La libération de Gérard Nicoud
Notice
Gérard Nicoud, leader d'un mouvement de contestation des artisans et commerçants, vient d'être libéré. Malgré les mois passés en prison, il est résolu à œuvrer pour son action au sein du CIDUNATI. Si les élections législatives prochaines ne l'intéressent pas, il a toujours de nombreux projets.
Éclairage
Tout est parti du vote, en juillet 1966, d'une loi sur l'assurance maladie-maternité obligatoire pour les non salariés non agricoles. Cette loi qui doit s'appliquer à partir de 1969 apparaît aux travailleurs indépendants et en particulier aux petits commerçants et artisans comme inacceptable tant la lourdeur des cotisations contraste, selon eux, avec la minceur des remboursements. En décembre 1968, à l'occasion d'une réunion à la Batie-Mongascon, une petite commune de l'Isère située à 6 km de La Tour-du-Pin, une pétition est rédigée pour dénoncer la loi et elle doit être adressée au préfet.
Un jeune cafetier de 21 ans qui vient de s'installer dans le village, Gérard Nicoud devient le leader d'un mouvement de contestation qui va prendre de l'ampleur. De très nombreuses réunions plus ou moins spontanées sont organisées et vers le 15 février, les signataires sont au nombre de 9600. Un grand meeting rassemblant quelque 15000 personnes, est organisé au Palais de Glace de Grenoble – c'est là qu'avaient eu lieu les épreuves de patinage artistique lors des jeux Olympiques d'hiver de 1968 – par les amis de Gérard Nicoud. Les représentants des organisations professionnelles des petits commerçants et artisans sont absents. Gérard Nicoud et les contestataires adressent un télégramme au Premier Ministre. Surtout, dans une intervention enflammée, Gérard Nicoud considère que, pour faire reculer la « redoutable machine qu'est l'Etat » , il est nécessaire de « descendre dans la rue ». Sous les applaudissements, il constate, en évoquant mai 68, que « le gouvernement ne comprend que le coup de poing sur la table ».
Dans la nuit du 8 au 9 avril, Gérard Nicoud organise l'occupation de la perception avec quelques centaines d'activistes. Ils s'emparent de milliers de dossiers de retraite et en répandent sur la chaussée. Gérard Nicoud menace de détruire des milliers de dossiers si les pensions de retraite ne sont pas versées intégralement sans les prélèvements prévus par la loi de 1966. Le lendemain, Gérard Nicoud est arrêté et incarcéré à la prison Saint-Paul, à Lyon. Ce n'est que la première des six incarcérations qu'il va connaître au cours des années suivantes dans les différentes prisons de la région suite à des actions illégales.
En juillet 1969, le mouvement se transforme en CID (Comité d'information et de défense) et à l'occasion d'un nouveau meeting, en septembre 1969, deux policiers des renseignements généraux sont enlevés par les manifestants. Un nouveau mandat d'arrêt est lancé contre Gérard Nicoud qui réussit à échapper aux forces de l'ordre et se réfugie dans la clandestinité pendant quelques mois alors que plusieurs dirigeants du CID sont incarcérés. Pour certains de ses fidèles c'est le début de son identification à Louis Mandrin, le fameux contrebandier dauphinois du XVIIIe siècle. Quoi qu'il en soit, pour lui commence une période de procès suite à toute une série d'actions violentes et illégales.
Des mouvements similaires éclatent aux quatre coins de l'hexagone et Gérard Nicoud apparaît comme le leader de la constestation des indépendants et, en particulier, des commerçants et artisans. Les relations avec le Premier ministre de Georges Pompidou, Jacques Chaban-Delmas, chantre de la « nouvelle société » sont passablement mauvaises et la contestation organise des opérations spectaculaires comme le blocage du boulevard périphérique parisien en mars 1970. En avril, le CID et l'UNATI (union nationale des travailleurs indépendants) fusionnent pour constituer la Confédération intersyndicale de défense et d'union nationale des travailleurs indépendants(CIDUNATI) dont Gérard Nicoud devient le secrétaire général. Les candidats CIDUNATI remportent de nombreux sièges lors des élections aux conseils d'administration des caisses maladie.
Le mouvement est alors tiraillé entre des orientations d'extrème droite et d'extrème gauche que Gérard Nicoud dénonce tour à tour, souhaitant mettre en place un mouvement « purement syndical », très méfiant à l'égard de la politique et, plus encore, des hommes politiques.
Lorsqu'il sort de la prison de Bonneville, en Savoie, en juillet 1972, il se présente comme un habitué du séjour pénitentiaire. Dans le journal télévisé de 13 H du 7 juillet 1972, où figure la libération de Gérard Nicoud présentée comme « l'autre actualité », la principale actualité concerne la passation de pouvoir entre l'ancien Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas et le nouveau Pierre Messmer, qui a décidé de rompre avec la manière de son prédécesseur dans les relations avec le leader CIDUNATI. Dans ces conditions, on comprend le ton gouailleur de Gérard Nicoud au sortir de la prison de Bonneville. La médiatisation qui est faite de sa libération souligne son rôle de leader, d'un leader qui veut peser sur les décisions gouvernementales à l'approche des élections législatives de 1973 et qui ne renonce pas aux provocations antiparlementaires – « pour les élections législatives, je crois qu'il y a assez de gens nocifs et de feignants à l'assemblée nationale... ».
Après les élections législatives de 1973, Jean Royer, ministre du commerce et de l'artisanat fera adopter une loi d'orientation sur le commerce et l'artisanat qui limite le développement des grandes surfaces. Pour autant, le CIDUNATI continue ses actions et Gérard Nicoud est a nouveau condamné et incarcéré. Il reste secrétaire général du CIDUNATI jusqu'en 1984.