Terre de fer, un spectacle en hommage aux anciens mineurs

La désindustrialisation de l'Europe de l'Ouest a provoqué la disparition de secteurs entiers de l'économie, comme l'exploitation minière, ou au moins une réduction drastique des effectifs : 95 % des emplois de la sidérurgie lorraine ont disparu entre 1960 et 2013. Visant à pallier le recul des anciennes industries lourdes par l'implantation de nouvelles activités économiques, les différentes politiques de reconversion se fondent souvent sur un même constat : l'un des principaux handicaps des territoires concernés tient à un défaut d'attractivité pour les populations de cadres et plus généralement pour les entreprises du secteur tertiaire. En effet, les économies régionales contemporaines ne prospèrent généralement plus proportionnellement à leur niveau de production mais grâce à leur capacité à attirer des personnes dotées de revenus conséquents. Cette volonté d'attractivité passe par le développement d'une production culturelle destinée à attirer des ménages issus des classes moyennes et supérieures sensibles à l'offre culturelle émanant d'un territoire. Cela aboutit à des créations artistiques originales telles que Terre de fer, spectacle de danse donné à la Kulturfabrik d'Esch-sur-Alzette dont il est question dans ce reportage et qui rend hommage de manière poétique aux ouvriers des mines de fer et de la sidérurgie, travailleurs immigrés et autochtones qui les ont accueillis ainsi qu’aux lieux au sein desquels tous ensemble ils ont travaillé.

Les initiatives de ce type, contribuent à la fixation dans l'imaginaire collectif d'un certain nombre de lieux communs comme les luttes sociales, les accidents du travail, la solidarité virile, ou encore les vagues migratoires successives. Ces arêtes saillantes de la mémoire industrielle, pour réelles qu'elles soient, dissimulent parfois la complexité et la diversité des situations locales. Ainsi, de la fin de la Seconde Guerre mondiale au commencement du XXI^e siècle, la part des ouvriers immigrés diminue fortement au sein des mines de fer et de la sidérurgie française. La structure de cette population évolue également : les ressortissants polonais ou italiens cèdent le pas face aux Maghrébins, fait dû à la naturalisation progressive des représentants des vagues les plus anciennes d'immigration. La situation luxembourgeoise diffère radicalement, la proportion de travailleurs étrangers dans la sidérurgie tendant à augmenter, jusqu'à devenir majoritaire en 2001. Il s'agit ici d'une immigration plus volontiers frontalière, faite de Belges et surtout de Français dont la part augmente régulièrement, même si les Italiens représentent également un contingent non négligeable.

Les créations originales telles que Terre de fer complètent la promotion d'un tourisme industriel qui passe par la conservation de certaines friches remarquables. En effet, le recul des industries lourdes laisse un paysage d'installations abandonnées parfois classées monument historique ou dont la démolition serait mal perçue par la population locale. Certaines de ces friches ont été réinvesties par des institutions ou des associations pour servir de lieux de mémoire et d'invitations au tourisme industriel. C'est le cas du musée des mines de fer de Neufchef, du musée des mineurs de Petite-Rosselle, ou encore du parc de l'U4 à Uckange. L'ancien centre de la sidérurgie luxembourgeoise d'Esch-Belval bénéficie d'ailleurs d'un réaménagement révélateur : deux anciens hauts-fourneaux sont conservés pour former le Centre national de la culture industrielle au sein d'un site abritant désormais de nombreux immeubles de bureaux, l'Université du Luxembourg et la Rockhal, une importante salle de spectacles, entre autres.

• Laurent Davezies, La République et ses territoires, Paris, Seuil, 2008, 96 p.
• Pascal Raggi, La désindustrialisation de la Lorraine du fer, Paris, Classiques Garnier, 2019, 506 p.