Réforme territoriale et inégalités : les espaces ruraux dans les nouvelles régions de 2016
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Le reportage diffusé début 2016 revient sur les inquiétudes et les espoirs des élus locaux des espaces ruraux meusiens à la suite de l’application de la loi NOTRe de 2015 et la fusion des régions Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
12 janv. 2016
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« On est les oubliés, la campagne, les paumés, les trop loin de Paris, le cadet de leurs soucis… » clame Gauvain Sers, en 2018, dans une chanson qui évoque à la fois les territoires de faibles densités et ceux – généralement les mêmes – situés loin des métropoles. Telle est également la prémonition de Romain Jacquesson, maire de Baulny (Meuse) qui lâche au début et à la fin de sa phrase ce mot : « oubliés ! ».
Néanmoins, il convient de s’interroger sur l’objet même de cet oubli. S’agit-il de celui des espaces les plus ruraux, les plus enclavés et par conséquent ceux qui connaissent la déprise (démographique, d’activité…) et la faible attractivité ou celui de ces espaces dans le contexte de la réforme territoriale ? Car, en effet, les deux problématiques se chevauchent et trouvent une certaine convergence.
La crainte de R. Jacquesson et le constat de G. Sers sont accentués par la transformation des limites régionales finalisée en 2015 avec l’acte III de la décentralisation et notamment la loi NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la République) qui prévoit le passage de 27 régions (22 dites à tort métropolitaines et 5 ultramarines) à 18 (13+5). Ce regroupement régional, dans un but d’efficacité territoriale touche à une institution récente dans l’organisation territoriale de la France puisque les régions, telles que nous les concevons aujourd’hui, n’apparaissent qu’avec les lois Defferre (1982-1983) et les premières élections au suffrage universel des conseils régionaux (1986) – acte I de la décentralisation. L’acte II se déroulant en 2003-2004 quand le gouvernement Raffarin rend notamment la décentralisation constitutionnelle en modifiant l’article 72 de la Constitution.
Pourtant en 1982, ce n’est pas la première fois que la régionalisation est évoquée. Dès 1910, le député de Charente, Jean Hennessy, met en avant des propositions. En 1919 sont instaurées les régions Clémentel, des groupements économiques régionaux, basés sur le regroupement volontaire des chambres de commerces. En 1956, apparaissent les régions-programme (programme d’action régionale) dont le but est l’aménagement cohérent du territoire avant que ne soit créée en 1963 la DATAR avec laquelle elles agiront.
En 2016, les régions existent depuis 30 ans. Les habitants des régions françaises prennent conscience de l’importance du cadre régional dans leur vie quotidienne grâce aux transferts de compétences : transport ferroviaire régional, lycées, etc. ; parce que les habitants des régions « non naturelles », comme ceux de Champagne-Ardenne par exemple, commencent à faire coïncider espace régional vécu et espace régional perçu, tels que définis dès 1976 par Armand Frémont. En effet, de 1986 à 2016 Champenois et Ardennais apprennent à se sentir Champardennais. C’est au moment où ce sentiment d’appartenance commune se solidifie qu’apparaît la transformation.
Or, cette transformation est source d’inquiétudes majeures pour les espaces ruraux en déprise. Les habitants et élus des espaces ruraux en déprise et perte d'attractivité qui connaissent déjà des problématiques majeures et des difficultés estiment, en effet, que leur éloignement vis-à-vis des lieux de prises de décision s’en trouvera renforcé et que leur enclavement sera grandissant. Cette crainte n’est pas sans fondement ; que ce soit d’un point de vue géographique ou institutionnel. Dans le cas de Baulny (Meuse), la commune est effectivement géographiquement plus proche des lieux de prise de décision régionale quand les organes de décision régionaux sont à Nancy plutôt qu’à Strasbourg mais de surcroît, cette commune pouvait jouer un rôle plus important dans une collectivité territoriale où les espaces ruraux en déprise sont importants et nombreux (Meuse) que dans une grande Région nouvellement dessinée et où les espaces centraux sont forcément les territoires métropolitains.
Il ne faut pas oublier que les nouvelles régions, plus vastes, doivent favoriser les territoires métropolitains, selon la promulgation de la loi MAPTAM (modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles) du 27 janvier 2014 ce qui impacte les communes les plus rurales. Cette loi MAPTAM réorganise les intercommunalités françaises les plus intégrées, appelées métropoles.
Pourtant, les espaces ruraux sont une problématique régionale majeure puisque la partie occidentale de la nouvelle région appartient à la « diagonale du vide » (Béteille, 1981). Néanmoins, cette expression, ancrée dans le vocable courant et scolaire, est ancienne et impropre puisque le vide peut faire penser à l’idée de marge alors qu’existent dans cette « diagonale des faibles densités » des espaces, notamment productifs, parfois centraux bien connectés à la mondialisation comme les vignobles de Champagne. La crainte de la marginalisation des communes les plus rurales et les plus en déprise est donc en réalité double : marginalisation par rapport aux centres et marginalisation par rapport à d’autres espaces ruraux qui connaissent une certaine “renaissance” (Kayser,1989).
En Meuse, au cœur du reportage, la densité est de 30 hab./km² ; 86% des communes comptent moins de 500 habitants (35,68% de la population) ; 61% en comptent même moins de 200 (15,81% des Meusiens) et ces territoires meusiens ont des difficultés à mettre en œuvre une certaine attractivité, qu’elle soit liée à un système productif ou une mise en tourisme, par exemple. Cette situation d’éloignement vis-à-vis des centres conduit à forger des expressions nouvelles pour l’exprimer : rural profond [1], rural isolé [2], hyper-ruralité [3]. Cette question des rapports entre espaces ruraux et métropolisation est au cœur des préoccupations des géographes ruralistes [4].
Cet éloignement des centres névralgiques peut conduire à un sentiment de déclassement où surgit de manière flagrante les inégalités territoriales. Sans aller jusqu’à l’idée développée par Christophe Guilluy dans La France périphérique (2014), le témoignage du maire de Baulny montre le sentiment d’amoindrissement de l’intégration, par la faiblesse de l’attractivité et une moindre connectivité et accessibilité aux services. Ce manque d’accessibilité s’explique, en partie, par des considérations démographiques. En effet, si la Lorraine possède une densité de population d’environ 100 hab./km² ce n’est pas le cas de la Meuse (30) qui connaît une situation assez proche de celle de la Haute-Marne (28), des Ardennes et de l’Aube (52), des Vosges (63) et de la Marne (70).
Ailleurs dans la région, les densités sont supérieures à 140 hab./km² : Meurthe-et-Moselle (140), Moselle (168), Haut-Rhin (217) et Bas-Rhin (237). En Meuse, aucune métropole majeure n’existe ; la ville la plus importante est la sous-préfecture de Verdun et ses 19.600 habitants ; bien loin des grandes villes de la nouvelle région et surtout de la conurbation alsacienne : le département est peu urbain : 15 villes (commune de plus de 2.000 habitants) sur plus de 500 communes. Or, la présentatrice lance le sujet en annonçant que la « Meuse où on dénombre une quinzaine de petites villes perdues » est un bon exemple. Le territoire meusien est majoritairement composé de petits villages de moins de 500 habitants, avec peu ou pas de services. Ce manque de services et d’accessibilité est donc, encore plus que les possibles conséquences de la réforme territoriale, un marqueur de ces espaces hyper-ruraux ; or, c’est par le prisme de la nouvelle région que le reportage s’intéresse à ces territoires les plus ruraux sans doute parce que la marginalité estimée dans la nouvelle région s’accroît pour ces espaces ruraux isolés.
[1] Roger Béteille, Solange Montagné-Villette (dir.), 1995, Le rural profond français, SEDES, Paris.
[2] Josette Debroux : « Migration d’actifs vers l’espace “rural isolé”. Éléments d’analyse sur les liens à l’espace d’arrivée », Norois, 3/2006.
[3] Samuel Depraz : « Penser les marges en France : l’exemple des territoires de “l’hyper-ruralité” », BAGF, 94-3/2017.
[4] Antoine Brès, Francis Beaucire et Béatrice Mariolle, 2017, Territoire frugal. La France des campagnes à l’heure des métropoles, Genève, Metis Press).
Éclairage média
Par
Diffusé dans le journal télévisé méridien de la rédaction lorraine de France 3 le mardi 12 janvier 2016, ce reportage fait écho à la création d’une nouvelle région composée de l’Alsace, la Champagne-Ardenne et la Lorraine en conséquence de l’application de la loi NOTRe. Cette actualité régionale n’est pas une spécificité lorraine puisque sur les 22 régions continentales, seules 6 ne voient aucune modification tandis que 5 nouvelles régions constituent la fusion de deux anciennes régions et que 2 regroupent, comme dans ce cas, 3 anciennes régions administratives. La rédaction réagit donc à cette actualité, prévisible puisque la nouvelle région existe depuis le 1er janvier 2016, même si au jour du reportage elle ne possède ni organe exécutif, ni chambre délibérative élue, ni nom…
Cela est d’ailleurs un problème pour les deux journalistes qui utilisent l’expression de « grande région », dans les deux premiers et les deux derniers mots de cette vidéo de 2 minutes. Or, pour la Lorraine, parler de Grande Région pose souci au géographe car, depuis avril 2010, ce terme désigne officiellement un GECT (groupement européen de coopération territoriale) héritier des accords de Bonn (1980) créant la coopération Saar-Lor-Lux.
Dans ce GECT composé de la Lorraine (France), des Länder de Sarre et de Rhénanie-Palatinat (Allemagne), de la Wallonie, la Fédération Wallonie-Bruxelles et l’Ostbelgien (Belgique) ainsi que de la totalité du Grand-Duché du Luxembourg, la Lorraine représente 36% du territoire, 19,83% de la population et recense la majorité des navetteurs transfrontaliers en plus d’être au cœur du système métropolitain appelé Quattropole. Par commodité, mais dans un emploi fallacieux, les journalistes utilisent ce terme de « grande région » ; quitte à provoquer auprès de leurs téléspectateurs une certaine confusion qui s’estompe définitivement le 14 mars 2016 quand le conseil régional choisit le nom de Grand-Est.
En Grand-Est, la Lorraine est géographiquement centrale même si le duopole Metz-Nancy ne gagne pas la préfecture de région transférée à Strasbourg. Elle représente, 42% de la population régionale (33 pour l’Alsace et 25 pour la Champagne-Ardenne) et 41% du territoire régional (45 pour la Champagne-Ardenne et 14 pour l’Alsace).
Pour évoquer les inégalités territoriales, la ligne éditoriale choisie est pertinente : celle du reportage in situ dans les territoires les plus ruraux, les moins denses et les moins bien dotés en termes « d’accessibilité aux services », de plus en plus loin (géographiquement et symboliquement) des centres décisionnels régionaux tout en étant isolés par le manque d’infrastructures (ferroviaire ou autoroutière) de transports rapides les liant aux métropoles régionales.
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