Le sabotage du Rainbow Warrior : la chaîne des décisions

23 septembre 1985
02m 38s
Réf. 00067

Notice

Résumé :
Au cours de la nuit du 10 juillet 1985, le Rainbow Warrior, bateau avec lequel l’association écologiste Greenpeace entend protester contre les essais nucléaires que la France effectue en Polynésie française, est frappé par deux explosions et sombre dans la baie d’Auckland, en Nouvelle-Zélande. Après deux mois de scandale relatif au rôle joué par l’Etat français dans cet attentat qui a coûté la vie à un photographe présent à bord du navire, le ministre de la Défense Charles Hernu démissionne et le Premier ministre Laurent Fabius nomme une commission d'enquête. Il s’agit alors de faire la lumière sur la chaîne de décision politique qui a conduit à la neutralisation du Rainbow Warrior.
Date de diffusion :
23 septembre 1985
Source :
Antenne 2 (Collection: JT 20H )

Éclairage

L’ouverture en 1966 du Centre d’Expérimentation du Pacifique suscite d’emblée l’hostilité des Etats et territoires d’Océanie et des protestations officielles plus ou moins fermes répondent chaque année à la campagne d’essais engagée par la France en Polynésie française. Mais l’élection de gouvernements travaillistes en Australie en 1983 et en Nouvelle-Zélande l’année suivante contribue à crisper davantage l’opposition de ces Etats, dont l’opinion publique est résolument opposée au CEP.

En 1985, le ministère de la Défense est informé par l’amiral Fages qui dirige le CEP qu’une action de contestation aux abords du site est en préparation. Dès le mois de mars, le cabinet de Charles Hernu demande donc à la DGSE d’anticiper la campagne que Greenpeace entend mener aux abords du CEP. Le 15 mai suivant, François Mitterrand reçoit l’amiral Lacoste et autorise celui qui dirige alors la DGSE à mettre en œuvre le plan de neutralisation élaboré par ses services.

Reste à déterminer ce que peut recouvrir le terme de neutralisation. La question est importante puisque les services français ont déjà mené des opérations destinées à neutraliser ou retarder les navires contestataires. Par ailleurs, l’amiral Lacoste affirme ne pas avoir présenté au président les détails du projet mais dit aussi qu’en raison des délais très brefs qui lui était imposés, la DGSE n’était pas en mesure d’envisager une action non-violente. Pressé par le temps et par son ministre, il entérine donc un plan conçu par le service Action qui prévoyait de déclencher deux explosions : la première était destinée à détruire la propulsion du navire et à pousser l’équipage à évacuer avant que la seconde charge ne coule le bâtiment. Mais, l’action se solde par la mort de Fernando Pereira qui après la première explosion, remonte à bord pour récupérer son matériel photographique. Ce décès et le fait que l’action se déroule en Nouvelle-Zélande qui n’a jamais subi d’attaque sur son sol, donnent d’autant plus d’ampleur à l’affaire que le pays, très hostile au nucléaire, est devenu territoire dénucléarisé dans les premiers mois de la prise de fonction du travailliste David Lange.

Dès le 9 août 1985, la presse néo-zélandaise pointe la responsabilité du gouvernement et des services de renseignements français. A Paris, l’annonce de l’arrestation et de l’inculpation des faux époux Turenge donne du poids à cette éventualité et Charles Hernu, questionné par le président de la République, reconnaît être au courant de l’affaire et de l’appartenance des faux époux Turenge à la DGSE.

Sommé par le président de faire toute la lumière sur l’affaire, Laurent Fabius confie l’enquête à Bernard Tricot dont le rapport ne convainc pas. Mais il faut attendre la démission de Charles Hernu pour que le Premier ministre admette le 21 septembre la responsabilité des agents de la DGSE qui affirme-t-il ont agi sur ordre. Si des incertitudes planent encore sur la chaîne de décisions qui a conduit au sabotage du Rainbow Warrior, l’Élysée et le chef de Gouvernement devaient être informés de l’existence d’une opération - à défaut, peut-être, de son contenu - puisque la délivrance des fonds nécessaires à sa mise en œuvre nécessitait l’autorisation du Premier ministre et du chef d’État-major particulier du président de la République.
Sarah Mohamed-Gaillard

Transcription

Bernard Rapp
Mesdames, Messieurs, bonsoir. Au fur et à mesure qu’émergent les révélations dans l’affaire de Greenpeace et elles ont été abondantes ces derniers jours, les questions se font de plus en plus précises ; avec une interrogation majeure ce soir encore, qui a donné l’ordre de couler le navire de Greenpeace ? Car un ordre a bien été donné, Laurent Fabius en a convenu hier soir dans une déclaration surprise aux alentours de 20 heures. Alors, saura-t-on jamais qui a donné cet ordre, une commission d’enquête parlementaire devrait être nommée pour tenter d’établir la vérité. Mais le roman d’espionnage n’est pas clos pour autant puisque des parties essentielles du dossier Greenpeace auraient disparu de la DGSE, c’est ce qu’aurait découvert le nouveau Ministre de la Défense Paul Quilès, lorsqu’il s’est penché de près sur l’affaire. Une affaire aux enchaînements décidément bien compliqués, Hervé Brusini.
Laurent Fabius
Ils ont agit sur ordre.
Hervé Brusini
Mais alors, qui a donné cet ordre ? La discipline militaire voudrait que les agents de cette DGSE aient obéi à leur supérieur hiérarchique immédiat, le patron de la base d’Aspretto, le Commandant Dillais. Le Commandant Dillais doit avoir obéi à l’autorité supérieure, le responsable du service action de la DGSE, le Colonel Lesquer. Un colonel obéit à un amiral c’est logique, l’amiral Lacoste était le grand patron de la DGSE, Lacoste tout fraîchement démissionné. Mais alors, d’où vient donc l’ordre de l’Amiral ? De lui-même ? A-t-il simplement interprété la demande de l’Amiral Fages, à l’époque Responsable du centre d’essai nucléaire de Mururoa ? Le voici sur ces images, il souhaitait en effet qu’on anticipe sur les initiatives de Greenpeace. Ou l’Amiral Lacoste n’a-t-il fait que suivre des injonctions venues d’encore plus haut ?
(Silence)
Hervé Brusini
Ici à gauche de l’écran, le Général Jeannou Lacaze, à l’époque Chef d’État-major des Armées. Ou encore le Général Saulnier à gauche de l’image, il était Chef d’État-major particulier du Président de la République. Il reconnaît avoir débloqué les fonds nécessaires à l’opération mais, dit-il, cela ne devait être qu’une mission de renseignement. Ses consignes étaient-elles en fait plus musclées, ou lui aussi, s’est-il contenté de transmettre les consignes venues d’ailleurs, venues des responsables politiques ? Parmi eux, un homme est particulièrement mis en cause, Charles Hernu. Mais dans sa lettre de démission figure déjà sa réponse à toute accusation, on lui a menti, dit-il. Alors, d’autres responsables politiques ont-ils participé à la décision ? Difficile à dire. Une chance de répondre à toutes ces questions est peut-être déjà partie en fumée, certaines pièces du dossier Greenpeace auraient été détruites à la DGSE.