Un maire engagé au service de la ruralité

La ruralité se définit comme ce qui est rural, ce qui relève de la campagne et par définition, ce qui échappe à la ville. Posée ainsi, la définition permettrait de retrouver une opposition entre ville et campagne, commode pour penser l’espace, mais dont on comprend vite qu’elle porte une vision dépassée des territoires de vie des Français, dont les réalités sont plus complexes. 

Le monde de la ville a été défini par la présence de remparts jusqu’au milieu du XIX° siècle, et à partir de là, par l’industrie et ses paysages, puis la verticalisation des banlieues et des centres au milieu du siècle passé, et finalement un étalement, de l’habitat puis des activités, qualifié de périurbanisation à la fin des années 1980. A l’opposé de ce dynamisme, les campagnes sont d’abord le lieu de l’agriculture, des villages anciens, de l’exode rural des plus jeunes et d’une forme d’immuabilité. Cette dualité ne résiste pas à l’analyse contemporaine, si tant est qu’elle ait eue un jour une réalité si nette, et la géographie contribue à repenser les deux types d’espaces et surtout les rapports entre eux. L’Insee a défini de nouvelles catégories d’espaces, les aires urbaines en 1996 puis les aires d’attraction des villes en 2020, qui toutes les deux cherchent à caractériser un espace dans lequel les relations entre la ville-centre et les territoires plus ou moins densément peuplés sont animées par d’intenses mobilités. L’intérêt de ces catégorisations est de nous amener à redéfinir l’urbain et par conséquent le rural, dans un rapport d’une grande complexité qui bouleverse notre perception de l’espace. 

Certains géographes définissent le rural par rapport à l’urbain, selon un gradient d’urbanité qui veut exprimer le fait que les habitants des campagnes ont aujourd’hui des pratiques sociales proches de celles des citadins, allant même jusqu’à dire que le rural n’existe plus et validant d’une certaine façon les catégories de l’Insee. Dans cette compréhension de l’espace, il y a une sorte de dissociation entre l’espace géographique (la campagne) et l’espace social, visible dans le fait que les populations rurales ne vivent plus pour leur immense majorité du travail de la terre mais souvent de métiers exercés dans les villes plus ou moins proches. Cet habitant rural là serait donc, souvent dans un mouvement de retour (rappelons que l’exode rural a pris fin dans les années 1970 et que les communes rurales regagnent aujourd’hui des habitants) vers une nature parfois idéalisée, un citadin de la campagne. D’autres au contraire insistent sur le fait que le terme de ruralité, devenu très usité depuis les années 1990, recouvre des représentations et un rapport spécifique à l’espace, une territorialité particulière marquée par des éléments qui contribuent à créer un mode d’habiter particulier à cet espace : les faibles densités, les paysages marqués par l’agriculture et la forêt, l’importance de l’automobile. Les densités permettent notamment d’identifier des territoires de faible (moins de 30 hab/km²), voire de très faibles densités (moins de 10 hab/km²) dont la localisation est plus fine que la traditionnelle et inopérante diagonale du vide. On peut ainsi distinguer au sein du monde rural ce qu’on appelle l’hyper-ruralité, une catégorie qu’on peut définir autant par l’éloignement de tout centre urbain que la revendication de cet éloignement pour un habiter spécifique. Cela nous permet ainsi de souligner que la ruralité recouvre aujourd’hui des réalités très diverses selon les territoires, la Datar ayant par exemple distingué 7 campagnes différentes dans un document de prospective de 2011 souvent cité. 

La ruralité est encore une réalité pour un tiers des Français selon le maire des Voivres Michel Fournier. Si le chiffre est à discuter, il témoigne néanmoins du fait que ces quelques 20 millions de personnes ont un rapport au territoire, des besoins et des attentes particuliers face auxquels les maires ruraux sont en première ligne pour apporter des réponses. 

En novembre 2021, dans le cadre de son journal régional, France 3 Lorraine consacre un court sujet à Michel Fournier, maire sans étiquette des Voivres, une petite commune des Vosges située à 25 km au sud-ouest d’Epinal. Ce maire est un personnage extra-ordinaire : c’est un des 30 000 maires de communes rurales, mais c’est aussi le nouveau président de l’Association des maires ruraux de France. Le reportage permet de découvrir l’édile dans le lieu emblématique de la commune, la mairie et au contact des habitants, conformément à la représentation classique du maire, élu de terrain par excellence. 

Michel Fournier a été élu président de l’Association des maires ruraux, née en 1971, présente sur tout le territoire français et qui regroupe 12 000 élus. Cette association est un lieu d’échanges, mais aussi une structure d’entraide et de soutien technique dans les domaines de compétences des maires. L’action de cette association repose sur une charte en 10 points qui porte notamment sur la défense de la démocratie et de la liberté, le développement et le maintien des services publics, l’aménagement des territoires propre aux spécificités rurales, l’égalité républicaine. On retrouve les valeurs de la République et des enjeux fondamentaux qui font régulièrement l’objet de débats publics, notamment sur le maintien des services publics en milieu rural. Pour défendre tous ces sujets, l’association se veut une interlocutrice des pouvoirs publics, dans une logique de représentativité par les corps intermédiaires. La présidence de Michel Fournier est une de ses nombreuses responsabilités car il est aussi devenu vice-président de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, une autre façon de défendre la ruralité, et il est maire de son village depuis 1989, soit six mandats consécutifs en une période où les élections municipales peinent parfois à trouver des candidats et où nombre de maires ne font qu’un seul mandat tant la tâche est lourde. Un mot vient donc à l’esprit pour résumer le portrait : engagement. Cet engagement est associé à l’idéal de la République démocratique et peut se définir comme une motivation à agir au service des autres, marquée par une éthique forte de la responsabilité et un esprit d’initiative. C’est bien ce qu’exprime le maire au tout début, par l’expression ‘’ça oblige’’ et quand il souligne avoir appris à Emmanuel Macron que ‘’les territoires ruraux pouvaient être très innovants’’. 

Cet engagement à faire est bien ce qui transparaît des propos du maire et du journaliste lors de la déambulation communale. On notera que celle-ci permet de caractériser le village au travers des paysages et constructions, avec des images emblématiques comme la mairie, l’église ou l’école, mais aussi des activités avec des hommes qui rentrent du bois et un fer à cheval géant. Le dynamisme du maire transparaît lors de cette balade qui est l’occasion d’appréhender ses pouvoirs. Ce dernier a en réalité une double mission. Le maire est chargé de remplir, au nom de l'État, certaines fonctions administratives et judiciaires : Etat-civil, organisation des élections … Mais il est surtout, et c’est ce qui nous intéresse ici, un élu d’une collectivité locale, chargé de mettre en œuvre les décisions prises par le conseil municipal élu pour six ans. Le reportage montre donc quelques-unes des réalisations du maire autour de deux sujets considérés comme essentielles à la vitalité d’un village : la création d’emplois locaux et le maintien de l’école, deux indispensables si l’on veut maintenir ou attirer des familles dans les villages. C’est là que le maire des Voivres a semble-t-il montré la capacité à innover qui lui vaut sa notoriété. 

La conclusion du maire nuance cependant son action : il souligne les limites de ses pouvoirs et pointe ainsi ce qui est souvent une source de mécontentement entre élus et électeurs qui attendent souvent plus de l’échelon local que des échelons supérieurs.