Le mécénat et les usages sociaux du patrimoine : l’exemple de Versailles et du champagne
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Comment, avec le mécénat d’entreprise, une marque de champagne comme Moët et Chandon et un groupe associé à l’industrie du luxe comme LVMH entendent utiliser le château de Versailles, un symbole du patrimoine à la fois national et mondial, outil de communication et levier du développement économique à l’international.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
30 nov. 1992
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Contexte historique
ParProfesseur agrégée d’histoire-géographie au Gymnase Jean Sturm à Strasbourg
En 1991 était votée la loi Evin qui, entre autres, limitait le droit de faire de la publicité pour de l’alcool. Elle a ainsi contraint les producteurs de boissons alcoolisées à chercher d’autres manières de communiquer sur leurs produits. Également touchées, les maisons les plus prestigieuses de Champagne se sont réorientées vers le mécénat d’entreprise qui leur assurait une visibilité en adéquation avec leur image.
C’est dans ce contexte et cette perspective qu’en 1992, date à laquelle est diffusé le reportage, Moët et Chandon s’est lancé dans la restauration de plusieurs salles du château de Versailles, les trois immenses salles d’Afrique (de Constantine, de la Smala et du Maroc), de Crimée et d’Italie situées dans l’aile du Nord. Louis-Philippe, roi des Français depuis 1830, avait décidé d’un nouvel emploi pour le château. Une loi de 1832 avait rattaché Versailles au domaine de la Couronne, mais c’était un lieu embarrassant qui avait symbolisé la distance entre la monarchie et les sujets, distance que cherchait justement à gommer la Monarchie de Juillet. C’est pourquoi Louis-Philippe entendait y fonder un musée ouvert à tous, à portée pédagogique et destiné à « toutes les gloires de France ». Le 10 juin 1837, après quatre ans de travaux dans les ailes du Nord et du Midi à l’emplacement des anciens appartements d’Orléans, il inaugurait les Galeries historiques ornées de nombreuses peintures. Toutes les salles cependant n’étaient pas achevées. Il a fallu attendre 1842 pour l’inauguration de la salle de Constantine. Sous le Second Empire, la salle du Maroc est devenue la salle de Crimée et d’Italie. Ces espaces, souvent dénigrés pour leur style jugé pompier notamment dans la première moitié du XXe siècle, avaient été un peu oubliés au profit du Versailles classique de Louis XIV et depuis les années 1960 ils étaient fermés au public. Avant de pouvoir accueillir les expositions temporaires que le château souhaitait présenter, ces salles réclamaient donc une large restauration.
Depuis 1995 le château, le musée et le domaine national de Versailles constituent un établissement public doté d’une autonomie de gestion financière et administrative. Aujourd’hui son budget s’élève à environ 100 millions d’euros par an. Son fonctionnement est assuré grâce à la billetterie et ses dépenses d’investissement grâce à la subvention annuelle de l’Etat et à l’autofinancement. A ces recettes s’ajoute le mécénat, essentiel aussi pour restaurer le château, le remeubler et le valoriser.
Ce mécénat, au cœur des usages sociaux et politiques du patrimoine, a vu ses acteurs et ses enjeux se diversifier tout au long du XXe siècle. En 1907 à l’initiative de Pierre de Nolhac, conservateur du château de 1892 à 1920, a été créée la Société des amis de Versailles, pour remédier à l’état de délabrement du domaine. Reconnue d’utilité publique en 1913, cette association, qui existe toujours, a pour mission de concourir à la conservation et à la restauration du domaine et de contribuer à l’enrichissement des collections. Le mécénat privé, notamment américain, joue aussi un rôle très important et ce depuis les années 20 avec le don d’un million de dollars par le milliardaire américain John D. Rockfeller. Le mécénat d’entreprise, quant à lui, se développe à partir des années 90 et se renforce surtout à partir de la loi de 2003 qui l’encourage par des avantages fiscaux notables. Aujourd’hui le château chercher à favoriser le développement de partenariats et du mécénat « à portée de chacun » avec des systèmes d’adoption de bancs, de statues...Ces divers types de mécénats répondent à des objectifs différents : l’intérêt patrimonial pour les associations, la tradition philanthropique américaine pour les Rockfeller (il soutient aussi la restauration du château de Fontainebleau et la reconstruction de la cathédrale de Reims au lendemain de la Première Guerre mondiale) et des enjeux d’image et de marché pour les entreprises.
Éclairage média
ParProfesseur agrégée d’histoire-géographie au Gymnase Jean Sturm à Strasbourg
Le reportage, tourné par France 3 en 1992, se centre presque exclusivement sur le mécénat et la réorientation de la stratégie commerciale et marketing de la marque Moët et Chandon. Il ne dit rien ou presque des restaurations en tant que telles.
Il rappelle que l’histoire du champagne est étroitement liée à l’Ancien Régime. La caméra s’attarde en préambule sur la statue de Dom Pérignon érigée à Epernay dans la cour de la Maison Moët et Chandon en l’honneur de ce moine bénédictin qui aurait mis au point au XVIIe siècle une méthode pour faire mousser le vin de Champagne. Le champagne mousseux, déjà consommé par Louis XIV, devient à la mode sous la Régence et surtout sous Louis XV. Associé aux huîtres il est alors apprécié pour ses vertus euphorisantes et il pare chaque jour la table royale. C’est justement cette association entre mise en scène du pouvoir, prestige et rituel de la fête que Moët et Chandon entend souligner par sa présence à Versailles.
Rappelons que Moët et Chandon a été fondé en 1743 sous le règne de Louis XV. La firme n’a dès lors cessé de s’agrandir, au point d’acheter ses concurrents les plus fameux, la Maison Mercier et la Maison Ruinart, de se diversifier tout en restant dans le luxe avec les Parfums Christian Dior et de fusionner avec le fabricant de cognac Hennessy. En 1987 lors du rapprochement avec Louis Vuitton, elle devient une entreprise du groupe LVMH (Moët Hennessy Louis Vuitton) dont Bernard Arnault, que l’on entrevoit dans le reportage, devient le président directeur général.
Restaurer un château, dont le rayonnement dépasse le cadre du patrimoine national (il est inscrit avec le parc aux Monuments historiques depuis 1906 et sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco dès 1979), qui a fait beaucoup pour le champagne et qui représente le luxe à la française constituait donc pour le groupe un levier évident, stratégie que défend Yves Bernard, alors président de la filiale de Moët et Chandon. C’est un moyen de consolider un marché extra-européen (les Etats-Unis et le Canada dans les années 90 et aujourd’hui l’Asie) friand de bulles et d’or, qui aime autant le champagne que les fastes de la Cour, de Marie-Antoinette et de l’Empire. C’est aussi un outil de communication pour une marque mise en difficulté par la loi Evin, toujours fragile dans un marché très concurrentiel, dans un contexte de mondialisation et à un moment où l’Etat français en difficulté ne parvient pas seul à entretenir le domaine. Cette opération spectaculaire de mécénat trouve son couronnement en 1993 avec l’exposition Versailles et les Tables royales en Europe, dans les somptueuses salles restaurées, une thématique idéale pour fêter les 250 ans de Moët et Chandon. Dix ans plus tard, le groupe Vinci à son tour investira 12 millions d’euros pour la galerie des Glaces. Après le champagne le bâtiment…
Transcription
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