Le poste frontière de Longwy à la frontière luxembourgeoise
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Résumé
De nombreux véhicules transitent quotidiennement entre la France et le Luxembourg et sont susceptibles d'être contrôlés par les douanes françaises.
Reportage au bureau du service des douanes de Longlaville à la frontière luxembourgeoise et rencontre avec un receveur des douanes, un inspecteur principal des douanes et un douanier.
Date de publication du document :
Février 2022
Date de diffusion :
08 janv. 1963
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Contexte historique
ParDocteur en Géographie, Loterr, MSH Lorraine, Université de Lorraine
Avec la signature du traité de Rome en 1957, la France et le Grand-Duché de Luxembourg se sont associés à l’Allemagne de l’Ouest, les Pays-Bas, l’Italie et la Belgique au sein de la Communauté Économique Européenne (CEE). Cette entité qui s’élargira progressivement à d’autres pays européens pour devenir l’Union européenne en 1993, après l’entrée en vigueur du traité de Maastricht prévoyait déjà l’instauration de la libre circulation des marchandises ainsi que celle des personnes. Ces dispositions devaient cependant être mise en œuvre selon des temporalités différentes : la libre circulation des marchandises s’est en effet étalée sur une période transitoire de 12 ans, devenant effective en 1968, tandis que la libre circulation des personnes a dû attendre les accords de Schengen en 1985 et la signature de l’Acte unique Européen en 1987 pour être relancée.
En 1963, la séparation géographique entre la France et le Luxembourg était donc une frontière interne à la CEE, sans que son fonctionnement n’en soit pour autant modifié. Elle était alors contrôlée par les autorités des pays frontaliers, notamment lors d’opérations douanières fréquentes visant à empêcher une fraude principalement individuelle liée au différentiel de prix entre la France et le Luxembourg stimulant l’achat transfrontalier de carburant, tabac, alcool ou encore d’appareils audiovisuels tels des magnétoscopes en provenance d’Allemagne. Ces dynamiques anciennes sont toujours d’actualité à l’heure de la libre circulation intra-européenne, et se sont même renforcées depuis 2020 après plusieurs années d’assouplissement. Elles font en effet échos à des mesures prises par les autorités françaises pour limiter l’achat transfrontalier de tabac au Luxembourg en diminuant la quantité de produits, cigarettes, tabac à rouler et cigares, entrées en vigueur en août 2020, mais aussi à des épisodes récents de rétablissement ponctuel des contrôles aux frontières en période de crise, sécuritaire ou sanitaire. A ces contrôles réalisés au niveau des postes frontières s’ajoutent des opérations ponctuelles menées par des patrouilles, le long de cette zone limitrophe, qualifiée par les officiels interrogés, de « plaine » traversée par de nombreux chemins carrossables.
La circulation quotidienne à la frontière est estimée, dans le reportage, entre 800 et 1 000 véhicules quotidiens durant l’année, les mois d‘été pouvant voir ce chiffre atteindre 2 000 à 2 500 passages. Elle mérite d’être mise en perspective avec le volume des flux transfrontaliers contemporains, après un demi-siècle de construction européenne. Aujourd’hui, ce sont en effet près de 100 000 travailleurs frontaliers qui se rendent quotidiennement au Luxembourg, depuis la France, chiffre appelé à augmenter dans les années à venir. L’instauration de la libre circulation des hommes et des marchandises, la liberté de travailler au sein d’un autre pays de l’Union européenne ainsi que la restructuration socio-économique des espaces frontaliers à la suite de la crise de la sidérurgie des années 1980 ont fait du Luxembourg le principal pôle d’attraction de la région comme en témoigne le flot de travailleurs frontaliers venus de pays voisins et dont les activités se révèlent vitales pour l’économie luxembourgeoise. La crise liée au Covid-19 a d’ailleurs souligné l’importance de ces dynamiques géoéconomiques : pour ne pas mettre en péril l’intégration fonctionnelle transfrontalière, France et Luxembourg ont en effet adopté dès mars 2020 des mesures conjointes pour faire face à la situation et assurer a minima la continuité des activités économiques liées à la main-d'œuvre frontalière. La France s’est ainsi engagée à ne pas bloquer le passage des travailleurs vers Luxembourg et à ne pas réquisitionner celles et ceux qui y œuvrent dans les secteurs médicaux. A la différence des années 1960, la frontière et son franchissement occupent aujourd’hui une position centrale dans les pratiques quotidiennes des habitants de ces espaces frontaliers. En France, dans les territoires à proximité immédiate du Luxembourg, ce sont ainsi près de deux actifs sur trois qui exercent leur activité professionnelle au Grand-Duché.
Note de la rédaction : Ce reportage réalisé par une équipe de la télévision régionale en janvier 1963 est en partie muet car jusqu'aux années 70 les commentaires des journalistes se faisaient majoritairement en studio. Dans cet extrait, les propos sexistes tenus à environ 1'45 sont révélateurs d’une époque où ce type de propos était plus couramment tenu.
Transcription
(Cliquez sur le texte pour positionner la vidéo)
(Silence)
Jean-Gabriel Grand
Monsieur Ramon, puisque vous êtes receveur des douanes, vous voyez passer pas mal de clients, bien sûr, surtout en période de pointe, surtout pendant l’été, et c’est vous qui présidez en quelque sorte aux investigations des douaniers ?
Monsieur Ramon
Oui.
Jean-Gabriel Grand
Alors jusqu’où avez-vous le droit d’aller ?
Monsieur Ramon
La loi nous autorise à fouiller les véhicules, à visiter les véhicules ;du moins, dans leur totalité et à procéder également à la visite des voyageurs.
Jean-Gabriel Grand
La visite des voyageurs, c’est-à-dire ?
Monsieur Ramon
La visite corporelle.
Jean-Gabriel Grand
Fouiller les vêtements ?
Monsieur Ramon
C’est ça.
Jean-Gabriel Grand
Mais je suppose que ce n’est pas vous qui suivez ces opérations.
Monsieur Ramon
Non, ce sont les douaniers qui procèdent à cette visite.
Jean-Gabriel Grand
Les douaniers et également un personnel féminin spécialisé je suppose.
Monsieur Ramon
Spécialisé pour les dames.
Jean-Gabriel Grand
C’est dommage d’ailleurs, ça pourrait être agréable pour vos douaniers dans certains cas.Mais soyons sérieux, la visite des véhicules, c’est plus délicatparce que, on peut regarder sous les sièges, on peut regarder dans le moteur, dans la malle arrièremais je suppose que les fraudeurs ont d’autres procédés, d’autres trucs ?
Monsieur Ramon
Évidemment, il existe des moyens cachés.Et là, les moyens cachés sont difficiles à déceler.
Jean-Gabriel Grand
Et puis, je pense qu’à une frontière comme celle-ci, vous avez rarement l’occasion de démonter les pneus, les roues, de fouiller des réservoirs, si ?
Monsieur Ramon
Non, on s’en tient surtout à la visite des coffres, des dessous de siège, de la boîte à gants, enfin les cachettes tout à fait naturelles.
Jean-Gabriel Grand
Monsieur l’inspecteur principal, j’ai bien envie de vous poser une question indiscrète :si vous n’étiez pas fonctionnaireet si vous aviez envie de faire carrière dans la clandestinité, est-ce que vous choisiriez la frontière luxembourgeoise pour exercer cette coupable activité ?
Inspecteur des douanes
Évidemment, je suis assez mal placé pour vous donner un conseil en la matière.Mais, enfin, personnellement, je pense que la fraude n’est pas suffisamment rémunératrice sur la frontière luxembourgeoise pour justifier une activité permanente de contrebandier.Euh, néanmoins, enfin, certainement d’ailleurs, les affaires, les affaires que nous réalisons prouvent qu’il ne s’agit en général que de pacotillages, que de personnes qui fraudent pour leur besoin personnel.
Jean-Gabriel Grand
Du bricolage en quelque sorte.
Inspecteur des douanes
Du bricolage, enfin, si vous voulez.
Jean-Gabriel Grand
Quelles sont les fraudes, les infractions les plus souvent constatées ici ?
Inspecteur des douanes
Les infractions les plus souvent constatées concernent actuellement essentiellement les carburants.Nous avons également la fraude traditionnelle sur les tabacs, cigares, cigarettes et également sur les appareils d’optique, magnétophones, transistors, appareils et radios diverses en provenance d’Allemagne.
Jean-Gabriel Grand
Tout ça, c’est du classique ?
Inspecteur des douanes
Tout ça c’est du classique pour nous.
Jean-Gabriel Grand
Mais je pense qu’il y a tout de même une sorte de mode en matière de fraude.Vous me parlez de l’essence par exemple, c’est bien une fraude de 1963.
Inspecteur des douanes
Oui, de 1963.
Jean-Gabriel Grand
Elle n’aurait pas existé en 1950, ou non ?
Inspecteur des douanes
Non, certainement.C’est une mode qui est essentiellement provoquée par la disparité des prix entre la France et l’étranger et en particulier le Luxembourg.
Jean-Gabriel Grand
Je crois qu’il y a des anecdotes assez amusantes d’ailleurs.Vous me parliez tout à l’heure de cette histoire de réservoir.
Inspecteur des douanes
Le réservoir, oui, parce que…
Jean-Gabriel Grand
C’est l’essence qui m’y fait penser.
Inspecteur des douanes
Les réservoirs, enfin, ne contiennent pas toujours de l’essence et nous avons eu le cas de réservoir à carburants spéciaux qui étaient aménagés pour le transport du café.
Jean-Gabriel Grand
En effet !
Inspecteur des douanes
Ce qui n’est pas la place tout à fait indiquée pour cette marchandise.
Jean-Gabriel Grand
Ce qui ne devait pas faire avancer très vite l’automobile.
Inspecteur des douanes
Non, remarquez qu’il s’agissait d’un réservoir supplémentaire.
Jean-Gabriel Grand
Et vous avez d’autres histoires amusantes à propos de fraude et de fraudeurs.
Inspecteur des douanes
Des histoires amusantes de dernièrement.Monsieur le receveur m’a parlé du médecin italien qui ramenait de Luxembourg son chien mort dans une caisse parce qu’il désirait l’inhumer en Italie.
Jean-Gabriel Grand
Oui, mais ça n’est pas une infraction.
Inspecteur des douanes
Ça n’est pas une infraction, non.Mais enfin, c’est un cas très particulier.
Jean-Gabriel Grand
Vous n’aviez pas aussi un cas d’urne funéraire ?
Inspecteur des douanes
Oui, c’est dans le genre macabre également, nous avons eu le cas d’un monsieur qui avait fait incinérer sa dame au Luxembourg,et qui en ramenait les cendres en France, dans une petite boîte en carton.Évidemment, là non plus, ça n’était pas de la fraude.
Jean-Gabriel Grand
Alors bien entendu, vous surveillez les grands axes mais je pense que vous battez aussi la campagne à l’occasion ?
Inspecteur des douanes
Oui, nous avons des services qui surveillent la plaine, enfin ce que nous appelons la plaine c’est-à-dire tout ce qui n’est pas routes légales, y compris les chemins très souvent carrossables, très carrossables d’ailleurs, qui conduisent vers l’étranger.
Jean-Gabriel Grand
Monsieur le douanier, je vois que vous êtes armés.Je pense que c’est symbolique et que vous n’avez pas souvent eu l’occasion de vous servir de votre revolver.
Douanier
Non, monsieur, en effet, nous nous servons très rarement de nos armes.
Jean-Gabriel Grand
Mais, enfin, je me demande, si j’avais l’intention, si j’avais l’intention de passer la frontière en forçant le barrage, qu’est-ce qui se passerait ?
Douanier
Devant les bureaux de route déjà, nous avons une barrière qui interdit le passage et sur les chemins détournés, certaines, certains groupes d’agents contrôlent, enfin, le passage et l’empêchent avec des hérissons, des herses, enfin plusieurs moyens d’arrêt.
Jean-Gabriel Grand
Ça ne s’est jamais produit ?
Douanier
Très rarement, très rarement.
Jean-Gabriel Grand
Un dernier mot messieurs, quelle est l’importance du trafic ?
Monsieur Ramon
Nous pouvons compter en période touristique c’est-à-dire en été entre 2 000 et 2 500 voitures par jour, et en période actuelle, pendant l’hiver, de 800 à 1 000 voitures par jour.
Jean-Gabriel Grand
Et le pourcentage d’infraction ?
Monsieur Ramon
Jusqu’à présent, il a été de 200 affaires par an environ.
Jean-Gabriel Grand
Nous pouvons dire ensemble que la frontière luxembourgeoise est une frontière bienveillante, peut-être même la plus bienveillante d’Europe ?
Inspecteur des douanes
Bien sûr.Mais toutes les personnes ne pensent pas comme vous.
Jean-Gabriel Grand
Bien, je vous remercie messieurs, voilà notre conclusion.
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