Le problème des immigrés à Marseille
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La loi dite Stoleru, du nom du secrétaire d'État chargé de l'immigration, est en cours de discussion au Parlement. Ce projet de loi veut encourager le retour des immigrés dans leurs pays d'origine et diminuer de moitié leur nombre en France.
Date de diffusion :
25 juin 1979
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Contexte historique
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Lionel Stoleru a remplacé Paul Dijoud après l'échec de la majorité - PR-RPR - aux élections municipales de mars 1977. Avec le titre de secrétaire d'État chargé des travailleurs manuels et immigrés, celui-ci met en oeuvre le tournant politique qui est alors pris par le gouvernement dans ce domaine. La crise économique s'étant approfondie, le chômage progressant, il a donc décidé de faire partir un grand nombre d'immigrés en espérant à la fois dégager des emplois et réduire les transferts financiers entre la France et les pays d'où ils viennent. En même temps, ce virage répond aussi à des objectifs politiques car l'aide à l'intégration préconisée jusqu'ici est critiquée au sein de la majorité où l'on est sensible à la poussée xénophobe du moment. On sait que, depuis 1973, la région a connu un certain nombre d'actes, voire de crimes, à caractère raciste. Certains responsables politiques, comme Jacques Médecin, maire de Nice, ou Maurice Arreckx, son homologue à Toulon, exploitent ce filon et tiennent ouvertement des propos discriminatoires qui visent au premier chef l'immigration maghrébine. Le mythe d'une immigration temporaire se dissipe et l'on prend conscience, avec réticence (ce qui n'est pas propre à la droite), du caractère définitif de l'installation de ces étrangers en France. Il est vrai que cette immigration a progressé depuis 1974 par suite du regroupement familial autorisé en décembre de cette année-là. Le pouvoir cherche donc à partir de 1977 à l'interrompre et, surtout, à favoriser les retours dans les pays d'origine. Les retours volontaires ayant échoué (le "million Stoleru" accordant une prime de 10 000 francs aux candidats au départ), le gouvernement prépare une série de mesures restrictives, marquées par la distinction de deux catégories d'immigrés (les "résidents privilégiés" et les autres), le non renouvellement des titres de séjour et de travail pour plusieurs centaines de milliers d'étrangers sélectionnés selon leur nationalité, des retours étalés sur cinq ans (100 000 départs par an), l'élargissement des pouvoirs d'expulsion du ministre de l'Intérieur. Les textes qui les mettent en oeuvre viennent d'être adoptés en conseil des ministres, le 13 juin 1979, après de longs débats dans la majorité où certains les trouvent encore trop libéraux, tandis que d'autres les estiment excessifs. Les grandes confédérations syndicales ont fait connaître leur hostilité à ces textes, en mettant en avant des raisons d'humanité et de défense des libertés. Comme la CFTC l'écrit, pour elles, il "paraît inadmissible, même en période de difficulté, d'accepter le renvoi de travailleurs étrangers qui ont contribué à notre expansion et conquis des droits par leur travail". Le 26 juin, au moment où passe ce reportage, les discussions sont en cours au Parlement. Le 27 juin, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale reportera l'examen du projet à novembre. Le RPR et les centristes ont fait connaître leur opposition. Finalement, ne sera votée qu'une partie des textes prévus, dont l'essentiel donnera lieu à la loi Bonnet du 10 janvier 1980 qui réprimera l'immigration clandestine et rendra plus difficiles l'entrée et le séjour des étrangers en France, mais la disposition essentielle - les retours forcés - aura dû être abandonnée.
La question des immigrés se pose avec acuité en Provence qui, depuis la fin du XIXe siècle, est une grande région d'accueil (par suite de la faiblesse de la natalité locale et des besoins de main d'oeuvre tant industrielle qu'agricole). Elle a connu plusieurs vagues d'immigration, presque toutes dominées jusqu'aux années cinquante par les Italiens, ceux-ci venant d'abord plutôt du Nord (en particulier du Piémont et de Ligurie), puis, de plus en plus, du Mezzogiorno (le Sud). Cette immigration s'est beaucoup réduite par la suite. Le nombre d'Italiens dans la région est passé de 87 972 à 66 000 entre 1968 et 1980. L'immigration espagnole n'a pas été négligeable, mais n'a jamais atteint ici la dimension qu'elle a pu prendre de l'autre côté du Rhône. On compte 43 300 Espagnols en 1980 (63 500 en 1968). Le relais en fait a été pris par les Algériens, dont le nombre a crû de 62 740 à 101 000, mais aussi par les Tunisiens et Marocains, qui passent de 18 400 à 80 000. Leur proportion dans la région est légèrement supérieure à la moyenne nationale (13,2 % des étrangers au lieu de 12,8). Au total, le nombre d'étrangers dans la population régionale est passé de 273 000 en 1968 à 330 800 en 1982. La majorité d'entre eux se trouve dans les Bouches-du-Rhône : 85 000 Algériens, 24 600 Marocains et Tunisiens, 20 400 Italiens, 17 300 Espagnols. Marseille en concentre presque 81 000, soit 9,3 % de sa population, avec de fortes disparités entre les quartiers, le Ier arrondissement, au centre ville, atteignant le pourcentage de 27,8, ce qui rend cette présence étrangère - largement maghrébine - extrêmement visible. C'est alors que le trafic avec l'Algérie (le trabendo) bat son plein et que se constitue le "souk" de Belsunce, donnant le sentiment largement exploité par toute une propagande politique d'une "invasion", pour reprendre une expression que Louis Bertrand avait employée à propos de l'immigration italienne au début du siècle. Il est d'ailleurs extrêmement frappant de constater qu'à presque un siècle d'intervalle, les mêmes expressions, les mêmes stéréotypes passent, sous la plume des xénophobes, des Italiens aux "Arabes".
Les chiffres de l'immigration sont toujours difficiles à établir puisqu'il s'agit, par définition, d'une population mobile et qui comporte toujours une part qui échappe aux statistiques. Cependant, celles-ci donnent des ordres de grandeur et c'est l'essentiel. Or, contrairement à une idée répandue et largement entretenue, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, la part des étrangers dans la population régionale est stabilisée depuis vingt ans. Elle tourne autour de 8 % (pour un peu moins de 7 % pour la France, où dans le même temps, cette population a augmenté). Depuis 1974, le ralentissement de l'immigration est net et, moins qu'aux mesures restrictives, il est dû à la baisse de l'emploi peu qualifié dans le bâtiment et l'industrie. Les années quatre-vingt verront un léger regain (375 000 étrangers en 1990, soit 8,7 % de la population), mais le principal problème qui se pose dès lors est celui de l'intégration des enfants d'immigrés, jeunes Français qui protestent contre les discriminations. C'est de Marseille que partira en 1983 la "Marche pour l'égalité et contre le racisme".
Bibliographie :
Abdelmalek Sayad, Jean-Jacques Jordi et Émile Témime dir., Migrance. Histoire des migrations à Marseille, tome 4, Aix-en-Provence, Édisud, 1991.
Émile Témime, Marseille-Transit : les passagers de Belsunce, Paris, Autrement, 1995.
Ralph Schor, Histoire de l'immigration en France de la fin du XIXe siècle à nos jours, Paris, Armand Colin, 1996.
Patrick Weil, La France et ses étrangers, Paris, rééd. Gallimard-Folio, 1995.
Transcription
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