Le vote des femmes (1944) : un difficile compromis
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L’acquisition des droits de vote et d’éligibilité par les femmes en 1944 - à l’exception notable des « indigènes » des colonies françaises -, soit 155 ans après la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et 96 ans après l’instauration du suffrage universel masculin, témoigne moins d’une victoire de la République que de l’extrême difficulté qu’a eue une partie de la société française à admettre l’égalité politique, à concevoir la femme comme un individu réellement libre.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
07 mars 2005
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Contexte historique
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
L’acquisition de l’égalité politique par les femmes semble marquer l’aboutissement logique d’un combat mené depuis plus d’un siècle et demi par les militantes féministes. Or, à y regarder de près, cette lecture est loin d’être une évidence. Certes, une réflexion sur la place des femmes dans la société est amorcée dès 1673 par le philosophe Poullain de La Barre. Certes, la Révolution met à l’ordre du jour la question de leur accès aux droits politiques à travers les combats d’Olympe de Gouges ou de Condorcet. Jusqu’en 1795, les femmes deviennent bien des actrices politiques mais leur activisme est de plus en plus contesté par des hommes qui clôturent brutalement cette séquence en leur interdisant l’accès au débat politique, avant de les renvoyer à la sphère privé avec le Code Civil napoléonien. Ce schéma libération-activisme-relégation se retrouve lors de la Révolution de 1848 et la Commune de Paris. A chaque fois, la figure de la féministe est assimilée à l’insurgée, aux désordres révolutionnaires : « furie de guillotine » ou « pétroleuse », la femme transgresse l’ordre social, justifiant de fait sa mise sous contrôle. Durant le XIXe siècle, ces militantes n’ont pourtant cessé d’animer journaux et associations, défendant l’égalité politique, l’accès à l’éducation, le droit au travail.
Pour autant, il ne faudrait pas voir le mouvement féministe comme homogène ni comme nécessairement soutenu par les milieux progressistes. Le féminisme chrétien antilaïque a peu en commun avec celui de Marie Pelletier, médecin aliéniste, qui défend des conceptions néomalthusiennes promouvant la contraception, réclame une virilisation de l’éducation des petites filles, affirme enfin que le désir féminin n’a rien à envier à son pendant masculin. Entre ces deux pôles, on trouve toute une palette de positionnements qui ne s’accordent ni sur les priorités, ni sur les finalités : toutes ne sont pas prêtes à dépasser le cadre de la femme épouse et mère pour en faire un individu à part entière. En sus de ces divergences politiques, il y a également débat sur les moyens pour y parvenir. Indiscutablement, l’influence des suffragettes britanniques marque l’engagement d’une Hubertine Auclert, fondatrice des groupes féministes tel Le Suffrage des femmes, qui inaugure un activisme radical appelant à la désobéissance civile. Bien que spectaculaire, il reste largement minoritaire au sein de la mouvance féministe qui, néanmoins, est de plus en plus visible sur la scène publique.
Progressivement, leurs revendications pénètrent dans l’enceinte du Parlement et trouvent leurs premières traductions dans des propositions de loi durant les années 1900. Les députés y débattent de la possibilité d’accorder le « petit suffrage », soit le droit de vote aux élections municipales et cantonales. Après la Première Guerre mondiale, un véritable espoir naît quand est adopté par les députés un texte proposant le suffrage universel élargi, permettant à la France de s’inscrire dans la lignée de la Russie, de l’Allemagne ou des Etats-Unis. C’est sans compter sur l’obstruction du Sénat, notamment des radicaux menés par Emile Combes, « père » de la loi sur la Séparation des Eglises et de l’Etat. A quatre reprises, ce schéma se répète, la Haute Assemblée refusant d’inscrire à l’ordre du jour les textes votés par les députés. La situation devient ubuesque sous le Front populaire alors même que la Chambre vote à l’unanimité l’égalité politique et que trois femmes sont au gouvernement, dont Cécile Brunschvicg, présidente de l’Union française pour le Suffrage des femmes.
La fin des années 1930 est difficile pour les féministes : elles restent divisées, notamment parce qu’elles ont intégré de nouveaux enjeux dans leurs revendications (le pacifisme, le communisme, les luttes anticoloniales), les activistes comme Louise Weiss ne font toujours par l’unanimité. Pis, elles échouent sur la question de l’égalité salariale et subissent les impératifs de la politique nataliste du Code de la famille (1939).
Dans ce contexte morose, l’ordonnance du 21 avril 1944 qui stipule que « les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes » apparaît comme une divine surprise. Plus qu’une victoire éclatante des combats féministes, il s’agit d’un compromis difficile. Si le général de Gaulle reconnaît que « tous les hommes et toutes les femmes éliront l'Assemblée nationale », il n’en fait pas une priorité absolue : l’ordonnance du 21 avril est davantage le résultat du travail de l’Assemblée consultative provisoire d’Alger – où ne siègent que deux femmes – que du général lui-même. Au sein de cette dernière, c’est le communiste Fernand Grenier qui propose de doubler l’éligibilité des femmes – idée initiale – par le droit de vote, une proposition adoptée par 51 voix contre 16. Pour les deux tiers majoritaires, il était urgent pour la France de rattraper son retard démocratique et de profiter de la suppression temporaire de ce frein historique à l’égalité politique que fut le Sénat.
Éclairage média
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
Le reportage a été diffusé le 7 mars 2005, veille de la Journée de la Femme, pour commémorer le 60e anniversaire non pas de l’ordonnance d’avril 1944 instaurant le suffrage universel, mais de la première participation des femmes à une élection, en l’occurrence les municipales des 29 avril et 13 mai 1945. Alors que la guerre n’est pas finie, c’est le premier scrutin depuis la libération du territoire et 12 millions de femmes sont appelées à s’exprimer. C’est d’ailleurs sur des images télévisées de cet événement que s’ouvre le reportage : visage grave ou souriant, bourgeoise ou bonne-sœur, ces premières électrices font la une de l’actualité.
Pour accompagner cette avancée majeure de la vie démocratique en France, la journaliste a recueilli le témoignage de Gisèle Probst (1922-2019) à Vitry-le-François (Marne). Celle-ci n’a pas participé à la consultation d’avril 1945 mais à la suivante, en l’occurrence les cantonales de septembre à moins qu’il ne s’agisse des législatives pour la constituante en octobre de la même année. Si Gisèle Probst est absente au printemps 1945, c’est qu’elle est encore en captivité en Allemagne pour fait de résistance.
Née en 1922 dans l’Aube, elle est la fille d’un boucher, Maurice Goujard. Elle se marie en 1941 à Clermont-Ferrand – ville où sa famille s’est réfugiée – avec Jean Probst, un mécanicien automobile de Vitry. En janvier 1943, Maurice Goujard se met au service du réseau franco-britannique Mithridate, un service de renseignements d’abord affilié à l'Intelligence Service britannique puis rattaché au Bureau central de renseignements et d'action de la France libre. Le domicile familial de Clermont-Ferrand sert de boîte aux lettres et de refuge pour les clandestins, Gisèle Probst faisant office d’agent de liaison. En octobre 1943, Gisèle, sa belle-mère Rose Probst et son père sont arrêtés par la Gestapo et déportés, lui à Buchenwald – puis Flossenbürg et Bergen-Belsen où il décède –, elles à Ravensbrück dans le convoi dont faisait partie la nièce du général de Gaulle, Geneviève de Gaulle. Rose n’y survit pas. Quant à Gisèle, elle est transférée dans différents commandos jusqu’à sa libération par l’Armée rouge en avril 1945.
Dans son témoignage, elle insiste sur le « sentiment de fierté et de bonheur » qu’elle a eu de pouvoir s’exprimer et d’être libre de ses choix. Elle fait clairement le lien avec la Résistance, estimant que les femmes y avaient démontré leur capacité d’action, au même titre que les hommes, « pour leur pays d’abord, pour leur famille, pour leur travail ». Dans cette optique, elle accorde une place de choix à l’action du général de Gaulle dont, d’ailleurs, l’image orne son intérieur. De fait, parmi les premières femmes élues dans les conseillers municipaux de 1945, on compte essentiellement des résistantes, des femmes de déporté ou de fusillé, des militantes catholiques ou communistes.
Reste que les images en noir et blanc de ces femmes votant en masse aux élections municipales de 1945 cachent une autre réalité : jusqu’à la fin des années 1960, les femmes votent moins que les hommes, la différence d’abstention entre les deux sexes oscillant entre 7 et 12 points. Il faut attendre que les premières acquièrent leur autonomie socio-économique (via l’accès aux diplômes et au marché du travail, mais aussi par un recul de la pratique religieuse) pour modifier leur comportement électoral, preuve que l’acquisition du droit de vote n’est pas un aboutissement, mais une étape vers la politisation des femmes. Le reportage le laisse clairement entendre en rappelant qu’en 2005, seuls 13% des députés sont des femmes alors même que la loi sur la parité adoptée en 2000 impose aux partis politiques de présenter un nombre égal de femmes et d’hommes lors des scrutins de liste et instaure un système de retenue financière pour les partis qui ne respectent pas la parité des investitures lors des élections législatives. En comparaison, elles sont 39% sous la XVe législature élue en 2017 (224 femmes pour 577 sièges).
Transcription
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