La forêt de Haguenau, en quête du label de forêt d’exception

Cette forêt qui s’étend sur 13 406 hectares est la plus grande forêt domaniale de France dite indivise. Ce statut est un héritage d’une ordonnance de Louis XIV datant du 28 août 1696, qui a transformé des droits d'usage pluriséculaires en un droit de propriété, suite à une longue négociation. Depuis cette date, la ville de Haguenau et l'Etat en sont les copropriétaires à parts égales. 

Cette forêt présente de nombreuses spécificités remarquables. C’est la seule forêt française de type médio-européen (présence naturelle de pins sylvestres et de chênes sessiles et pédonculés) car située à l’interface des forêts feuillues de l’Europe occidentale et des forêts résineuses de l’Europe septentrionale. De plus, la forêt indivise de Haguenau n’a jamais été défrichée, du fait de la faible fertilité des sols et de son caractère marécageux car située sur les cônes alluviaux formés par la Moder et la Sauer. Cela offre quantité d’habitats à une faune et une flore rares comme la cigogne noire, des castors, le pic mar ou encore l’osmonde royale (fougère rustique). Certaines espèces sont même sur la liste des espèces protégées comme le crapaud sonneur à ventre jaune et le triton crêté ou encore la chouette de Tengmalm. La quasi-totalité de la forêt est protégée au titre du dispositif Natura 2000 depuis 2003 dont 250 hectares sont des réserves biologiques mixtes. On apprend sur le site de l’ONF que ces réserves sont de deux types : d'une part, les réserves biologiques dirigées (RBD), où l'ONF applique une gestion particulière pour la conservation d'espèces ou de milieux naturels rares et vulnérables ; d'autre part, les réserves biologiques intégrales (RBI), soustraites à la sylviculture et qui constituent de précieux témoins de la forêt en évolution naturelle. Ces dernières sont en effet des terrains d’étude de la dynamique naturelle sur le long terme de la forêt dans un contexte de changement climatique. 

En outre, cette forêt contient un patrimoine archéologique et culturel exceptionnel, témoin des liens qui unissent les habitants du territoire à leur forêt depuis des siècles. On y trouve l'une des plus grandes concentrations de tertres funéraires d'Europe. Regroupant près de 800 tumuli, d'environ 15 mètres de diamètre chacun, les 23 nécropoles de Haguenau constituent l'un des ensembles funéraires les plus représentatifs de l'âge du bronze et de l'âge du fer en Europe occidentale. 

Mais cette forêt est aussi exploitée et sert pour moitié à l'approvisionnement de la filière bois locale grâce à ses pins sylvestres à croissance rapide. Benoît Cuillier, directeur de l’ONF Nord Alsace précise dans le reportage que les chênes remarquables qu’abrite aussi cette forêt ont une valeur marchande très intéressante car ils sont notamment recherchés en tonnellerie (la vente de ces chênes représente 30% des recettes pour seulement 5% des volumes). D’autres ressources de cette forêt ont été exploitées par les hommes, comme ses carrières d'argile, à l'origine du développement de la poterie traditionnelle dans les villages de Betschdorf et Soufflenheim. La forêt est également située sur l'un des plus anciens champs pétrolifères du monde (celui de Pechelbronn) exploité aux XVIIIe et XIXe siècles.

De part ces nombreux atouts, l’ONF, les élus municipaux et des acteurs locaux se sont lancés dans une démarche visant à obtenir le label Forêt d’Exception pour valoriser toutes ces richesses et mettre en commun les intelligences de tous les acteurs de la forêt. Le label Forêt d’Exception ne correspond pas à un nouveau statut de protection car la moitié des forêts labellisées a au moins une réserve biologique, 60% de leur surface appartiennent au réseau Natura 2000, 18% de leurs 135 000 hectares se situent en site classé au titre de la loi de 1930. Les objectifs de cette labellisation sont plutôt d’assurer une gestion durable de la forêt, d’être un levier du développement économique local et de mettre en valeur le patrimoine naturel et historique. Les forêts retenues font l’objet d’expérimentations innovantes dans les domaines de l’aménagement et de la gestion des milieux naturels et de leurs écosystèmes. C’est ainsi qu’en mars 2021, un avion équipé d’une technologie de cartographie 3D a survolé la forêt, ce qui permettra d’en savoir davantage sur les traces que l’homme y a laissées dans le passé, mais aussi d’optimiser les décisions pour la renaturation des cours d’eau. 

Au moment du reportage, 7 forêts domaniales avaient déjà obtenu ce label parmi les 1 500 forêts domaniales gérées par l'Office national des forêts sur l'ensemble du territoire, elles sont au nombre de 15 en 2022, dont Haguenau qui s’est vu officiellement décerner le label le 30 janvier 2020. 

Un comité national d'orientation composé de représentants des ministères de tutelle, d’experts interdisciplinaires et de représentants de l’ONF a inscrit la forêt indivise de Haguenau sur la liste des forêts présélectionnées pour l’obtention du label le 11 février 2015 et un protocole d’accord a été établi par le comité de pilotage local (représentant une quarantaine d’acteurs locaux) en novembre 2016 qui précise les grandes orientations retenues pour s’inscrire dans la démarche Forêt d’Exception. 

Ce reportage intervient au cours de l’été 2017 et donne la parole à certains acteurs de ce comité de pilotage : des élus de la ville, des agents et responsables de l’ONF et des chargés de mission et de projet Forêt d’Exception. Certaines parties prenantes au projet n’apparaissent cependant pas dans ce reportage, comme par exemple certaines associations naturalistes, des chasseurs, des acteurs de la filière bois ou encore le Club Vosgien. Les contraintes liées au format court du reportage dans le cadre d’un journal télévisé peuvent expliquer ces choix et peut-être aussi que cela était l’occasion de mettre un éclairage particulier sur le statut de forêt indivise en donnant principalement la parole à ses copropriétaires. Les arguments développés par les différentes personnes interviewées sont ceux qui seront par le suite inscrits dans le contrat de projet signé le 26 février 2019 et qui sont mis en œuvre pour 5 ans depuis la labellisation officielle le 30 janvier 2020 à travers une trentaine d’actions. 

Aurélia Rodrigues, chargée de mission forêt à la ville de Haguenau, qui intervient au début de ce reportage évoque en mai 2022 dans un article de la revue Saisons d’Alsace consacré à la forêt que ce label vise à faire de la forêt un labo d’expérimentations, à imaginer la gestion forestière de demain sous tous ses aspects : l’accueil du public, la préservation des enjeux environnementaux et le volet éco. La démarche Forêt d'Exception renforce le lien historique entre l'Homme et la forêt (la légende rapporte Saint Arbogast, 6e évêque de Strasbourg, aurait vécu en ermite au pied du célèbre Gros Chêne dans cette forêt) en faisant de cette dernière un véritable outil de développement durable à différentes échelles.  Il s’agit par exemple de dynamiser et valoriser la filière sylvicole locale en réfléchissant à de nouveaux débouchés pour cette dernière mais aussi d’envisager l’accueil de la forêt dans sa dimension transfrontalière (plus de 200 kilomètres de sentiers balisés existent déjà et un pôle d’accueil touristique en forêt est en projet) alors qu’il est mentionné dans le reportage que cette forêt est surtout le lieu de rencontre des Haguenauviens. 

Le renouvellement du label au bout de 5 ans consacrerait véritablement les initiatives menées dans le cadre de ce projet Forêt d’Exception.