Témoignages de proches de victimes de règlements de comptes liés au trafic de drogue à Marseille

Une mère et un frère de deux victimes de règlements de compte liés au trafic de drogue à Marseille témoignent, fin août 2021, alors que le président de la République Emmanuel Macron s’apprête à se positionner sur les questions de sécurité en vue de la prochaine présidentielle. Il est attendu, le 1er septembre, dans la cité phocéenne pour une longue visite de trois jours. Le chef de l’État souhaite y présenter son plan « Marseille en Grand », comportant un volet de lutte contre les trafics et la délinquance, mais aussi un volet social visant à transformer le quotidien des habitants en rattrapant le retard d’aménagement pris par la cité phocéenne dans les domaines de l’éducation, des transports, de l’emploi ou du logement. Chaque année à Marseille environ une vingtaine d’adolescents ou de jeunes adultes perdent la vie en raison de la concurrence féroce que se livrent des réseaux rivaux pour le contrôle du trafic de stupéfiants. Ce grand port sur la Méditerranée est une plaque tournante de l’économie mondialisée de la drogue, et un lieu d’arrivée et de revente privilégié du cannabis en provenance du Maroc ou de la cocaïne venue d’Amérique du Sud. Cette économie souterraine prospère, en particulier dans les cités déshéritées du nord de la ville, en partie laissées à l’abandon par les pouvoirs publics. Le mirage de l’argent facile, comme simple guetteur, fait progressivement dériver de nombreux jeunes vers la délinquance, milieu d’où il est ensuite très difficile de s’extraire. Loin de connaître l’ascension sociale escomptée, de trop nombreux jeunes se retrouvent à un moment de leur parcours, soit en prison, soit au cimetière lorsque le contrat pesant sur leur tête a été exécuté, parfois par un autre jeune tombé dans le même engrenage.

Au lendemain des marches blanches, qui se succèdent pour soutenir les proches des victimes effondrés, il est fait reproche à la police et aux magistrats de ne pas retrouver les coupables. C’est ce que regrette amèrement Valérie Cibasti, dont le fils unique Anthony, 25 ans, a été tué de trente-deux balles de fusil d’assaut dans sa voiture à Gignac-la-Nerthe, six ans auparavant. Ses assassins n’ont pas été identifiés et n’ont donc jamais eu à répondre de leurs actes devant un tribunal. Cet ancien bagagiste intérimaire chez Air France avait perdu son emploi et fait dans la foulée de mauvaises rencontres. Il était tombé de fil en aiguille dans le trafic de drogue où il occupait le bas de l’échelle. Des associations multiplient les initiatives pour tenter de détourner les plus jeunes de cet horizon mortifère. Amine Kessaci, au parcours scolaire exemplaire, vit depuis son enfance dans le quartier populaire de Frais-Vallon. Frère cadet de Brahim, 22 ans, dont le corps a été retrouvé en décembre 2022 calciné et démembré dans une voiture carbonisée à la suite d’un règlement de compte, il a fondé en juillet de la même année, à seulement 17 ans, l’association "Conscience". Amine Kessaci désire d’une part agir concrètement par le bas pour que les jeunes ne rentrent pas dans l’engrenage infernal du trafic de stupéfiants, et d’autre part œuvrer à une amélioration des conditions de vie dans les quartiers défavorisés à Marseille et partout en France. La désertification des services publics, la déscolarisation ou le mal-logement pèsent en effet lourd dans la balance. Lors du séjour d’Emmanuel Macron à Marseille, il l’interpelle et l’invite à davantage co-construire son plan « Marseille en Grand » par le bas avec les membres de la société civile. Son association compte, en 2022, plusieurs comités en France et environ 700 adhérents. Amine Kessaci profite enfin de la campagne présidentielle pour faire entendre, avec le collectif « Ta voix compte », les préoccupations des jeunes issus des quartiers populaires, que l’on ne peut réduire à l’échec scolaire ou aux petites mains du trafic de drogue. Il existe au contraire dans ces territoires oubliés de la République un capital humain inexploité et gâché, au profil transnational, qu’il serait très profitable de mobiliser pour le mettre au service du rayonnement de l’économie française.

Bibliographie 

Daphné Bibard, Célia Borrelli, Cesare Mattina, Laurent Mucchielli (directeur de la recherche) Khadidja Sahraou, Trafics et trafiquants de drogues à Marseille, Les Rapports de Recherche de l'ORDCS, n°1, 2013 (https ://ordcs.mmsh.univ-aix.fr/publications/Documents/Rapport_recherche_ORDCS_N1.pdf) 

Laurent Mucchielli, Délinquance et criminalité à Marseille : fantasmes et réalités, Paris, Fondation Jean-Jaurès, 2013.

Michel Peraldi, Michel Samson, Marseille en résistances. Fin de règnes et luttes urbaines, Paris, La Découverte, 2020. 

Philippe Pujol, French deconnection au cœur des trafics, Paris, Éditions Robert Laffont, Marseille, Wildproject, 2014. 

Philippe Pujol, La Fabrique du monstre, Paris, Éditions des Arènes, 2016.