Ce reportage a été diffusé en mai 2018, soit deux mois avant l’examen par le Comité du patrimoine mondial de l’Unesco de la candidature des « sites funéraires et mémoriels résultant de la Première Guerre mondiale ». Il permet de revenir sur les atouts d’un dossier dont la construction a démarré en 2012. En 2014 il s’est retrouvé classé sur la liste indicative de l’Unesco, la même année donc que la ville royale et impériale de Metz (cf. notice de I. Chalier sur le dossier présenté par Metz à l’Unesco). Cette étape indispensable n’implique pas automatiquement une inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité. Ainsi le château de Vaux-le-Vicomte est toujours sur la liste indicative et ce depuis 1996.
Ce dossier présente plusieurs spécificités et atouts. Son étendue d’abord. Il correspond à 750 km de lignes de front, de la mer du Nord à la frontière franco-suisse et rassemble des paysages qui témoignent de la violence des combats. Il englobe un total de 105 éléments (80 pour la France sur 13 départements et 25 pour la Belgique) pour 86 sites, des nécropoles et des mémoriaux, mais pas de champs de bataille à proprement parler même s’ils peuvent se confondre comme dans le cas de Verdun. Ces sites font ainsi partie de ce que l’Unesco appelle les biens en série. L’inscription des premiers biens en série sur la liste du patrimoine mondial intervient dès le début, en 1979, avec des biens culturels comme les sites préhistoriques et les grottes ornées de la vallée de la Vézère en France. Cette notion est ainsi définie en 1980 par l’Unesco : ce sont des biens séparés géographiquement mais reliés entre eux parce qu’ils appartiennent à un même groupe historico-culturel et à condition que ce soit la série en tant que telle et non ses éléments constitutifs pris individuellement, qui revête une valeur universelle exceptionnelle. La candidature est d’ailleurs ici portée par deux Etats, la France et la Belgique et d’autres pays la soutiennent comme l’Allemagne représentée dans le dossier par des cimetières allemands.
Elle s’inscrit alors, autre atout majeur, dans une conjoncture qui vient lui donner tout son sens : la dernière année des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale et la crainte d’une chute d’intérêt des populations pour les sites de la Grande guerre, une fois le centenaire passé. D’ailleurs, l’Unesco a participé à ces commémorations par des manifestations en 2014 autour du patrimoine culturel subaquatique et des milliers de navires qui ont coulé dans des batailles navales, entraînant la perte de millions de vie.
Le reportage alterne images animées de la Grande guerre, issues du ministère des Armées, et interviews d’acteurs qui soutiennent ou non la candidature et mettent en avant leurs arguments respectifs.
Il donne ainsi la parole à l’historien Laurent Jalabert, maître de conférences en histoire moderne à l’université de Lorraine, et auteur en 2015 d’un livre intitulé Post mortem. Patrie et corps du soldat. Entre l’oubli et la reconnaissance (1914-1918). Il rappelle qu’à partir de novembre 1914, l’Etat français interdit l’exhumation des cadavres, et les familles doivent attendre pour récupérer le corps des défunts. Pour les satisfaire, on donne aux soldats morts au combat une sépulture identifiable, tout en illustrant le sacrifice des soldats pour la nation au moyen de nécropoles nationales, véritables marqueurs mémoriels.
Finalement les pratiques funéraires durant la Grande Guerre permettent d’introduire de l’humanité dans l’inhumanité. Les promoteurs du dossier mettent aussi en avant la dimension réparatrice et réconciliatrice des sites qui rassemblent les sépultures de soldats de différentes origines et confessions. Les images d’archives montrent ainsi l’engagement des troupes coloniales, avec les tirailleurs sénégalais, et la caméra s’attarde sur les tombes musulmanes et le monument hébraïque de Douaumont.
Lionello Burtet, directeur de l’Office du tourisme du Grand Verdun, souligne ensuite les retombées économiques que peut entraîner un tel classement (cf notice de M. Metge sur l’oenotourisme). En 2016, plus de 500 000 visiteurs se pressaient à Verdun, une fréquentation exceptionnelle liée au centenaire de la Grande Guerre. Et un classement Unesco pourrait conduire à une hausse de 20 à 30% de ce tourisme mémoriel, une manne non négligeable une fois le centenaire non terminé et pour des territoires à l’écart parfois des flux touristiques.
En contrepartie, le journaliste donne la parole à deux reprises à Mechtild Rössler qui exprime ses réticences sur le sujet. Elle dirige le Centre du patrimoine mondial, un organe créé en 1992 qui coordonne au sein de l’UNESCO les activités relatives au patrimoine mondial, qui organise les sessions annuelles du Comité du patrimoine mondial et qui conseille les Etats parties sur la préparation des propositions d’inscription. Son avis compte et elle s’interroge notamment sur la compatibilité de cette candidature avec le message de paix que porte l’Unesco, une instance internationale née avec l’ONU après la Seconde Guerre mondiale, au moment où le monde aspire à la paix et à la sécurité collective. Dès la fin de la guerre, en 1921, des champs de bataille comme le Hartmannswillerkopf sont classés aux Monuments historiques. Il faudra attendre 2019 pour certains mémoriaux comme celui des batailles de la Marne de Dormans.
Enfin, Mechtild Rössler soulève également la question des sites à prendre en considération : devra-t-on par exemple classer un jour les sites qui ont été le théâtre du génocide rwandais ? De plus elle rappelle que le classement est parfois une source de guerres entre les Etats avec le cas du temple de Preah Vihear que se sont disputés le Cambodge et le Laos, conflit qui a provoqué la mort de 60 personnes.
Réuni à Bahrein en juillet 2018, le Comité du patrimoine mondial de l’Unesco a intégré dix-neuf nouveaux sites et traditions sur les listes des chefs-d’œuvre dont les volcans d’Auvergne. Cependant, il a rejeté le dossier des sites funéraires et mémoriels de la Première Guerre mondiale, dont l’examen a été repoussé en 2021. Pour justifier ce report, l'Unesco a évoqué ses réticences à promouvoir des sites porteurs d'une "mémoire négative" ou « patrimoine négatif ». En même temps rappelons que Auschwitz-Birkenau a été classé dès 1979 et que le Dôme de Genbaku a été inscrit en 1996 sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco comme mémorial de la paix d’Hiroshima.