Décrypter les discours d’Emmanuel Macron grâce à l’intelligence artificielle

En juin 2021, Emmanuel Macron s’apprête à entamer un tour de France des territoires pour prendre le pouls du pays à moins d’un an des prochaines élections présidentielles durant lesquelles il entend se présenter pour être réélu à la présidence de la République. Un mois plus tôt est paru un livre intitulé Macron ou le mystère du verbe : Ses discours décryptés par la machine, dont l’auteur Damon Mayaffre, historien et linguiste, chargé de recherche au CNRS, est interrogé dans le reportage. À l’heure de la révolution numérique, Damon Mayaffre a utilisé, avec une équipe du laboratoire Bases, Corpus, Langage (Université Côte d’Azur-CNRS), l’intelligence artificielle (IA) et la statistique textuelle pour tenter de cerner la complexité du discours du président en exercice, comme il l’avait fait auparavant pour certains de ses prédécesseurs, comme Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac, François Mitterrand, Valéry Giscard d’Estaing, Georges Pompidou ou Charles de Gaulle. 

Dès les années 1970 des linguistes, comme Étienne Brunet, utilisent les nouvelles possibilités offertes par l’informatique pour les appliquer à la linguistique. En 1989, ce dernier met au point, avec l’ingénieur de recherche au CNRS Laurent Vanni interrogé dans le reportage, le logiciel d’exploration documentaire et de statistique textuelle Hyperbase permettant d’analyser de grands corpus de textes. Grâce à la lecture quantitative et réticulaire des textes permise pour des ordinateurs de plus en plus puissants, il est possible de mettre en évidence des relations de sens entre différents mots ou expressions et de procéder par la suite à un classement. Il faut avant cela entraîner la machine, via le deep learning ou apprentissage profond, pour qu’elle puisse reconnaître les lettres et mots favoris, les tournures de phrase préférées, les codes grammaticaux ou les tics de langage propres à une personne donnée. Ainsi, la rhétorique d’Emmanuel Macron est en premier lieu tendue vers la volonté de mise en mouvement de la société, comme en témoigne d’ailleurs la dénomination « En Marche » donnée au parti politique qu’il a créé. Cette « rhétorique du processus », comme la qualifie Damon Mayaffre, veut clairement exprimer une dynamique, mais sans toutefois l’accompagner de l’indication d’un but précis sous-tendu par un contenu politique bien défini. Dans le même ordre d’idée, Emmanuel Macron utilise beaucoup de mots contenant le suffixe « ion » qui renvoie lui aussi au mouvement et au changement. Le substantif préféré du président est d’ailleurs « transformation ». L’intelligence artificielle met cependant en exergue un usage très particulier du verbe chez Emmanuel Macron, qui utilise de manière intransitive des verbes transitifs, c’est-à-dire sans leur donner de compléments d’objet qui permettraient de préciser leur finalité. Chez Emmanuel Macron le pragmatisme de situation prévaut donc sur une idéologique structurée et préexistante, même si on retrouve fréquemment dans ses discours des mots liés par exemple au « marché » ou à l’« Europe ». Le président croit aux vertus de la construction européenne et entend clairement affirmer ce point de vue, ce qui lui permet de parler à un électorat centriste, qui partage sa vision positive de l’acquis communautaire. L’intelligence artificielle isole aussi l’emploi fréquent, par Emmanuel Macron, de préfixes contenant la lettre r, qui a un aspect réactionnaire et renvoie à un retour au passé. Ainsi, il ne parle pas d’« instauration » mais de « restauration », pas de « fondation » mais de « refondation ». 

La rhétorique d’Emmanuel Macron s’adresse donc « en même temps » à un électorat de gauche progressiste, à un électorat centriste europhile, et à un électorat de droite plus conservateur, dans l’optique de rassembler le plus grand nombre de suffrages et de se faire réélire. Il y parvient d’ailleurs lors des élections présidentielles des 10 et 24 avril 2022, en battant Marine Le Pen, candidate du parti d’extrême droite Rassemblement National, au soir du second tour. Enfin l’intelligence artificielle met en exergue le fait qu’Emmanuel Macron, souvent présenté comme un homme neuf, inscrit en fait en partie son discours dans la continuité de ses prédécesseurs à l’Élysée. Il emprunte à chacun d’eux certains aspects bien déterminés de leur rhétorique ou de la manière de la formuler. Il emploie par exemple beaucoup, comme Nicolas Sarkozy, le mot « travail », ce qui renvoie clairement à la politique libérale d’Emmanuel Macron favorable aux entrepreneurs.         

Bibliographie

• Damon Mayaffre, Le discours présidentiel sous la Ve République : Chirac, Mitterrand, Giscard, Pompidou, de Gaulle, Paris, Presses de Sciences Po, 2012.  
• Damon Mayaffre, Mesure et démesure du discours : Nicolas Sarkozy (2007-2012), Paris, Presses de Sciences Po, 2012.  
• Damon Mayaffre, Macron ou le mystère du verbe : Ses discours décryptés par la machine, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2021.