Industrialisation et urbanisme : les mutations de Troyes
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La trajectoire textile de la ville de Troyes sur le temps long donne à voir les mécanismes de transformation économique d’un territoire : se succèdent ainsi les phases de proto-industrialisation, d’industrialisation, de reconversion et de tertiarisation des activités. Au-delà du prisme économique, la question patrimoniale a toute sa place en participant à la redynamisation de la ville.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
08 août 1995
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Contexte historique
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
La puissance économique de Troyes puise ses racines au Moyen Âge. Capitale des comtes de Champagne, centre intellectuel majeur du monde juif médiéval, la cité de Troyes est dès le XIIe siècle une étape essentielle des foires de Champagne où s’échangent les marchandises du nord de l’Europe et du pourtour méditerranéen. Sa situation de carrefour commercial lui permet le développement d’une importante production locale de draps en lin et en chanvre et profite des multiples moulins érigés le long de la Seine et de ses canaux. Au XIVe siècle, sans abandonner son industrie textile, Troyes devient un grand centre de production de papier chiffon puis se spécialise dans la dominoterie (papiers peints).
Pour autant, c’est la bonneterie qui forgera l’identité de la ville. Ce terme fait référence à la pratique du tricotage et de la maille en général - à partir de laine, de coton, voire de soie - pour la réalisation de coiffes (bonnets) ou de chaussants (bas, chaussettes…). Cette spécialisation se lit dès le début du XVIe siècle avec la mise en place d’une corporation de bonnetiers, autrement dit de fabricants d’articles tricotés. Travaillant sur des métiers à bras, ils sont 1 500 à la veille de la Révolution, mais subissent depuis les années 1740 la concurrence des premiers métiers mécaniques.
Durant la période 1820-1860, la bonneterie change de dimension : la vapeur se substitue à l’eau comme force motrice, l’usine remplace la manufacture et le capitaine d’industrie détrône le marchand-fabricant. Cette industrie naissante ne se limite pas à la ville et rayonne dans les campagnes alentour : au milieu du XIXe siècle, près de 11 000 métiers sont en activité dans l’Aube. Parallèlement, tout un écosystème se met en place : à côté des industriels de la bonneterie se développe une industrie mécanique chargée de concevoir et fabriquer tout l’outillage indispensable aux bonnetiers ; en amont et en aval de la chaîne de fabrication, on trouve des filatures et des teintureries. Une usine comme celle de Mauchauffée intègre la totalité de ces activités en son sein et emploie jusqu’à 3 000 ouvriers en 1914. De véritables dynasties émergent alors dans le paysage troyen : les Lebocey (métiers mécaniques), les Valton (Petit Bateau) ou les Lévy (groupe Devanlay). En 1930, 300 tricotages fonctionnent dans l’agglomération, employant un nombre considérable de femmes (61 % de la main-d’œuvre), travaillant de plus en plus les textiles synthétiques (la rayonne puis le nylon), lançant des marques toujours reconnues (Petit Bateau en 1920 ou Lacoste en 1933). A la veille de la grande crise de la bonneterie des années 1970, un tiers de la population troyenne travaille dans le textile, soit 25 000 salarié(e)s.
Face aux fermetures d’usines et aux vagues de licenciements qui se multiplient jusqu’à la fin des années 1980, la bonneterie troyenne se restructure et oriente une grande partie de son activité vers le développement des magasins d’usines. Initialement, il s’agit de boutiques rattachées à une usine particulière et réservées à ses employés afin d’y écouler les produits présentant de légers défauts. C’est à Troyes, dès 1936, que le phénomène est identifié pour la première fois mais il faut attendre les années 1950 pour que le concept se développe tout en élargissant la clientèle à tout public. Au début des années 1980, on compte une quarantaine de magasins d’usines au centre-ville de Troyes lorsque, sur le site désaffecté de l’ancienne bonneterie Mauchauffée, est établi un premier centre commercial regroupant une vingtaine de boutiques. Cette concentration se développe ensuite, soit à partir des marques d’un groupe unique (cas du groupe Devanlay), soit à partir de marques hétéroclites (cas de l’enseigne Marques Avenues).
Cette diversification ne doit pas masquer les conséquences de la crise sur le paysage urbain troyen : à la fin des années 1980, plus de 14 ha de la ville ont été désindustrialisés (usines rasées, en friche ou reconverties en magasins d’usines). Parallèlement, le vieux centre ville est requalifié et les bâtiments restaurés, permettant à la ville de développer ses atouts patrimoniaux. Dès lors, la ville industrielle née avec les bonneteries - qui n’emploient plus que 3 500 personnes - s’estompe au profit d’une agglomération désormais orientée vers les activités commerciales et touristiques (4 millions de touristes par an). Dernier signe de cette mutation, la nouvelle transformation du site Mauchauffée : après avoir été une bonneterie puis un centre de magasins d’usines, le site a été acquis par un bailleur social, Aube Immobilier, qui l’a transformé en logements tout en conservant son passé industriel désormais intégré au patrimoine de la cité.
Éclairage média
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
Le reportage offre un panorama de l’histoire économique de la ville de Troyes depuis le Moyen Âge. Les premières images sont prises du sommet de la cathédrale Saint-Pierre Saint-Paul et offrent un vaste panorama de la ville, partant de la périphérie pour revenir au centre médiéval de la cité. C’est en effet aux XIIe et XIIIe siècles que se nichent les racines du développement de cette foire de Champagne rapidement spécialisée dans le commerce et la production de biens textiles, en particulier grâce à un important réseau de tisserands. Pour l’illustrer le propos, des images ont été tournées au musée de Vauluisant consacré à la bonneterie. On y voit la reconstitution d’un atelier familial avec un homme sur son métier de bois du XVIIIe siècle, une pièce unique issue de la première manufacture troyenne, celle de l’orphelinat de la Trinité. L’image glisse ensuite sur plusieurs métiers mécaniques, en particulier les métiers circulaires qui apparaissent dans la première moitié du 19e siècle, des machines composées d’aiguilles disposées en cercle qui permettent de réaliser des tricots de forme tubulaire, voire même de tricoter des articles sans couture tels que bas et chaussettes. La caméra s’arrête enfin un instant sur une plaque commémorative dédiée à Jules Lebocey, référence aux industriels troyens qui ont fondé des entreprises de constructions mécaniques pour équiper les ateliers de bonneterie.
La seconde partie du reportage s’intéresse davantage à l’impact du développement de la bonneterie sur le tissu urbain de la ville, une évolution commentée par Dany Jullien, présidente de l’association Sauvegarde et Avenir de Troyes. S’enchaînent les images prises dans le « bouchon de Champagne » qui désigne communément le vieux Troyes ravagé en 1524 par un immense incendie : autrement dit, la plus grande partie des édifices à colombages que l’on voit sont postérieurs à cet événement. On découvre ainsi une maison typique de tisserand du XVIIe siècle, avec une cave semi-enterrée où le métier à bras était campé. Évoquant l’installation dans la ville du premier métier mécanique – celui mis au point par l’anglais William Lee en 1589 pour la fabrication de bas –, le reportage s’attarde sur l’hôtel de Mauroy avec son très bel escalier tournant et sa tourelle hexagonale. Érigé dans les années 1550, il est légué par ses propriétaires pour devenir l’orphelinat de la Trinité qui regroupe des enfants à qui l'on apprend à filer la laine puis le coton ; c’est ici qu’on y installe les premiers métiers à tricoter mécaniques en 1746.
Cette géographie proto-industrielle, antérieure à la naissance de l’usine et au capitalisme industriel, est largement dictée par l’importance des cours d’eau qui traversent la ville puisque c’est la force motrice générée par l’eau qui explique l’implantation des premiers ateliers mécaniques au centre de Troyes. On voit ainsi quelques images de la Seine ou de l’un de ses anciens canaux, mais il faut imaginer, avant le XIXe siècle, une ville innervée de plusieurs dérivations du fleuve qui l’enserrent dans toute sa partie orientale.
L’apparition des machines à vapeur au XIXe siècle aboutit à la construction des premières manufactures à la périphérie du « bouchon de Champagne ». Hautes cheminées, toits à sheds et grandes verrières occupent désormais l’écran, vision complétée par celle de photographies en noir et blanc des ateliers et des ouvriers travaillant à la construction de métiers ou à la confection de bas. On entre dans une phase d’extension de l’emprise industrielle qui aboutit au remplissage des interstices entre Troyes et certaines communes périphériques qui lui sont rattachées, à l’instar de Saint-Martin-ès-Vignes qui s’incorpore à la cité en 1856 pour en devenir un des faubourgs industriels.
Le reportage s’achève enfin sur ce qui fait aujourd’hui la renommée de Troyes bien au-delà de la région Grand Est, à savoir ses magasins d’usine. Sans aucunement évoquer la crise qui touche de plein fouet la bonneterie troyenne dans les années 1970, on évoque simplement la naissance des premiers magasins d’usine dans les années 1950. Leur développement participe à l’étalement urbain de la cité à travers la construction de nouvelles zones industrielles et commerciales, dont celle occupée par Marques Avenues, une enseigne française vendant des surstocks de collections passées avec d’importantes remises, installée dans l’agglomération à Saint-Julien-les-Villas. Parmi les marques qui apparaissent à l’écran, on note certains leaders mondiaux de l’habillement, comme Nike ou Levi’s, mais aussi des marques locales qui firent la renommée de la bonneterie troyenne comme Doré-Doré.
Transcription
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