L'opposition au stockage des déchets radioactifs en Mayenne

« Mission Granit ». C’est sous ce nom de code aux allures de superproduction hollywoodienne – on pense évidemment à Mission impossible – qu’est désigné l’un des épisodes les plus conflictuels de l’histoire contemporaine en Mayenne. Il n’est pas si fréquent en effet que ce département, ordinairement réputé paisible, ait droit à un sujet de plus de 3 minutes dans le journal télévisé national de 13 h sur France 2, avec un lancement assuré par les journalistes vedettes Rachid Arhab et Carole Gaessler. Il faut dire que l’actualité du début de l’année 2000 le justifie amplement, et la mission Granit en est l’élément déclencheur. Pour comprendre cette affaire, il faut d’abord dire quelques mots de la gestion des déchets radioactifs en France au tournant du XXe et du XXIe siècles ; après quoi il sera possible d’évoquer les diverses actions spontanées ou organisées, menées en Mayenne en réaction à cette actualité.

La gestion des déchets n’est pas un sujet tabou en Mayenne, qui compte plusieurs acteurs dans ce secteur d’activité avec les groupes Passenaud et Séché (voir Le président Jacques Chirac en Mayenne). La particularité des déchets radioactifs tient à leurs effets sur des temps très longs. La radioactivité est la capacité de certains atomes (composant la matière), tels l’uranium ou le plutonium, à être instables et à changer spontanément de forme, en produisant un rayonnement ou des particules. Ce phénomène énergétique naturel, connu depuis les travaux de Wilhelm Röntgen, Henri Becquerel et Marie Curie dans les années 1890, a été progressivement appliqué dans le secteur de l’armement, avec l’apparition de la bombe atomique dans les années 1940, et dans celui de la production électrique dans la décennie suivante. Le rayonnement ainsi généré est extrêmement puissant mais, reposant sur l’instabilité de la matière, il est également difficile à maîtriser. La durée de vie de certains déchets radioactifs peut en effet atteindre plusieurs millions d’années ! Pour faire face aux quantités croissantes de tels déchets produits depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, une usine de retraitement a été construite à La Hague (Manche) en 1966, bientôt assortie d’un centre de stockage (1969). Par la suite, les ministères de la Recherche, de l'Industrie et de l'Environnement ont créé ensemble une agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA, 1979) pour traiter spécifiquement ces questions. Au début des années 1990, le centre de stockage de la Manche approchait dangereusement de la saturation : la loi Bataille (1991) confia donc à l’ANDRA la responsabilité de trouver de nouveaux lieux d’enfouissement. Le choix des experts se porta sur des sites présentant des sous-sols de roches argileuses ou granitiques. En 1999, un premier laboratoire est ainsi installé dans l’argile à Bure (Meuse) ; une mission est lancée plus spécifiquement pour lui trouver un équivalent dans le granit : tel est le rôle de la mission Granit.

Composée de deux ingénieurs et d’un conseiller d’État, elle étudie quinze possibilités sur le sol métropolitain, dont le massif d’Izé, dans l’est de la Mayenne. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre et la résistance explose. La mobilisation, d’abord spontanée et virulente, tend à se structurer et à s’organiser au cours de veillées qui rappellent aux Mayennais des souvenirs pas si lointains (voir Une veillée à l'ancienne à Meslay-du-Maine). Les meneurs estiment que c’est leur réputation de calmes qui a valu aux Mayennais d’être choisis. Mais peut-être faudrait-il les considérer comme de « faux calmes » car la visite d’information de la mission Granit en Mayenne, le 13 mars 2000, tourne court : 3000 manifestants, avec quelques tracteurs, empêchent les trois hauts fonctionnaires de descendre de leur minibus et les contraignent à reprendre la route de Paris. Ce premier succès ne suffit pas à la population mobilisée, qui veut peser sur le dossier au moins jusqu’à l’été, moment où l’ANDRA doit rendre son rapport. En quelques semaines, ce sont ainsi 50 associations qui se constituent à Izé et plus largement, rassemblant plus de 8000 personnes issues de tous les secteurs socioprofessionnels. Les actions prennent des formes variées : pancartes, mannequins, linceul géant dans un champ, cidre offert sur les écluses, manifestations pacifiques. Une véritable convivialité s’établit entre voisins qui se découvrent pour l’occasion une cause écologique commune. Les élus locaux, fâchés de ne pas avoir été informés à l’avance d’un tel projet engageant durablement leur territoire, fustigent l’opacité du gouvernement. Ainsi Jean Arthuis explique-t-il la violence de la réaction par la peur et la manipulation politique.

Si le spectre d’Hiroshima est cité dans le reportage, celui de Tchernobyl est sûrement aussi présent à l’esprit. La catastrophe de Fukushima, une dizaine d’années plus tard, confirmera le bien-fondé de la prudence. Entre-temps, le projet d’enfouissement dans le granit a été abandonné, à Izé comme ailleurs. Mais la construction d’un réacteur de nouvelle génération dit EPR à Flamanville (Manche) en 2005, entraînant le passage d’une ligne à très haute tension (THT), ravive les mauvais souvenirs de l’an 2000 et suscite une opposition massive à ce que cette THT traverse le sol mayennais. Cette fois l’hostilité n’a pu empêcher la réalisation du projet.

Documents d’archives

• Arch. dép. Mayenne, 480 J : Fonds de l'association de défense contre l'enfouissement de déchets nucléaires dans le massif d'Izé (2000-2001), dépôt par Pascal Fouquet, 2006.
• Arch. dép. Mayenne, 1 Mi 360 : Archives de Patrick Chédor, responsable associatif du mouvement de lutte contre l'enfouissement des déchets nucléaires à Izé (2000-2001), microfilms de substitution.
• Arch. dép. Mayenne, 1 Mi 361 : Archives de Pierre-Yves Bondiguel, membre du mouvement de lutte contre l'enfouissement des déchets nucléaires à Évron (2000-2003), microfilms de substitution.
• Arch. dép. Mayenne, 1 Mi 362 : Archives de Philippe Grünwald, membre du mouvement de lutte contre l'enfouissement de déchets nucléaires dans le massif d'Izé à Bais (2000), microfilms de substitution.

Publication

• Jacques Renard, Jacques Cousin, Jean Steunou, Claude Guiouillier, René Lemarchant, Gérard Madiot, Yves Soutif, Joël Surcouf et Isabelle Las, Enfouir des déchets radioactifs ? « En Mayenne, c’est non ! » Récit et analyse d’une révolte populaire et rurale dans le Massif d’Izé, en 2000, Laval, L’Oribus (partenariat entre le Centre d’étude et d’action sociale de la Mayenne, la Coordination d’opposition à l’enfouissement des déchets radioactifs, le Groupe de recherche sur le mouvement social en Mayenne et les Archives départementales de la Mayenne), 2006, 148 p. [Arch. dép. Mayenne, Mc 452. C’est l’ouvrage de référence sur le sujet.]

Vidéos

• Sur une révolte contre un projet de centrale nucléaire en Bretagne, voir également la vidéo « Annulation du projet de centrale nucléaire à Plogoff », fresque L’Ouest en mémoire, 1981 [https ://fresques.ina.fr/ouest-en-memoire/fiche-media/Region00554/annulation-du-projet-de-centrale-nucleaire-a-plogoff.html] et le film Les révoltés de Plogoff de François Reinhardt, 52 min., France, 2021 [https ://www.francetvpro.fr/contenu-de-presse/11917819 et https ://www.figra.fr/plogoff-les-revoltes-du-nucleaire/].