Discours à l’Onu

28 septembre 1983
06m 52s
Réf. 00061

Notice

Résumé :
Le 28 septembre 1983, François Mitterrand s’exprime depuis la tribune de l’Assemblée des Nations Unies pour rappeler aux peuples du monde entier que la paix repose sur deux éléments essentiels : l’équilibre des forces militaires et le dialogue entre l’Est et l’Ouest, le Nord et le Sud.
Date de diffusion :
28 septembre 1983
Source :
Antenne 2 (Collection: JT 20H )
Personnalité(s) :

Éclairage

En 1983, l’Europe vit à l’heure des euromissiles.

Depuis le milieu des années 1970, l’Union soviétique déploie dans la partie européenne de son territoire des missiles nucléaires définis de moyenne portée ou intermédiaires, c’est-à-dire capables d’atteindre la plus grande partie des forces de l’OTAN stationnées en Europe, sans toucher au territoire américain. Il s’agit des SS 20. Les États-Unis disposent dans le continent de quelques systèmes analogues, mais désormais vieillis et non plus capables de remplir leur mission. De ce fait, un déséquilibre militaire s’installe au profit de l’Union soviétique et les pays membres de l’OTAN décident, en décembre 1979, d’y remédier par la double décision : soit les deux Grands décident de limiter, voire d'éliminer, toutes leurs fusées intermédiaires du Vieux continent, soit Washington se voit obligé de moderniser ses propres systèmes pour contrer les nouvelles armes soviétiques.

Sauf que l’Union soviétique ne partage pas la lecture qui est faite à l’Ouest de la situation stratégique. D’après le Kremlin, ce sont les SS 20 qui rétablissent enfin l’équilibre sur le continent européen, car ils offrent un contrepoint aux forces nucléaires tierces de la France et de la Grande-Bretagne, pour l’heure exclues de toute négociation sur le contrôle des armements et cela bien qu’elles soient dirigées contre l’Union soviétique. D’où la requête soviétique : si les États-Unis veulent négocier un accord sur les armes de moyenne portée en Europe, il faut que les forces des deux puissances européennes soient prises en compte. Ce à quoi les États-Unis rétorquent qu’ils n’ont pas autorité pour négocier des armes qui ne leur appartiennent pas.

Les négociations sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI) démarrent à Genève le 30 novembre 1981, sans que Moscou ait toutefois renoncé à son désir de comptabiliser les forces tierces. Tout au long des années 1982 et 1983, ce sujet fait d’ailleurs l’objet d’une campagne de propagande persistante à l’encontre des forces pacifistes qui envahissent les rues des capitales occidentales : le but, c’est de faire retomber l’échec des négociations sur le refus des forces tierces de participer au processus de désarmement qui touche enfin le continent européen.

L’intervention de François Mitterrand à l’Onu n’est que l’une des occasions, sûrement la plus importante et la plus solennelle, au cours de laquelle le Président français explique pourquoi les systèmes français et britannique n’ont pas leur place à côté des arsenaux bien plus puissants et plus diversifiés des deux superpuissances.
Ilaria Parisi

Transcription

Christine Ockrent
Madame, Monsieur, bonsoir, c’est un discours de fond sur les grandes orientations de la politique étrangère française et une analyse de l’état du monde que le Président Mitterrand a prononcé cet après-midi à New York à la tribune de l’assemblée générale des Nations Unies. Après avoir rendu hommage à l’action de l’ONU, le Chef de l’Etat français, qui s’adressait à son tour aux délégations réunies, a particulièrement insisté sur la nécessité, pour maintenir la paix dans le monde, d’établir un réel équilibre aussi bien en parvenant à une limitation durable des armements qu’en construisant un véritable dialogue Nord-Sud. Le Président Mitterrand a particulièrement insisté sur l’importance des négociations de Genève sur les euromissiles. Négociations que la France souhaite voir aboutir sans pourtant y être directement impliquée. Ecoutons le Chef de l’Etat et les explications sur place de Paul Amar.
François Mitterrand
Au terme d’une escalade continue de part et d’autre sur le sol de l’Europe, une situation nouvelle s’est créée qui veut qu’aujourd’hui, l’Union Soviétique et elle seule, dispose dans notre continent d’une force nucléaire intermédiaire. Force considérable, missiles à trois têtes, mobiles et précis, d’une portée d’environ 5000 kilomètres et qui, ne pouvant franchir l’Atlantique, n’ont par conséquent pour cible possible que les Nations d’Europe occidentale. Le même raisonnement valant pour les missiles installés dans la partie asiatique de l’URSS en direction des États voisins de cette région. La France a salué comme un acte très positif l’ouverture à Genève de la négociation sur ce type d’armement entre l’Union Soviétique et les États-Unis d’Amérique après que ceux-ci, en application de la double décision prise par les États membres du commandement intégré de l’OTAN, organisme auquel la France n’appartient pas, ont prévu l’installation dès la fin de cette année dans divers pays européens de fusées Pershing II et de missiles de croisière. Je n’évoquerais pas ici tous les aspects d’un débat que j’ai traité ailleurs et qui n’engage pas directement la France même s’il la concerne. Mais je souhaite préciser la position de mon pays devant la demande faite de décompter son armement nucléaire en vue de je ne sais quel équilibre des euromissiles. Je rappellerais à cet égard que la France s’est dotée depuis un quart de siècle d’une force de dissuasion nucléaire défensive par nature face à tout agresseur éventuel. Cette force forme un tout et constitue pour mon pays un système de défense central, indispensable à sa sécurité. Quelques chiffres en démontrent le caractère défensif, chacune des deux plus grandes puissances, vous ai-je dit à l’instant, dispose aujourd’hui de près de 8000 à 9000 ogives ; la France, elle en a 98, ce qui suffit certes à notre dissuasion mais exclut tout autre usage. Encore, ces 98 fusées relèvent-elles d’une conception stratégique et non pas d’une conception tactique et non pas davantage d’une conception intermédiaire ; si l’on emploie le vocabulaire extrêmement précis employé par les Soviétiques et les Américains quand ils traitent de leurs affaires. Il serait au demeurant paradoxal de voir un pays, le mien, dépendre d’une conférence à laquelle il ne participe pas et qui débattrait sans son consentement d’un armement stratégique notamment sous-marin dont ni les américains ni les russes, qui en possèdent beaucoup plus, ne discutent entre eux, du moins au sein de cette conférence. On ne peut comparer que ce qui est comparable. Mettre en balance le système central d’armement sur lesquels reposent l’indépendance et la survie de mon pays et les forces nucléaires intermédiaires des deux plus grandes puissances qui ne constituent pour elles qu’un complément à leur formidable arsenal stratégique ne peut être accepté. Puisqu’il s’agit en termes concrets d’une demande de l’Union Soviétique, au nom de quoi ce pays attendrait-il de la France qu’elle renonce à l’essentiel, je veux dire à sa défense nationale ?
Paul Amar
Tous les Chefs d’Etats et de Gouvernements qui ont écouté attentivement François Mitterrand ont dû être surpris, la tradition diplomatique les avait habitués à entendre des discours d’un autre style. Tradition rompue par le Président de la République qui a été ferme, net, sans appel et qui ne s’est pas embarrassé de périphrases pour s’adresser de cette tribune exceptionnelle aux dirigeants du Kremlin. Accusations cinglantes, ce n’est pas, a-t-il dit en substance, la France qui menace l’Europe avec ses 98 ogives mais bel et bien l’Union Soviétique qui, avec ses milliers de fusées pourrait réduire en cendres le vieux continent. Les représentants soviétiques, impassibles dans l’hémicycle, auront compris que l’indépendance et la défense nationale de la France ne seront en aucun cas sacrifiées. Mais François Mitterrand a voulu faire comprendre que sa position, la position de la France qui exclut toute faiblesse ne contredit pas pour autant sa volonté de dialogue, bien au contraire. Et le Chef de l’Etat a lancé un appel solennel à une plus grande confiance entre les peuples. Une confiance qui ne passe pas seulement par une réduction des armements mais par une meilleure coopération entre les riches et les pauvres. La paix n’est pas seulement menacée par cette soif de puissance mais aussi par ce déséquilibre entre ceux qui s’enrichissent et ceux qui s’appauvrissent. Et seule une vraie solidarité peut permettre d’éviter le pire, peut abattre les cloisons et dissiper les méfiances. Ces mots sont de Pierre Mendès-France, que François Mitterrand a cité en guise de conclusion, des mots prononcés en 1954, il y a près de 30 ans, les hommes n’ont pas cessé pour autant de se battre.