Le préfet Jean Laporte évoque l'avenir de la Lorraine au sein de l'Europe

En 1966, année de cette interview du préfet Jean Laporte, la Lorraine est encore le Texas lorrain selon l’expression utilisée par le journaliste Raymond Cartier dans le magazine Paris Match le 26 juin 1961. Il est vrai qu’elle est alors en pleine phase d’industrialisation, très attractive sur le plan économique, notamment grâce à ses trois grandes ressources du sous-sol : le minerai de fer (la minette lorraine), le sel et le charbon. 

En pleine Trente Glorieuses et 15 ans après la mise en place de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l'acier, organisation internationale entrée en vigueur le 23 juillet 1952 qui préfigure l’union européenne), cette région frontalière avec l’Allemagne, le Luxembourg et la Belgique, est au centre de toutes les attentions du pouvoir central parisien. Le préfet est alors la courroie de transmission du Gouvernement dans ses territoires mais également de la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR). Cette délégation interministérielle, créée en 1963, va très longtemps jouer un rôle central dans les politiques de planification de grands travaux d’infrastructure pour moderniser et équilibrer le développement des régions françaises. 

C’est dans ce contexte « d’euphorie aménagiste » que Jean Laporte est interviewé et expose sa vision de l’aménagement du territoire à la double échelle du Département de la Moselle et de la Région Lorraine. Ce préfet est d’ailleurs resté près de 13 ans dans ses fonctions en Lorraine, il est d’ailleurs celui dont la longévité fut la plus importante dans cette Région, encore aujourd’hui. Dans sa manière d’aborder les thèmes sur lesquels il est interrogé, il représente l’archétype des préfets aménageurs de l’époque, avec une sensibilité très forte quant aux questions de développement économique. 

Dans cette interview, répondant aux sollicitations du journaliste, il expose sa stratégie de ce point de vue et insiste tout particulièrement sur les futurs grands chantiers stratégiques lorrains et singulièrement ici mosellans.

D’abord, la future autoroute A4 reliant Paris à Strasbourg dont le tracé fait alors débat notamment entre Nancy et Metz, les deux « métropoles d’équilibre » rivales. Le préfet Laporte défend avec éloquence l’intérêt d’un tracé passant au nord de Metz, en croisement avec l’A31, pour constituer une toile d’araignée, irriguant notamment les grandes vallées sidérurgiques entre Metz et Thionville (vallées de la Fensch, de l’Orne...) alors en plein développement. La construction de l’A4 débutera seulement 5 années plus tard, en 1970, et reliera la capitale d’abord à Metz (1975) puis Strasbourg via le bassin houiller (Saint-Avold, Merlebach, Sarreguemines...) en 1976. 

Ensuite se développe également la voie fluviale, en ces temps promise à un grand avenir dans un espace lorrain caractérisé par son industrie lourde, avec le 26 mai 1964 l’inauguration en grande pompe de la Moselle canalisée à grand gabarit de Thionville à Coblence en présence du général de Gaulle, de la grande duchesse de Luxembourg et du président de la République Fédérale d’Allemagne, Heinrich Lübke. Le préfet Laporte, dans les logiques de l’époque, affirme ainsi qu’en prolongeant cette voie fluviale vers le sud et la méditerranée (Saône-Rhône), la Lorraine disposerait d’un véritable arsenal industriel au cœur de l’Europe. On sait aujourd’hui que ce projet de jonction, reconnu comme un élément clé du corridor multimodal européen « Mer du Nord – Mer Méditerranée », n’a pas été réalisé. Le sera-t-il d’ailleurs un jour ?  

Pour le préfet Laporte, forte de ces aménagements structurants (industrie, infrastructure routière et fluviale), la Lorraine serait une province intérieure idéale entre Paris et le marché commun.