce sont les semaines les plus meurtrières de la guerre), la Bataille de la Marne est gagnée et les Allemands sont repoussés sur les Monts de Champagne. Le front se stabilise à hauteur de Reims et les armées s’enterrent : c’est le début de la guerre des tranchées.
Reims est en grande partie détruite sous le feu des bombardements allemands (la cathédrale est incendiée, symbole de la barbarie de l’occupant), mais les Français tiennent la ville, en s’appuyant sur un système de fortifications dont le fort de la Pompelle, au sud et au pied du Mont Berru. Ce système qui protège Reims a été conçu par Séré de Rivières, un général, initiateur d’un vaste de plan de fortifications des frontières françaises après 1875. On a ainsi de nombreuses images du Fort de la Pompelle, un ouvrage d’art semi-enterré capable d’abriter des troupes et leurs équipements pour tenir un siège long. Ce sont ces mêmes forts que l’on retrouve autour de Verdun, à Vaux ou à Douaumont.
Les Monts de Champagne sont donc le théâtre de trois années de guerre des tranchées ou guerre de position : des armées qui se font face, enterrées dans des tranchées, et qui lancent encore de grandes offensives meurtrières (celle de Champagne en 1915), mais aussi des attaques quotidiennes pour prendre les lignes ennemies et gagner quelques dizaines de mètres, comme à la Main de Massiges dans les années 1915-1916 surtout. Ces combats sont préparés par un pilonnage d’artillerie qui détruit tout sur son passage, créant ce paysage lunaire que l’on voit sur de nombreux plans du reportage. De nombreux villages sont entièrement détruits, les campagnes alentour sont métamorphosées, comme en attestent les cratères créés par l’artillerie lourde, laissant des terres en "zone rouge", et donc impossible à rendre aux civils.
C’est aussi dans cette région que les troupes russes sont engagées en 1916, et qu’en 1918 les Américains livrent leurs premiers combats.
La guerre en Champagne reprend tous les traits de la guerre totale : une guerre mondiale, une guerre qui touche civils et militaires, une guerre idéologique autour de l’enjeu symbolique de la cité des sacres, et une guerre qui atteint une violence inégalée, comme en témoignent les très nombreux cimetières et lieux de mémoire que montre le reportage.
Éclairage média
ParProfesseur certifié d'histoire-géographie au collège François Legros de Reims
Le reportage sur la guerre dans les Monts de Champagne est construit autour de deux interviews, celle d’un ancien soldat et celle, plus rare, d’un aumônier de l’armée. Il mobilise aussi de nombreuses sources iconographiques : films d’archives, photographies, cartes postales, dessins (d’André Lagrange notamment) qui couvrent une période allant de 1914 au début des années 1920. Il apporte au traitement de la guerre un regard appuyé sur deux thèmes : l’expérience combattante et la mémoire.
La force des témoignages est évidente et complémentaire : à Maurice Roussin le contexte, et au père Courto, une description de l’expérience vécue par les hommes. Les deux témoignages, appuyés par des images de la plaine de Champagne, des bombardements et de leurs conséquences (les cratères, les destructions du bâti), des tranchées naissantes permettent une description fine de la guerre des tranchées et du vécu des soldats. La figure du poilu tend à l’universel dans la description qui en est faite : il ne s’agit pas de raconter un itinéraire particulier mais bien celui de plusieurs millions d’hommes partis à l’été 1914, avec un certain optimisme nous dit-on, pour une expérience bouleversante. Il est d’abord possible de raconter dans quel contexte les tranchées furent érigées après la Bataille de la Marne. On sait qu’elles constituent un système défensif et de circulation complexe, abritant des dizaines de milliers de soldats, qui vivent dans une terre facile à creuser mais collante et friable. La vie des tranchées et ses rigueurs, le froid, les rats, la nourriture froide, l’importance de l’alcool, la fraternité d'armes sont décrites. Enfin, un accent particulier est mis sur l’artillerie, la grande arme de la guerre des tranchées, celle qui menace en permanence la vie des soldats. Le témoin compare les forces en présence dans les deux camps : supériorité du canon de 75 français, mais infériorité française face à la mitrailleuse - une arme redoutable face aux assauts - et à l’artillerie lourde, les "planqués" de l’Assemblée nationale ayant freiné son développement, alors que les Allemands en sont bien dotés. Derrière cet inventaire des armes se dessine la forme des combats avec leurs préparations d’artillerie puis les assauts lancés sur la tranchée ennemie.
Si les images de soldats morts ou de gueules cassées sont absentes du reportage, la mort est cependant bien présente et permet d’aborder la question de la mémoire : le prêtre raconte la perte de camarades morts d’épuisement et on voit de nombreuses images de cimetières, des chiffres même à l’entrée du cimetière du Bois du puits à Auberive. La mémoire est ici d’abord la mémoire des anciens combattants, témoins encore nombreux en 1967. Il y a ensuite la mémoire de la Nation. Elle se manifeste par la création, dans les années qui suivent la fin des combats de grandes nécropoles qui accueillent les corps des soldats dont les familles n’ont pas réclamé le retour : à Auberive, il y a plus de 4 000 tombes de Français, mais aussi de Polonais et d'Allemands. A Souains, la nécropole de la Crouée regroupe Allemands et Français avec plus de 30 000 "poilus" pour la plupart en ossuaire. Le reportage montre aussi un monument exceptionnel construit au lieu-dit de la Ferme de Navarin : le monument financé par des donateurs privés, la pyramide, qui surplombe la région, est un lieu de sépulture et de mémoire pour les soldats de la IVe armée, dans laquelle fut inhumé en 1946 le général Gouraud, « au milieu des soldats qu'il a tant aimés » dit l’épitaphe sur sa tombe. Enfin, on peut relever le nom sur le panneau communal de Souains-Perthes-les-Hurlus : le premier village (Souains) a accolé le nom du second au sien après la guerre, une pratique fréquente dans la Marne pour commémorer les villages détruits.
Le reportage permet donc d’aborder deux questions particulièrement prégnantes dans l’étude actuelle de la guerre, témoignant d’une certaine continuité dans les problématiques soulevées par la période.
Transcription
(Cliquez sur le texte pour positionner la vidéo)
(Bruit)
Jérôme Bellay
Valmy, 1792, la terre de Champagne et d’Ardenne n’en était pas à ses derniers mots.Il y aura encore 1870 et Sedan, puis la Grande Guerre qui, de 1914 à 1918, allait semer la mort et la dévastation sur toutes nos régions frontières.De cette grande guerre, des tranchées fameuses va sortir un héros presque légendaire, un surhomme ou tout simplement un homme, le Poilu.Un homme parmi ces quelques huit millions qui, de 14 à 18, allait gravir les dures étapes successivement de la guerre de mouvement puis de la longue guerre d’attente, des tranchées.
(Musique)
Maurice Roussin
La phase des combats, si vous voulez, en rase campagne, s’est déroulée tout d’abord aux frontières, en Alsace, en Lorraine, et puis en Belgique.En Belgique, l’armée française a été défaite à partir du 22 août 1914, et obligée de rebattre en retraite.La retraite de l’Armée française n’a pas été une déroute.Elle a été savamment étudiée par le Général Joffre, généralissime des armées françaises.Le repli s’est fait jusqu’au Sud de la Marne, dans la région de Fère-Champenoise - Sézanne.Et, le 6 septembre 1914, dans un ordre du jour mémorable dont je ne peux pas vous donner les termes exacts, mais où il était dit qu’il fallait cesser de reculer, et toute troupe qui ne pourrait plus avancer, c’est-à-dire qui ne pourrait pas réagir, devrait plutôt se faire tuer sur place, plutôt que d’abandonner le terrain.
Jérôme Bellay
L’ordre est là, il ne faut pas perdre un pouce de terrain, de part et d’autre, on creuse des tranchées dans lesquelles on va s’installer pour près de 3 ans, notamment sur les monts de Champagne.
Maurice Roussin
En somme, nous parlons en ce moment du secteur de la quatrième armée qui s’étendait de la Pompelle... de Reims, n’est-ce pas, de Reims à l’Argonne.Elle comprend les monts de Champagne, ici, une partie de l’Argonne, et puis alors la plaine qui s’étend entre Beine et Reims.
Jérôme Bellay
Il y avait beaucoup d’hommes dans ces tranchées ?
Maurice Roussin
Ah, ben, évidemment !Les tranchées étaient garnies de divisions entières, n’est-ce pas, avec une petite partie en réserve, pendant que les troupes étaient en tranchée, d’autres, des effectifs à peu près égaux, étaient au repos.Alors ces tranchées-là comportaient évidemment un parapet, il comportait des boyaux d’accès qui étaient faits, creusés en zigzag, de manière à éviter aux troupes qui montaient en ligne ou qui en descendaient, d’être pris en feu d’enfilade par les mitrailleuses ennemies.
Jérôme Bellay
La vie de ces soldats, dans le froid et la boue, est des plus pénibles.Et face à ce martyre quotidien, il leur faut encore trouver le courage de combattre.Ce sont deux anciens combattants de cette époque, après Monsieur Maurice Roussin, L’Abbé Courtaux de Mourmelon-le-Grand qui évoque pour nous le véritable duel avec la mort, mené chaque jour par l’homme des tranchées.
(Musique)
Abbé Courtaux
Eh bien, la plupart des anciens combattants partaient le cœur gai, croyez-moi.Et, en même temps, avec le sentiment familial... J’ai vu de ces pauvres malheureux, mes camarades, tomber sous le fardeau, et tomber absolument inépuisés, et incapables de se relever.Quand la relève était terminée, on essayait bien de les relever ces camarades, mais la plupart du temps, croyez-moi, ils étaient morts.Les rats, c’étaient nos compagnons pour ainsi dire.Et le pain rongé par les rats, et ce pain gelé qu’il fallait couper avec des haches, et ce vin congelé qu’il fallait également couper pour le sucer quand on avait trop soif.Et puis, ces veillées épuisantes sous des froids de 25 et 30 degrés, je vous assure, et des nuits absolument épuisantes au cours desquelles tout de même le commandement avait pitié, en nous envoyant deux ou trois fois, au cours de la nuit, ce que l’on appelait la gnôle, la vulgaire gnôle.Mais tout de même avait un don particulier, c’est-à-dire d’entretenir encore la vie, et non seulement d’entretenir la vie, mais de nous donner encore un coup de foi.
Jérôme Bellay
Du fond de ces tranchées, la Der des Der ne semblait vouloir jamais se terminer.En plus de sa misère et de son fardeau, le fantassin menait cette épuisante guerre sans fin, sans but apparent, c’était l’attente.L’attente sous le feu continu de l’artillerie, le harcèlement constant des mitrailleuses ennemies, d’une tranchée à l’autre, pour avancer de quelques kilomètres, parfois seulement de quelques mètres.
(Musique)
Jérôme Bellay
Et si les conditions de vie, de survie dans la tranchée étaient difficiles, elles l’étaient aussi dans les combats.
(Musique)
Maurice Roussin
Les obus ont été tirés en quantité telle qu’un officier allemand a cité un chiffre absolument astronomique, à tel point qu’on pouvait dire qu’il n’y avait pas un mètre carré sur la partie du front allemand qui n’avait pas reçu son obus.Mais pour la bataille de la Marne, on manquait d’artillerie, on a été obligé de retirer les canons des forts de Reims pour les mettre aux armées.Vous savez qu’on avait comme artillerie de valeur que le canon de 75, qui était supérieur au canon allemand pour deux raisons, c’est parce qu’en une minute, on arrivait à tirer deux fois plus d’obus que les Allemands.Bon.Et puis, il avait un recul à peu près nul.Les Allemands avaient le 77, mais par contre, ils avaient beaucoup d’artillerie lourde et beaucoup de mitrailleuses.Or, nous, nous n’avions que, une section de mitrailleuse par régiment, c’est-à-dire, deux mitrailleuses par régiment.Et en matière d’artillerie lourde, on avait expérimenté au camp ici avant la guerre, le canon Rimailho qui était un canon de 105 construit sur les mêmes principes que les canons de 75.Mais, à la Chambre des Députés, ces messieurs ont refusé une majeure partie des crédits demandés pour l’artillerie lourde et pour l’aviation.
Jérôme Bellay
Ce combattant des tranchées, héros de tous les jours, est resté pourtant généralement anonyme.Il est, ils sont tous le Poilu de 14, un fantôme aux dimensions gigantesques, leurs noms, seules les croix des cimetières savent encore le dire.Et cette terre, des monts de Champagne, du Chemin des Dames à l’Argonne, reste marquée à tout jamais, du sceau de leurs souffrances.
(Bruit)(Musique)
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