Inauguration du Mémorial du camp des Milles à Aix-en-Provence
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Le premier ministre Jean-Marc Ayrault vient inaugurer le Mémorial des Milles à Aix-en-Provence. Ce camp d’internement installé dans une tuilerie industrielle a fonctionné entre 1939 et 1942. C’est de là que sont partis vers la mort des milliers de Juifs de la zone non occupée dans l’été 1942.
Date de diffusion :
10 sept. 2012
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Contexte historique
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La tuilerie industrielle des Milles, à Aix-en-Provence, dont la production avait été arrêtée en 1938, a été réquisitionnée au début de la guerre en septembre 1939 pour y interner, sous administration militaire, « les ressortissants ennemis » résidant en Provence, à savoir les Allemands et Autrichiens, quelle que soit leur situation par rapport à leur pays d’origine. Or, la plupart de ces hommes étaient des réfugiés antinazis et souvent d’origine juive. Commencée le 17 septembre 1939 avec l’arrivée des premiers internés, l’histoire de ce camp d’internement improvisé et inadapté se décompose en deux moments jusqu’au début de l’été 1940. Dans le premier, les 1 850 internés furent dispersés après criblage, les uns étant libérés un ou deux mois après leur arrivée au camp, d’autres s’engageant dans la Légion étrangère, beaucoup étant versés dans des compagnies de travailleurs étrangers (CTE) utilisées à des travaux publics plus ou moins utiles dans les Basses-Alpes, et le reste étant envoyés à Lambesc. Fermée le 18 avril 1940, la tuilerie rouvrit le 12 mai suivant lorsque l’invasion allemande fit revenir le gouvernement sur l’internement des « ennemis ». Les femmes furent assignées dans des hôtels marseillais. Les hommes, venus comme en septembre des divers points de regroupement provisoire de la région, se retrouvèrent dans ces locaux parcourus par les vents, recouverts de poussière d’argile, sans points d’eau suffisants, dans des conditions de promiscuité d’autant plus indignes que le nombre des internés ne cesse d’augmenter avec le transfert des camps des régions envahies, jusqu’à atteindre près de 3 500 en juin 1940.
Beaucoup de ces internés étaient des intellectuels et des artistes, dont les témoignages - livres de souvenir, œuvres peintes, traces de leur passage parfois préservées dans la tuilerie - sont très précieux pour connaître la vie dans le camp et la façon dont ces hommes essayaient de la rendre moins indigne. Parmi eux, se trouvait la fine fleur de l’intelligentsia austro-allemande : des écrivains comme Lion Feuchtwanger qui donnera, avec Le diable en France, un saisissant témoignage sur Sanary où il était réfugié et sur Les Milles, Alfred Kantorowicz, le fils de Thomas Mann, Golo, Ernst Erich Noth (qui habitait Aix avant guerre), des peintres comme Max Ernst, Hans Bellmer ou Léo Marchütz (qui faisait partie des peintres du Château noir, près du Tholonet), des philosophes comme Walter Benjamin, des savants comme Otto Meyerhoff, prix Nobel de médecine, etc. Après une tentative manquée de départ qui conduisit environ 2 000 d’entre eux, en vain, jusqu’à Bayonne, les internés furent parqués près de Nîmes avant de revenir pour partie aux Milles. Les internés qui n’étaient pas antinazis choisirent de retourner en Allemagne ; la plupart, évidemment, le refusèrent. Le gouvernement de Vichy institutionnalisa alors l’internement des « étrangers indésirables » et spécialisa les camps. La destination des Milles, dont la gestion passa aux mains du ministère de l’Intérieur, changea.
La tuilerie devint le camp de transit où furent envoyés les internés des camps du Sud-Ouest (Gurs, Le Vernet surtout), de nationalités diverses, qui avaient entrepris des démarches pour partir en Amérique (États-Unis, Mexique surtout) ou, pour les communistes, en URSS (avant juin 1941). Marseille est alors la seule porte de sortie de France, c’est là que se trouvent les consulats délivrant les visas, les associations d’assistance juives, protestantes et autres (comme le Comité américain de secours fondé par Varian Fry) qui aident les internés à faire les démarches, les compagnies de navigation qui vendent des places d’embarquement. Ces départs, qui ne cessent de connaître des hauts et des bas en fonction de la politique de Vichy ou celle des pays d’accueil, se réduisent à la mi-1942. Durant cette période, le nombre d’internés tourne autour de 1 300. La plupart sont juifs et la majorité reste austro-allemande (781 Allemands et 290 Autrichiens en juin 1942).
C’est à ce moment que se place la troisième phase, la plus courte mais aussi la plus tragique, de l’histoire des Milles. Lorsque le gouvernement de Vichy s’accorde avec la direction de la SS pour livrer certaines catégories de juifs étrangers réfugiés en zone non occupée, c’est-à-dire sous sa juridiction, le camp des Milles est utilisé pour regrouper les personnes concernées. À partir du 3 août 1942 sont mêlés aux internés les hommes pris dans des GTE (Groupements de travailleurs étrangers), des femmes et des enfants de tous âges sortis des hôtels marseillais où ils avaient été regroupés, puis les familles attrapées dans la grande rafle des 25-26 août. Presque tous partent pour Drancy en divers convois qui s’échelonnent les 11, 13 et 23 août, puis le 2 septembre, en dépit des interventions courageuses et obstinées de quelques personnes (le pasteur Manen, le rabbin Salzer, des membres des organisations de secours, quelques gardiens). Avec ces départs, la tragédie est à son apogée. Certaines victimes se suicident. Des enfants, que l’on sépare de leurs parents, peuvent être sauvés. Les derniers départs ont lieu les 10 et 11 septembre vers le camp de Rivesaltes (qui n’est qu’une étape avant Drancy). Au total, environ 1 900 personnes sont parties des Milles. La plupart aboutiront à Auschwitz. Il ne reste plus que 275 internés dans la tuilerie, reliquats de la période antérieure, bientôt dispersés en GTE. Le camp ferme le 10 décembre 1942, peu après l’invasion de la zone sud.
Comme souvent, discours et reportages mélangent les périodes ou réduisent l’histoire du camp au seul terrible été 1942. On le voit ici. L’intérêt de la sauvegarde de la tuilerie des Milles tient en réalité au fait que son histoire illustre toute les phases de l’internement et qu’elle permet ainsi, non seulement de rappeler la responsabilité du régime de Vichy dans l’extermination des Juifs, mais aussi de mettre en garde contre l’arbitraire de mesures administratives appliquées de façon automatique et politique, hors de tout contrôle judiciaire. C’est pourquoi la résurrection de la tuilerie en tant que lieu d’internement est liée à la multiplication des études de ce phénomène à partir de la fin des années 1970, à la fois par des historiens germanistes sensibilisés à l’histoire des réfugiés antinazis et des historiens spécialisés dans celle des persécutions antisémites. Contrairement à ce que déclare le journaliste qui confond mémoire et histoire en affirmant que celle-ci « peut enfin s’écrire », c’est parce que l’histoire a été peu à peu reconstituée que la mémoire collective a pu faire sortir la tuilerie de l’oubli, s’approprier le lieu et permettre sa transformation, non sans difficultés d’ailleurs, en un élément important du patrimoine national de la Seconde Guerre mondiale en France.
Tout a commencé en 1982 avec la menace de destruction du réfectoire et donc des fresques que des artistes internés avaient peintes sans doute au printemps 1941. Les interventions du CRIF (Conseil représentatifs des institutions juives de France) et de la municipalité d’Aix-en-Provence aboutirent in extremis au classement du bâtiment, le 25 novembre par Jack Lang, ministre de la Culture, puis à son inscription à l’inventaire des Monuments historiques, le 3 novembre 1983. Commença alors une longue phase de mobilisation afin de sauvegarder l’ensemble du site. Elle fut conduite par le comité de coordination pour la sauvegarde du camp des Milles, dans lequel les anciens déportés et leurs amis jouèrent un rôle décisif. L’une des étapes importantes de cette action fut l’inauguration du Chemin des déportés et l’installation du wagon-souvenir et de sa petite exposition par l’Amicale des déportés d’Auschwitz en novembre 1992. Dix ans plus tard, étaient fondés un comité de pilotage présidé par le sociologue Alain Chouraqui, qui a véritablement porté le projet du Mémorial, et l’Association Mémoire du camp des Milles. Leur but était de préserver ce qui était finalement le seul camp d’internement français resté intact. L’ensemble du site de la tuilerie a été inscrit aux Monuments historiques en 2004 et la Fondation du Camp des Milles pouvait être créée afin de piloter le chantier qui venait enfin d’ouvrir pour transformer le lieu en site de mémoire. L’objectif de la Fondation était, non seulement de rappeler l’histoire dont la tuilerie avait été le cadre, mais aussi d’offrir au public, et surtout au jeune public, un espace de réflexion sur les mécanismes individuels et collectifs qui peuvent aboutir au pire, mais aussi au meilleur, les « actes justes ». L’inauguration de 2012 venait donc consacrer les efforts faits tout au long de ce parcours pour y parvenir.
Bibliographie
Outre la documentation proposée par le Site-Mémorial du camp des Milles (notamment Le camp des Milles 1939-1942, 59 p.),
- Alain Chouraqui, Pour résister à l’engrenage des extrémismes, des racismes et de l’antisémitisme, Paris, Éditions du Cherche-Midi, 2015, 189 p.
- Lion Feuchtwanger, Le diable en France (témoignage publié en 1942), Paris, Belfond, 2010, 312 p.
- André Fontaine, Le camp d'étrangers des Milles 1939-1943, Édisud, 1989, 245 p.
- Jacques Grandjonc et Theresia Grundtner, Zones d’ombres 1933-1944, Aix, Alinea, 1990, 477 p.
- Henri Manen, Au fond de l’abîme. Journal du camp des Milles, Éditions Ampelos, 2013, 53 p.
- Guy Marchot, Lettres des internés du camp des Milles 1939-1942, Aix-en-Provence, Association Philatélique du pays d’Aix, 2012, 207 p.
- Robert Mencherini dir., Provence-Auschwitz. De l’internement des étrangers à la déportation des juifs 1939-1944, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2007, 320 p.
- Denis Peschanski, La France des camps (1938-1946), Paris, Gallimard, 560 p.
Transcription
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