Les militants de Génération Identitaire au col de l'Échelle
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Des militants d'extrême droite du groupe Génération Identitaire ont empêché l'entrée de migrants sur le territoire français à l'aide de banderoles, barricades et hélicoptère au col de l'Échelle (Hautes-Alpes). Ces jeunes de moins de 30 ans anti-immigration et anti-islam, revendiquent 3 000 membres. L'opération aurait coûté 30.000 euros. Comment a-t-elle été financée ? Qui se cache derrière ce groupuscule ?
Date de diffusion :
23 avr. 2018
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ParDocteur en Histoire contemporaine, Post-doctorant à Aix-Marseille Université
Au cours de l’année 2017 et malgré les dangers d’une telle traversée, près de deux mille migrants originaires d’Afrique, dont beaucoup de mineurs, ont franchi le col de l’Échelle pour pénétrer dans l’Hexagone. Ce point de passage alpin situé entre Haut Piémont et Briançonnais a vu jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale passer beaucoup d’Italiens à la recherche d’un travail ou de la liberté, et il en a été de même pour de nombreux Yougoslaves dans les années 1960. Aujourd’hui comme hier dans la neige et de nuit, pour échapper aux forces de l’ordre, les migrants n’hésitent pas à parcourir, par des températures très froides et sans équipement adéquat, la trentaine de kilomètres séparant la gare de Bardonnèche (Bardonecchia) de Briançon, la sous-préfecture des Hautes-Alpes, en passant à 1762 m d’altitude. Le franchissement de la frontière par le littoral entre Vintimille et Menton ou le passage par la vallée transfrontalière de la Roya s’avèrent en effet désormais plus compliqués en raison de la forte présence policière (voir Un agriculteur de la vallée de la Roya est jugé pour avoir aidé des migrants). A l’inverse le non déneigement du col de l’Échelle au cours de la saison hivernale restreint les patrouilles de la gendarmerie, qui sont néanmoins très loin d’être inexistantes, y compris de nuit. L’interception de ces individus conduit à leur refoulement immédiat en territoire italien. Les migrants peuvent toutefois compter sur une chaîne de solidarité de part et d’autre de la frontière franco-italienne au sein de laquelle interviennent simples bénévoles et professionnels de la montagne, avec la bienveillance de l’intercommunalité de Briançon, surtout désireuse d’éviter une succession de drames mortels en montagne (voir La traversée à hauts risques des frontières par des migrants dans les Hautes-Alpes).
En stricte opposition à ces anonymes investis, tout au long de l’année, dans une optique humanitaire, entre quatre-vingt et cent militants du groupuscule d’extrême droite Génération Identitaire occupent à partir du samedi 21 avril 2018 et jusqu’au lendemain le col de l’Échelle. A grand renfort de moyens (deux hélicoptères, un avion, des pick-ups et des drones), leur objectif est de faire un coup médiatique en dénonçant le supposé laxisme de l’État qui serait dans l’incapacité de contrôler la frontière. Au terme d’une ascension en raquettes, ils déploient sur le flanc de la montagne une immense banderole sur laquelle on peut très distinctement lire en anglais « Closed Border You will not make Europe Home ! No way Back to your Homeland » (« Frontière fermée vous ne ferez pas de l’Europe votre maison ! Ne passez pas. Retournez dans votre pays ! »), puis ils plantent symboliquement des grillages de chantier en plastique pour « rétablir la frontière et repousser les migrants clandestins ». Selon le quotidien La Provence ces jeunes âgés de moins de trente ans sont majoritairement français mais aussi italiens, allemands, autrichiens, hongrois, anglais ou danois. En réaction dès le dimanche 22 avril dans l’après-midi environ cent cinquante citoyens italiens, dont des membres de collectifs anti-fascistes et pro-migrants, organisent une « traversée solidaire » au départ du village transalpin de Clavière en compagnie d’une quarantaine de migrants, alors que les activistes de Génération Identitaire quittent tout juste le col de l’Échelle. Prévenues, les forces de l’ordre attendent le groupe au col de Montgenèvre mais en infériorité numérique ne sont pas en mesure de les empêcher de poursuivre leur périple vers Briançon, leur destination finale. L’action des identitaires est largement mieux relayée par les médias que la seconde, ce qui révèle à l’évidence une communication bien huilée du côté des militants d’extrême droite qui ont davantage le sens de la mise en scène et surtout plus de moyens financiers, cette seule opération ayant coûté 30 000 euros. La source de ces financements conséquents demeure opaque et proviendrait, selon les responsables, du groupe d’appels au don lancés sur internet, mais aussi de « chefs d’entreprise à qui nous avons présenté le projet, l’idéologie de notre mouvement, et qui ont accepté de nous soutenir ».
Génération Identitaire est à l’origine la branche jeunesse du Bloc identitaire et s’inscrit dans la mouvance identitaire. Cette école de pensée de l’extrême droite européenne est idéologiquement active en France depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000, tout en plongeant une partie de ses racines dans la Nouvelle Droite des années 1970. Dans une vision civilisationnelle, elle entend défendre une Europe blanche et catholique contre les multiples dangers qui selon elle la guette, tels l’immigration extra-européenne ou l’islamisation, afin d’éviter que ne se produise ce qu’ils qualifient, à la suite de l’écrivain extrémiste Renaud Camus, de « grand remplacement ». Nationaliste, elle revendique aussi une dimension régionaliste affirmée qu’a bien illustrée, à Nice, Nissa Rebela en organisant des soupes au lard caritatives pour en exclure les musulmans tout en professant son slogan « Oui à la socca non au kebab » et en militant pour l’apprentissage du nissard. De son côté Génération Identitaire se fait connaître en octobre 2012 en occupant le chantier de construction de la mosquée de Poitiers, alors que l’on peut lire sur son site internet « Il y a bientôt 1 300 ans, Charles Martel arrêtait les Arabes à Poitiers ». Puis suivent d’autres opérations coups de poings, comme en mars 2016 l’occupation de ponts de Calais pour « en bloquer l’accès aux immigrés clandestins », et surtout en juillet 2017 l’affrètement du navire C-Star pour empêcher les ONG opérant en Méditerranée de remplir leur mission de secours à l’égard de migrants à la dérive (voir À Marseille 4000 personnes manifestent leur soutien à l'Aquarius et à SOS MEDITERRANEE).
Le moment choisi pour cette nouvelle opération de communication au col de l’Échelle ne doit rien au hasard, puisque simultanément se déroule à l’Assemblée nationale la discussion du projet de loi asile et immigration, qui vise non seulement à raccourcir les délais de dépôt et de traitement des demandes d’asile mais aussi et surtout, au nom de la lutte contre l’immigration irrégulière, à sécuriser l’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) en faisant passer la durée maximale de rétention pour les personnes en attente d’expulsion de 45 à 90 jours. Apprenant ce qui se déroule au-dessous de Briançon, Jean-Luc Mélenchon député de la France insoumise (voir Jean-Luc Mélenchon élu député des Bouches-du-Rhône) demande au ministre de l’Intérieur Gérard Collomb « ce qu’il compte faire pour empêcher que dorénavant les frontières soient protégées par les amis de Madame Le Pen », alors que de nombreux autres membres de la classe politique expriment, eux aussi, leur indignation.
D’abord désignée persona non grata au sein d’un Front national tentant de se dédiaboliser, la mouvance identitaire gagne à présent en influence à l’intérieur du parti d’extrême droite. Après son départ du Bloc identitaire en 2013, le Niçois Philippe Vardon, fondateur de Nissa Rebela, se rapproche du Front national devenu en juin 2018 Rassemblement national. Il est élu en 2015 conseiller régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur sur la liste conduite par Marion Maréchal-Le Pen, devient membre du bureau national du parti frontiste et l’un de ses responsables dans les Alpes-Maritimes. Il participe en outre activement en 2017 à la campagne présidentielle de Marine Le Pen. Le 1er mai 2018 à Cannes, cette dernière rend d’ailleurs explicitement hommage à l’action menée par Génération Identitaire au col de l’Échelle. Pour ces mêmes actes, le tribunal correctionnel de Gap condamne, en 2019, à de la prison ferme trois membres du groupuscule d’extrême droite et inflige à ce dernier une lourde amende. Entre temps, en octobre 2018, cela n’a pas empêché Génération Identitaire de s’attaquer à Marseille au siège de SOS MEDITERRANEE, ONG honnie de ses militants, en raison de son œuvre de secours en mer au profit des frêles embarcations sur lesquelles des migrants de tous âges tentent au péril de leur vie de traverser la Méditerranée.
Bibliographie
- Jean-Yves Camus et Nicolas Lebourg, Les Droites extrêmes en Europe, Paris, Le Seuil, 2015.
- Stéphane François, "Comment l’extrême droite radicale se recompose en France", The Conversation, 28 mars 2018, [https://theconversation.com/comment-lextreme-droite-radicale-se-recompose-en-france-94072)
- Stéphane François, « Les Identitaires, nouvelles milices à nos frontières ? », The Conversation, 24 avril 2018 (https://theconversation.com/les-identitaires-nouvelles-milices-a-nos-frontieres-95548)
- Philippe Hanus, « Les secrets d’une frontière, à Modane et dans les Alpes franco-italiennes, de 1860 à nos jours. Traces, patrimoines et mémoires », In Situ [Online], 38, 2019.
Transcription
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