Les relations internationales
La France dans la nouvelle guerre froide
Lorsque François Mitterrand accède à la présidence de la République au lendemain de sa victoire du 10 mai 1981, le monde est plongé dans une « nouvelle guerre froide » sur fond de recrudescence de l’expansionnisme soviétique (déploiement des missiles SS 20 dirigés contre l’Europe occidentale, invasion de l’Afghanistan en décembre 1979, situation en Pologne) et de réponse américaine musclée, en particulier à la suite de l’accession de Ronald Reagan à la Maison Blanche en janvier.
Dans ce contexte, le nouveau président français entend rompre avec l’attitude de son prédécesseur, jugée trop complaisante à l’égard de la politique soviétique : d’où en particulier « l’acte fondateur » (selon les mots de Hubert Védrine) que représente son refus des SS 20 et son soutien à la « double décision » prise par l’OTAN en 1979 et prévoyant le déploiement de missiles américains Pershing II et Cruise en cas d’échec de la négociation de Genève.
Dans le même temps, il se montre soucieux de la défense des intérêts français, rejetant fermement toute prise en compte des armes nucléaires françaises dans les négociations entre les deux superpuissances. Dans le grave contexte international des années 1981-1983, François Mitterrand endosse promptement les habits du « monarque nucléaire » qu’est le président de la cinquième République tout en faisant constamment œuvre de pédagogie devant les Français.
Face à la crise des Euromissiles : la politique de dissuasion française
Discours à l’Onu
Cette attitude de fermeté à l’égard de l’URSS, qui se traduit en particulier par l’interruption des contacts au plus haut niveau avec Moscou, fait de la France mitterrandienne un appui solide de la politique américaine dans le bras de fer stratégique Est-Ouest.
De fait, François Mitterrand est clairement désireux d’affirmer la solidité de l’appartenance française au camp occidental à un moment où « l’expérience socialiste » risque de marginaliser la France dans le domaine économique dans ce même camp occidental, comme le président le ressent dès le sommet des sept pays industrialisés à Ottawa les 20-21 juillet.
Sommet d'Ottawa (G7)
Dans le même temps, François Mitterrand entend marquer la nouvelle orientation de la politique française en direction du tiers monde (discours de Mexico le 20 octobre 1981, participation à la conférence Nord-Sud de Cancún les 22 et 23 octobre, soutien affiché à la guérilla salvadorienne et au gouvernement sandiniste au Nicaragua).
Voyage officiel de François Mitterrand à Mexico
De même, le nouveau président français souhaite réaffirmer et rééquilibrer la position française au Moyen-Orient en proclamant, lors de sa visite d’Etat en Israël et de son discours à la Knesset le 4 mars 1982, le droit des Palestiniens à un Etat.
Les difficultés ne tardent pas à se faire jour dans les relations franco-américaines sur fond de volonté reaganienne de mener une guerre froide globale, y compris économique, face à l’URSS (notamment par le biais de sanctions dont Washington souhaite imposer le principe aux Européens de l’Ouest contre leur gré, notamment à propos du gazoduc euro-sibérien dont les Etats-Unis cherchent à empêcher la construction), conduisant à une confrontation personnelle entre Mitterrand et Reagan lors du sommet des Sept à Williamsburg les 28-30 mai 1983.
C’est pourtant le souhait mitterrandien d’assurer la cohésion occidentale qui l’emporte dans cette période, comme le démontre son important discours au Bundestag, prononcé à Bonn le 20 janvier 1983, lors duquel il se prononce sans ambages en faveur de la mise en œuvre du déploiement des missiles américains en cas d’échec à Genève (dans une formule marquante, François Mitterrand résumera sa pensée quelques mois plus tard en déclarant que « le pacifisme est à l’ouest et les euromissiles sont à l’est »).
Discours au Bundestag
« Le pacifisme est à l’Ouest et les euromissiles sont à l’Est »
Un discours qui, immédiatement, fait date : non seulement il constitue un appui important à la stratégie occidentale face à l’URSS, mais il marque le point de départ d’une relation franco-allemande de plus en plus étroite et d’une amitié politique entre François Mitterrand et le chancelier ouest-allemand Helmut Kohl, dont les effets sur les relations bilatérales et la construction européenne se révèleront bientôt décisifs.
Relance européenne et nouvelle détente
L’année 1983 marque de fait un point d’inflexion important dans la politique internationale de François Mitterrand. Le choix fait en mars de maintenir le franc dans le système monétaire européen (SME) confirme l’orientation européenne en même temps que la priorité franco-allemande de la politique française, une orientation et une priorité qui désormais resteront centrales ; la seconde est immortalisée à l’occasion de la cérémonie de Verdun en septembre 1984 où les dirigeants français et allemands se recueillent main dans la main.
A partir de 1984, Helmut Kohl et François Mitterrand cherchent à faire sortir la Communauté européenne de la crise qui la paralyse depuis les années 70, en s’attelant notamment au règlement du problème de la contribution budgétaire britannique : c’est chose faite lors du Conseil européen de Fontainebleau en juin 1984 sous présidence française.
L’année suivante, la France et l’Allemagne jouent un rôle décisif dans la relance européenne qui, au lendemain du Conseil européen de Milan en juin 1985, aboutit à l’adoption de l’Acte unique européen en février 1986, dans lequel François Mitterrand, tout en regrettant que les Douze n’aient pu s’accorder sur un projet plus ambitieux pour l’Europe, voit tout de même « un compromis de progrès ».
Parallèlement, l’année 1984 marque le retour de la politique française à un rôle actif dans les relations est-ouest.
Après le début du déploiement des missiles américains en Allemagne à la fin de 1983, François Mitterrand estime que le moment est venu de rétablir le contact avec Moscou au plus haut niveau : d’où son voyage à Moscou en juin 1984, lors duquel il n’hésite pas à soulever au Kremlin la question des droits de l’homme en URSS en évoquant lors d’un dîner officiel le sort du dissident Andreï Sakharov.
Lorsque Mikhaïl Gorbatchev arrive au pouvoir en mars 1985, François Mitterrand noue très rapidement le contact avec le nouveau dirigeant, qui choisit de se rendre en France en octobre 1985 pour sa première visite officielle dans un pays occidental. Se met alors en place une relation politique et personnelle entre les deux hommes qui comptera dans les années suivantes. En attendant, François Mitterrand se fait l’avocat d’une nouvelle détente entre l’URSS et les Etats-Unis et plus largement entre l’est et l’ouest, encourageant Reagan et Gorbatchev à renouer le dialogue et à faire avancer le désarmement et la maîtrise des armements.
L’orientation résolument européenne de la politique française, conjuguée à la reprise du dialogue avec l’Est, entraînent, en ce milieu de la décennie 80, le retour de frictions entre la France et ses partenaires occidentaux. Le sommet des Sept à Bonn en mai 1985 en est le théâtre, le président français s’opposant au président américain à propos de son initiative de défense stratégique (SDI), qu’il juge déstabilisante pour les équilibres de la dissuasion, et refusant l’ouverture d’un nouveau cycle de négociations du GATT en l’absence de garanties suffisantes pour la défense des intérêts de la communauté européenne.
Avec la nouvelle détente et la transformation des relations est-ouest, la politique internationale de François Mitterrand, qui reprend à son compte à la fois l’objectif d’une affirmation politique de l’Europe au-delà des blocs et l’objectif du dépassement de « Yalta », retrouve ainsi des accents à bien des égards gaulliens.
Cohabitation et politique étrangère
Les années 1986-1988 sont marquées par la première expérience de cohabitation, conséquence de la victoire de la coalition RPR-UDF aux élections législatives du 16 mars 1986, qui se traduit par la nomination de Jacques Chirac à Matignon.
Même si la prééminence du président de la République dans ces matières n’est pas contestable, la constitution n’en fait pas, à la lettre, le décideur exclusif. François Mitterrand doit donc, en matière de politique étrangère et de défense, composer avec un gouvernement dont les orientations internationales et stratégiques diffèrent des siennes sur certains points importants. Avec en ligne de mire l’élection présidentielle de 1988, à laquelle les deux têtes de l’exécutif ont toute chance de s’opposer même si François Mitterrand ne dévoile que tardivement son intention de briguer un second septennat, la cohabitation offre le spectacle inédit d’une rivalité au plus haut niveau de l’Etat dans ces domaines.
Cette rivalité est particulièrement visible dans les premiers mois de la cohabitation, en particulier à propos de la représentation de la France lors du sommet des Sept à Tokyo en mai 1986 puis du Conseil européen de La Haye en juin, où Jacques Chirac cherche en vain à s’imposer comme l’égal du chef de l’Etat en arguant de la prééminence du gouvernement dans les matières - essentiellement économiques - qui dominent lors de ces réunions, ou encore à propos de la correspondance diplomatique dont Matignon cherche dans un premier temps à priver en partie l’Elysée.
La cohabitation au sommet de Tokyo
Sur le fond des dossiers, les divergences les plus significatives concernent les questions est-ouest et stratégiques, qui dominent la période sur fond de nouvelle détente et de progrès du désarmement, le sommet américano-soviétique de Reykjavik en octobre 1986 puis la signature par Mikhaïl Gorbatchev et Ronald Reagan du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI) en décembre 1987 marquant à cet égard un aboutissement important, que François Mitterrand entend encourager.
Face aux réticences du gouvernement Chirac et, en particulier, du ministre de la défense André Giraud, qui se montrent soupçonneux devant l’offensive de Gorbatchev et défendent des positions à certains égards atlantistes, François Mitterrand prend l’ascendant devant l’opinion française et sur la scène internationale en imposant une approche ouverte au nouveau cours des relations est-ouest et en réaffirmant les fondamentaux gaulliens de la politique étrangère et de la stratégie françaises.
Une posture qui lui permet de consolider son image consensuelle à l’approche des élections présidentielles d’avril-mai 1988.
La fin de « Yalta »
C’est fort de sa confortable réélection face à Jacques Chirac que François Mitterrand peut aborder les défis de la fin de la guerre froide.
Dès l’automne 1988, le président français, convaincu que Gorbatchev est désormais prêt à accepter une évolution démocratique et pacifique dans les pays du camp soviétique, entend encourager des évolutions dont il espère cette « fin de Yalta » dont il se fait le chantre depuis des années tout en plaçant la France aux avant-postes du dépassement des blocs. C’est pourquoi il entame dès l’automne 1988 une grande tournée en Europe de l’Est, à commencer en décembre 1988 par la Tchécoslovaquie où il rencontre le dissident Vaclav Havel lors d’un petit déjeuner à l’ambassade de France.
François Mitterrand en Bulgarie
Il se rend ensuite en Bulgarie en janvier 1989 puis, en juin en Pologne, entre les deux tours d’élections libres dont sortira en août le premier gouvernement à direction non communiste depuis l’après-guerre.
La célébration du bicentenaire de la Révolution française en juillet 1989 est l’occasion pour François Mitterrand de placer la France et son message universel au centre du jeu international, d’autant que le pays est pendant ce mois l’hôte du sommet des Sept à l’Arche de La Défense (adossé à un sommet nord-sud) et qu’il prend la présidence semestrielle de la Communauté.
La chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, marque une accélération décisive. La guerre froide est bel et bien terminée et la question de la réunification allemande est désormais posée. Face à cette extraordinaire accélération, François Mitterrand entend à la fois reconnaître la légitimité du droit à l’autodétermination des peuples et, d’abord, du peuple allemand, tout en maîtrisant des évolutions qui ne doivent pas à ses yeux remettre en question la stabilité européenne. Dès le mois de juillet, il avait déclaré que l’unification allemande était possible à condition qu’elle se déroule pacifiquement et démocratiquement, et il avait déclaré lors d’un sommet franco-allemand à Bonn le 3 novembre qu’il n’avait pas peur de la réunification.
Le sommet de Bonn et la réunification allemande
François Mitterrand et la chute du Mur de Berlin
Le président français, dans les mois qui suivent, s’en tiendra à cette attitude : malgré la légende tenace d’une opposition française à la réunification allemande (alimentée notamment par la rencontre Mitterrand-Gorbatchev à Kiev le 6 décembre puis par le voyage du président français en RDA les 20-22 décembre), la politique mitterrandienne ne consiste en aucune manière à empêcher le retour à l’unité allemande, mais à l’encadrer.
Il s’agit, d’abord, de s’assurer que les questions non réglées au lendemain de la défaite de l’Allemagne en 1945 le soient définitivement, à commencer par celle de la frontière germano-polonaise : d’où le « forcing » de Mitterrand pour que l’Allemagne reconnaisse définitivement la ligne Oder-Neisse, ce qui, au printemps 1990, occasionnera une tension passagère avec Helmut Kohl. Il s’agit, ensuite, de faire en sorte que la réunification ne conduise pas à relancer la guerre froide, ce qui implique de faire accepter à l’URSS l’appartenance de l’Allemagne unie à l’Alliance atlantique (François Mitterrand convainc Mikhaïl Gorbatchev de ne pas s’y opposer lors de son importante visite à Moscou le 25 mai 1990).
Mais c’est surtout la dimension européenne qui domine dans la réponse de François Mitterrand au défi de l’unité allemande. Pour le président français, l’Allemagne doit réaffirmer son engagement envers la Communauté européenne, appelée à demeurer la pierre d’angle de l’architecture du continent et continuer d’encadrer un pays appelé à redevenir la puissance centrale en Europe. D’où son souhait d’obtenir d'Helmut Kohl un engagement définitif dans le projet d’union économique et monétaire, relancé en 1988 et devenu le fer de lance de la relance européenne : c’est chose faite au Conseil européen de Strasbourg, les 8 et 9 décembre 1989.
François Mitterrand sur l'Allemagne et sa réunification
D’où aussi, au printemps 1990, sa volonté de répondre favorablement à la demande de Kohl d’une relance en parallèle de l’Europe politique, décidée au Conseil européen de Dublin II les 25 et 26 juin.
Dès lors, la voie est ouverte au lancement, au mois de décembre 1990, des deux conférences intergouvernementales (l’une sur l’UEM, l’autre sur l’union politique) qui déboucheront un an plus tard sur la signature du Traité de Maastricht et la création de l’Union européenne, aboutissement de la relance de la relation franco-allemande et de la construction européenne voulue par Mitterrand et Kohl. Preuve de l’importance de l’événement : François Mitterrand décide, au printemps 1992, de soumettre aux Français par référendum la ratification du traité, en s’engageant de tout son poids avec le soutien de son partenaire et ami Helmut Kohl.
Nouvelle ère, nouveaux risques
La principale ombre au tableau de la politique mitterrandienne sur fond de fin de « Yalta » est l’échec du projet de Confédération européenne dont le président français avait lancé l’idée lors de ses vœux aux Français le 31 décembre 1989, et qui devait offrir à l’ensemble des pays de la « grande Europe » un amarrage politique, économique et culturel au môle de stabilité que doit représenter à ses yeux l’Union européenne.
Si l’idée correspondait à un réel besoin, elle est vite rejetée par ces derniers, qui y voient un mécanisme destiné à ralentir leur adhésion aux institutions occidentales (l’Union comme l’Alliance atlantique) et s’inquiètent de la participation de l’Union soviétique, voulue par François Mitterrand pour éviter l’exclusion de ce pays de l’architecture européenne d’après-guerre froide, alors que les Etats-Unis sont, à l’inverse, tenus à l’écart du projet. Dès lors, le constat de décès de la Confédération s’impose les 13 et 14 juin 1991 lors des Assises de Prague, qui devaient la porter sur les fonts baptismaux.
L’agonie de l’Union soviétique pendant les derniers mois de 1991 semble certes, rétrospectivement, donner sa justification à un projet qui visait à prévenir la balkanisation du Vieux Continent sur fond d’effondrement de l’empire soviétique. Mais si François Mitterrand - comme les autres leaders occidentaux, à commencer par George H. W. Bush - s’inquiète du risque de déstabilisation que créerait un éclatement désordonné de l’URSS (ce qui explique en partie son attitude jugée par certains attentiste lors de la tentative de putsch dont Gorbatchev est victime en août 1991), la dissolution de l’Union soviétique apparait bel et bien désormais comme inévitable. Elle est effective le 25 décembre.
Rencontre à Latche : l’interview conjointe de François Mitterrand et de Mikhaïl Gorbatchev
Malgré le déroulement pacifique des révolutions démocratiques en Europe de l’Est et de la réunification allemande, il était apparu dès l’été 1990 que la fin du système des blocs risquait de se traduire par l’émergence de nouveaux défis, à commencer par le retour de conflits naguère exclus par la bipolarité.
L’invasion du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein en août 1990 est à cet égard un coup de tonnerre dans un ciel serein. François Mitterrand, qui voit dans cet événement une remise en cause des fondements même de l’ordre international, comprend très vite qu’une guerre est inévitable et que la place de la France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, est aux côtés des Etats-Unis dans le refus du fait accompli.
Malgré sa volonté de tout tenter pour éviter un conflit armé (comme lors de son discours à l’Assemblée générale des Nations unies le 24 septembre 1990 lors duquel il propose un schéma de sortie de la crise), il assume la « logique de guerre » qui se met en place dès le lendemain de l’invasion et qui, devant l’entêtement du dictateur irakien, conduit effectivement en janvier-février 1991 à l’opération « Tempête du désert » à laquelle la France mitterrandienne participe sans états d’âme aux côtés des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne (division Daguet) même si le président français est conscient du risque de voir la domination américaine au Moyen Orient durablement renforcée.
François Mitterrand face à la guerre du Golfe
La fin de la guerre froide se traduit également par le retour de la guerre en Europe. L’éclatement de la Yougoslavie, à partir de l’été 1991, valide la crainte mitterrandienne d’un retour à « l’Europe de Sarajevo », avec tout ce qu’un tel scénario comporte de risque pour la stabilité du Vieux Continent.
Contrairement à une légende tenace, la politique de François Mitterrand n’est guidée ni par la volonté de préserver coûte que coûte la Yougoslavie ni par un parti-pris pro-serbe, mais - comme dans le cas de l’unification allemande - par la volonté de concilier droit des peuples à l’autodétermination et préservation de la stabilité internationale.
Face à la guerre entre ex-républiques yougoslaves et, à partir de 1992, en Bosnie-Herzégovine, Mitterrand estime que la communauté internationale ne peut prendre le risque de « rajouter la guerre à la guerre » et qu’elle doit se limiter à une action humanitaire (comme le symbolise le 28 juin 1992 son spectaculaire voyage à Sarajevo, alors sous le siège des Bosno-serbes) ou à un rôle d’interposition, tel que celui qu’assure la force de protection des Nations unies (FORPRONU) dont les soldats français constituent le gros des effectifs aux côtés des Britanniques.
Une approche qui conduit à de sérieuses frictions franco-allemandes en particulier à propos de la reconnaissance de l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie fin 1991 - début 1992 et qui, surtout, se révèlera de moins en moins tenable face notamment à la volonté des Etats-Unis, de plus en plus pressante à partir de 1994, d’imposer aux Serbes un règlement par la force.
A partir de 1992, la dynamique européenne lancée par Mitterrand et Kohl et qui avait abouti au traité de Maastricht s’affaiblit. Non seulement l’ambition d’une politique étrangère et de sécurité commune (PESC), qui se voulait le fer de lance de l’union politique, paraît remise en cause sur fond de désaccords franco-allemand à propos de l’ex-Yougoslavie, mais les graves crises qui secouent le système monétaire européen, soumis aux tensions qui résultent de la hausse des taux d’intérêts allemands consécutive à la réunification, paraissent hypothéquer le projet d’union économique et monétaire, pièce maîtresse du traité de Maastricht.
Surtout, le résultat serré (à peine plus de 51% de votes favorables) du référendum du 20 septembre 1992 ratifiant le traité - une consultation, on l’a dit, voulue par François Mitterrand pour légitimer par un vote des Français l’avancée de la construction européenne que représente Maastricht - contribue à affaiblir la dynamique dans la mesure où il révèle les limites de l’adhésion des Français.
En parallèle, et malgré la volonté d'Helmut Kohl et François Mitterrand de maintenir la dynamique du « couple » franco-allemand, des interrogations se font jour quant à la viabilité d’une relation dont la réunification allemande semble remettre en question l’équilibre si ce n’est la raison d’être.
François Mitterrand maintiendra toutefois jusqu’au bout sa défense passionnée du projet européen et de la réconciliation franco-allemande, comme en témoignent son dernier discours devant le parlement de Strasbourg le 17 janvier 1995 (« le nationalisme, c’est la guerre ») et son ultime intervention en Allemagne en tant que président de la République, à Berlin, le 8 mai 1995.
« Le nationalisme, c'est la guerre !»
Les cérémonies du 8 mai à Berlin
Les deux dernières années du second septennat sont au demeurant marquées par une nouvelle cohabitation, consécutive à la défaite du parti socialiste aux élections législatives des 21 et 28 mars et à la désignation d’un gouvernement dirigé par Edouard Balladur. Au contraire de la précédente, la seconde cohabitation ne donne pas lieu à des frictions entre les deux têtes de l’exécutif à propos de la politique étrangère. D’une part, le président, affaibli par la maladie et désormais en fin de mandat, accepte de voir son Premier ministre jouer un rôle important en politique étrangère ; d’autre part ce dernier, décidé à se présenter au suffrage des Français, se montre respectueux de la fonction présidentielle. Il en résulte une gestion au total consensuelle de la diplomatie et de la défense pendant cette dernière phase de la présidence mitterrandienne.
Lorsque François Mitterrand quitte la scène internationale en mai 1995, le monde a changé dans des proportions que nul ne pouvait prévoir au moment de son arrivée à l’Elysée en mai 1981. Reste que de « l’Europe de Yalta » à la globalisation, Mitterrand aura bien agi, selon les mots d’Hubert Védrine, comme un « passeur » entre deux mondes. A bien des égards - fût-ce sans le reconnaître - le continuateur de De Gaulle, auquel il n’aura cessé de se mesurer et d’être comparé, François Mitterrand fait, incontestablement, figure de grand président en politique étrangère.
Références bibliographiques
- Frédéric Bozo, La Politique étrangère de la France depuis 1945, Flammarion, coll. « Champs », 2012.
- Maurice Vaïsse, La Puissance ou l’influence ? La France dans le monde depuis 1958, Fayard, 2009.
- Hubert Védrine, Les Mondes de François Mitterrand. A l’Elysée, 1981-1995, Fayard, 1996.