Crise des hôpitaux : le personnel médical part travailler au Luxembourg
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Avec la crise des hôpitaux en France (manque de moyens, mauvaises conditions de travail, bas salaires, etc.), le personnel médical transfrontalier choisit de plus en plus de travailler au Luxembourg. Exemple ici avec Nathalie Russo, médecin urgentiste, et Aline Saluzzi, infimière.
Date de publication du document :
Février 2022
Date de diffusion :
20 nov. 2019
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Contexte historique
ParMaîtresse de conférences en Sciences de l’information et communication, Crem, Université de Lorraine
Ce reportage du journal télévisé 19/20 Lorraine a été diffusé le 20 novembre 2019, date à laquelle le Premier ministre, Edouard Philippe et la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn présentaient leur « Plan d’urgence pour l’hôpital - Ma santé 2022 ». Ce plan s’inscrivait dans un contexte de crise de l’hôpital public et était dévoilé quelques jours après un journée de mobilisation nationale « Sauver l’hôpital ».
L’introduction du journaliste montre que l’intention de ce reportage régional est d’éclairer une situation nationale à travers la présentation d’une situation contrastée France/Luxembourg. Le reportage s’ouvre sur le fait que l’hôpital public en France peine à recruter et à garder son personnel. Une explication en est donnée à travers les témoignages de deux soignantes qui ont franchi la frontière pour aller travailler au Luxembourg.
La crise de l’hôpital public en France est à resituer dans un contexte de succession de plans de restructuration. Entre les années 60 et 80, l’hôpital va connaître plusieurs réformes (internat, centralisation des soins, carte hospitalière) lui donnant la forme que nous lui connaissons aujourd’hui. Dès les années 80, l’hôpital apparaît comme une organisation qui se doit de gérer de façon optimale les moyens qui lui sont alloués. Mais ce n’est qu’en 2003 qu’est mis en place le système de tarification à l’acte (T2A). Ce dispositif tarifaire conduit alors l’hôpital à raisonner non plus seulement en termes de santé publique mais également en termes de rentabilité de son activité.
Selon Juven, Pierru, Vincent (2019), à partir de 2004, les plans de restructuration se suivent et se ressemblent. Le problème ne viendrait pas d’un manque moyens alloués à l’hôpital (et donc de la T2A) mais bien d’un manque d’efficience et une mauvaise organisation hospitalière. Il s’agirait donc : de rompre avec l’hospitalo-centrisme, de développer la concurrence entre établissements, d’accélérer le virage ambulatoire et de revoir le management interne sur le modèle de l’entreprise. Néanmoins, l’ensemble de ces propositions ne permettent pas d’enrayer la précarisation financière des établissements et la dégradation des conditions de travail des professionnels de santé. Les auteurs avancent quatre indicateurs de cette tendance de fond : la contraction des moyens (baisse des tarifs hospitaliers), la réduction des lits versus augmentation des places (lits en hospitalisation de jour), l’augmentation de la prise en charge en urgence et de l’activité hospitalière sans que la progression de l’emploi ne suive, l’augmentation des arrêts maladies chez les personnels soignants.
C’est cette dégradation des conditions de travail des équipes soignantes en France qui est mise en lumière dans le reportage du JT comme motif de départ des personnels soignants vers le Luxembourg. La voix off retrace ainsi le parcours de la médecin urgentiste interviewée épuisée par des années aux urgences de Thionville, les lourdeurs administratives et les conditions de travail ont sapé son moral et sa santé et qui travaille désormais au Luxembourg. Il s’agit ici pour les personnels de préserver leur propre santé. Par ailleurs, c’est un truisme que d’avancer que les conditions salariales de l’autre côté de la frontière ne sont pas les mêmes. L’interview de l’infirmière s’ouvre sur cet aspect. Partie de France, 15 ans auparavant, elle estime que la différence salariale reste constante avec un écart du simple au double. L’argument est identique pour la médecin urgentiste et la voix off met l’accent sur l’importance du malaise hexagonal en avançant que la majorité des personnels du service des urgences d’Esch-sur-Alzette sont aujourd’hui Français.
De plus, selon les deux soignantes, davantage de moyens sont mis à disposition des hôpitaux luxembourgeois et les personnels bénéficient de surcroît d’une bonne écoute de la part des services politiques tant au plan des conditions de travail qu’à celui de la prise en charge des patients. Un discours qui rompt avec la position française qui renvoie dos à dos demandes de plus de moyens pour mieux soigner et gestion plus efficientes des organisations hospitalières.
Le choix du lieu d’interview (la chambre d’une patiente avec son accompagnant) entrecoupée d’interactions entre soignantes et patiente (ça va mieux, vous avez plus de vertiges ?
, on va quand même aller faire le scanner
, etc.) autour du lit questionne implicitement l’opposition entre gestion managériale des soins (dans laquelle le nombre de lit est une variable d’ajustement des coûts) et vision médicale de ces derniers (dans laquelle la qualité de la relation soignant/soigné fait sens).
Les dernières secondes du reportage sont consacrées à un plan de caméra au ras du sol dans un couloir des urgences luxembourgeoises. Pas de patients qui attendent sur des brancards, seuls les soignants évoluent dans ce couloir... Puis la caméra retourne dans la chambre et le reportage se conclue sur les paroles des soignantes voilà, voilà, c’est parfait
qui s’adressent à la patiente qu’elles viennent d’aider à se redresser dans son lit. L’enjeu de la fermeture des lits et la question des engorgements des urgences au cœur de la crise de 2019 se dessine en filigrane.
Deux ans après, on pourrait proposer de renverser le regard : observer cette fois le départ des soignants vers le Luxembourg comme une déclinaison locale d’un malaise national. La précarité financière des établissements publics français s’illustre particulièrement sur le territoire mosellan. En 2012, par exemple, deux hôpitaux étaient mis sous tutelle (Marie-Madeleine à Forbach et Lemire à Saint-Avold). Si la coopération transfrontalière est favorisée et encadrée (avec des accords-cadres France/Luxembourg signés en 2016), il n’est pas évident que cela ne fragilise pas davantage les établissements hospitaliers mosellans et meurthe-et-mosellans. Seront-ils capables de maintenir un service médical sur leur territoire alors que les soignants se tournent de plus en plus vers le pays voisin ? En pleine crise COVID, différents articles de la PQR et PQN parlent de fuite des soignants
voire d’hémorragie
(Républicain Lorrain, 2021). Et les gestionnaires d’établissements s’inquiètent de ce qu’ils avancent comme une concurrence « sauvage » du Luxembourg (ou d’autres pays étrangers) qui recruteraient un tiers des infirmier.e.s diplômé.e.s des trois Instituts de Formation aux Soins Infirmiers (IFSI) mosellans (Le Figaro, 2020). L’ouverture prévue en 2026 du méga établissement Südspidol à Esch-sur-Alzette pour répondre aux besoins de santé de la Grande Région interroge également.
Bibliographie
- « Covid : la Moselle s’alarme de la fuite des soignants au Luxembourg », Le Figaro, 17/10/20, [en ligne], https://www.lefigaro.fr/flash-eco/covid-la-moselle-s-alarme-de-la-fuite-des-soignants-au-luxembourg-20201017, page consultée le 21 octobre 2021.
- Philippe Marque, « Covid-19 : la fuite des soignants vers le Luxembourg s'accélère, des élus veulent stopper l'hémorragie », Le Républicain Lorrain, 24/03/2021, [en ligne], https://www.republicain-lorrain.fr/sante/2021/03/24/soignants-la-fuite-en-avant-vers-le-luxembourg, page consultée le 21 octobre 2021.
- Pierre-André Juven, Frédéric Pierru, Fanny Vincent, La casse du siècle, à propos des réformes de l’hôpital public, Paris, Raisons d’agir, 2019.
Transcription
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