Le système paternaliste de l’ARBED durant l’entre-deux-guerres [muet]

Ce film compile des extraits sélectionnés à partir d’un documentaire bien plus long intitulé De fer et de feu, qui fait en quelque sorte l’inventaire, tourné en 1921, des réalisations industrielles et sociales de la sidérurgie luxembourgeoise et en particulier de l’entreprise Aciéries Réunies de Burbach-Eich-Dudelange (ARBED), principale entreprise sidérurgique du Luxembourg. L’ARBED est issue de la fusion en 1911 de la Société Anonyme des Hauts-Fourneaux et Forges de Dudelange, sa société mère dont le siège était implanté à Dudelange, de la Société des Forges d'Eich et de la Société Anonyme des Mines du Luxembourg et des Forges de Sarrebruck. Elle fusionne en 2002 avec le français Usinor et l’espagnol Aceralia (Aceralia Corporación Siderúrgica) pour former Arcelor, qui fusionnera elle-même en 2006 avec Mittal pour former ArcelorMittal, depuis lors première entreprise sidérurgique mondiale. Cette entreprise possède encore plusieurs sites sidérurgiques actifs au Luxembourg comme à Rodange, Esch-Belval ou Differdange, tous issus de l’ancienne ARBED.

Le film est muet et illustré musicalement. Les séquences sont donc entrecoupées de panneaux explicatifs qui présentent, avec plus ou moins de détails, les séquences suivantes. La logique du système industrialo-paternaliste est respectée car les sites industriels, partie productive à l’origine du système, sont présentés en premier et suivent ensuite, dans un plus grand désordre cependant, les annexes non-productives (bureaux, formation) et les réalisations sociales destinées aux ouvriers (logements, loisirs, santé). 

Les extraits choisis débutent par une vue panoramique de l’usine des Terres Rouges, à Esch-sur-Alzette. On repère très bien, au premier plan (0’25’’), une voie ferrée qui reliait directement les mines, situées à quelques centaines de mètres plus au sud, à l’usine. Puis apparaît une batterie de cinq hauts-fourneaux avec leurs rampes de chargement, chacun entouré de leurs cowpers (récupérateurs de gaz) et de hautes chemines. Cette usine, fondée en 1869 par Pierre Brasseur- Wurth juste à la frontière française, a changé plusieurs fois de raison sociale pour échoir à l’ARBED en 1937 ; à la date du film, elle appartient à la Société Métallurgique des Terres Rouges mentionnée aux côtés de l’ARBED sur les panneaux explicatifs. L’usine ferme en 1977 et l’essentiel est détruit, ne laissant que quelques halles partiellement réoccupées et des terrains nus. L’ensemble fait l’objet, à partir de 2020, du projet Rout Lëns, ciblé vers une reconversion écologiquement raisonnée et principalement résidentielle, tenant compte des héritages industriels. Enfin, à la fin de la vue panoramique, apparaissent au loin (1’00’’), à droite du centre de la ville d’Esch-sur-Alzette repérable grâce aux tours de l’église Saint-Joseph, les cheminées de l’usine de Schifflange, autre usine sidérurgique de la commune d’Esch-sur-Alzette, fondée en 1871 par la famille Metz et appartenant déjà à l’ARBED en 1921. Elle ferme en 2012 et est en attente de reconversion.

Les annexes liées à la production sont représentées dans les extraits par : 

• L’institut de formation Émile Metz (3’27’’), du nom d’un ingénieur et dirigeant de la société Metz évoquée ci-dessus, est installé à Dommeldange dans la banlieue nord de Luxembourg. Créé en 1913 par la veuve d’Émile Metz, Edmée Metz-Tesch, cet institut était consacré à la formation des futurs employés de la sidérurgie. En 2021, il est toujours consacré à la formation puisqu’il abrite le lycée technique privé Émile-Metz.
• Le siège alors en construction de l’ARBED (4’27’’) est situé sur l’avenue de la Liberté qui relie le cœur historique de la ville de Luxembourg à la gare. Il s’agit d’un édifice imposant et richement décoré, constitué de quatre ailes entourant une cour intérieure spacieuse (de 5’01’’ à 5’25’). Siège de l’ARBED depuis 1922, puis d’Arcelor et d’AcelorMittal, il est cédé par ce dernier à la Banque Caisse d’Épargne de l’État (BCEE) en 2014 qui le réhabilite et en fait son siège. 

Les réalisations sociales sont visibles à de nombreuses reprises dans le film :

• Les logements paternalistes (les cités ouvrières) apparaissent à la fin de la vue panoramique de l’usine des Terres Rouges à Esch-sur-Alzette (0’52’’). Il s’agit de la cité de la Hiehl composée de petites maisons jumelles entourées de modestes jardins et caractéristiques du début du XX^e siècle. Mais c’est surtout à partir de 2’50’’ que le film insiste sur les cités fraîchement construites dans la rue Émile Mayrisch, du nom d’un des fondateurs de l’ARBED. Situées à Dudelange, fief des Mayrsich, elles contrastent avec les précédentes par leur taille et leur modernité.
• Les services sont illustrés par deux éléments. Tout d’abord le sanatorium, réservé aux enfants malades des ouvriers de l’ARBED et de la Société des Terres Rouges apparaît à 1’31’’. Il est installé en 1920 sur le site du Kräizbierg à Dudelange, dans l’ancienne demeure familiale d’Émile Mayrisch, construite selon le style art nouveau en 1911, un peu à l’est de la ville sur une hauteur la dominant. Le site, agrandi dans les années 1930, abrite depuis 1979 la Fondation Kräizbierg, consacrée à la formation professionnelle des personnes atteintes d’un handicap physique. Ensuite, à partir de 2’02’’, apparaît le Krakelshaff, une des dix fermes gérées par l’ARBED et la Société des Terres Rouges. La ferme est un élément classique des systèmes industrialo-paternalistes qui tenaient ainsi à s’assurer de l’approvisionnement de leurs ouvriers. Cette ferme, sur la commune de Bettembourg mais toute proche de Dudelange, permettait aussi aux enfants des ouvriers de profiter d’un cadre moins industrialo-urbain. En 2021, la ferme a disparu et ce secteur entre Dudelange et Bettembourg, accolé à l’échangeur autoroutier majeur du Sud du Luxembourg (la Croix de Bettembourg) et à un important triage ferroviaire, accueille une vaste Zone d’Activités (ZA) en prise directe avec ces infrastructures. 

Cet ensemble d’extraits du film De fer et de feu est ainsi représentatif, à la fois de la richesse et de la variété des éléments d’un système industrialo-paternaliste puissant et de la dilatation, au début du XX^e siècle et à la taille du Luxembourg, de ce type de système qui sort clairement du cadre local dans lequel il se cantonnait initialement.