Lumen-Lumina à Audun-le-Tiche

En août 1992, date du reportage de France 3 Lorraine, les activités de la mine Sainte-Marie - le plus anciens puits à minerai de fer de France - battent de l’aile. Cette mine se situe dans le Pays Haut, à Audun-le-Tiche en Moselle, à quelques encablures à peine du complexe sidérurgique d’Esch-Belval au Luxembourg, son unique débouché industriel juste de l’autre côté de la frontière. En dix années, la mine est passée de 1 200 à 300 employés témoignant de la crise qui affecte la sidérurgie et les mines de fer depuis le premier choc pétrolier en 1973. Les commandes de minette (minerai lorrain à faible teneur en fer) s’effondrent au profit d’importations internationales moins coûteuses car plus riches en fer, comme le minerai danois. L’apparition de hauts-fourneaux électriques permet également, désormais, de fondre de la ferraille.

Face à la fermeture inéluctable à court terme de la mine Sainte-Marie - elle sera effective en 1997 - la commune d’Audun-le-Tiche tente de modifier de manière positive son image à travers un événement artistique populaire autour de la mémoire de la cité et de sa mine, de ses ouvriers. Il s’agit d’aller au-delà du désarroi légitime des anciens mineurs retraités en en se projetant aussi vers l’avenir. Une stratégie qu’analyse, en ouverture du reportage de France 3, Elvio Formica, alors maire-adjoint d’Audun, tout en soulignant que le Luxembourg voisin demeure un pourvoyeur d’emploi important pour l’avenir. Ce qui s’est largement vérifié depuis.

La commune a confié au metteur en scène champenois Bernard Namura la création d’un spectacle intitulé Lumen-Lumina. Monté avec la participation de comédiens amateurs de différentes communes environnantes, il sera donné en plein air sur le site même d’une carrière à ciel ouvert désaffectée. Le personnage central – la Nonna, interprété par Simone Kartheiser - est une vieille centenaire aveugle. Elle incarne métaphoriquement l’histoire de la mine et de ses ouvriers, des habitants d’Audun-le-Tiche, dont plupart sont des fils migrants originaires d’Italie. Cette identité migratoire d’une main d’œuvre venue également de Pologne, dans une moindre mesure, est commune à tout le bassin ferrifère de la Lorraine du Nord. Angel Filippetti maire d’Audun-le-Tiche à l’époque de la création du spectacle, est tant au niveau local que départemental une figure politique de premier plan. Ancien mineur de fer à la Société minière des Terres Rouges - une filiale de l’ARBED (Aciéries Réunies de Burbach-Eich-Dudelange) - il a été délégué syndicaliste CGT, membre du comité fédéral du Parti Communiste mosellan, conseiller général de la Moselle et président de l’Association transfrontalière du bassin supérieur de l’Alzette. Issu d’une famille de six enfants, il voue un culte à la mémoire de son père, militant antifasciste italien de Moselle mort en déportation en 1945. Il n’avait alors que six ans.

Souffrant d’un cancer, Angel Filippetti décèdera le 15 septembre 1992, trois semaines seulement après la création de Lumen-Lumina dont il fut, au plan symbolique, l’une des figures majeures. Bon sang ne saurait mentir : sa fille Aurélie, née en 1973 à Audun-le-Tiche, est devenue députée de la Moselle en 2007, puis ministre de la Culture, de 2012 à 2014, sous la présidence de François Hollande. Elle est également l’auteur d’un roman paru en 2003 chez Stock (Les derniers jours de la classe ouvrière) qui évoque l’histoire de sa famille et des « mineurs d’Audun », de la sidérurgie lorraine agonisante. La commune d’Audun-le-Tiche est jumelée avec la ville italienne de Gualdo Tadino (ville de Ombrie), d’où sont originaires nombre de mineurs de fer du Pays Haut. La lumière de Lumen-Lumina n’est pas près de s’éteindre.