Citroën, les Ouvriers - Paysans
Notice
Dans les années 60, l'arrivée de Citroën à Rennes offre des débouchés à une population travaillant traditionnellement dans l'agriculture. Main d'œuvre de qualité, ces ouvriers cumulent parfois travail à l'usine et activités agricoles.
Éclairage
Au début des années soixante, la Bretagne est une région encore essentiellement agricole. Dans ce contexte, l'implantation des usines Citroën a été centrale pour le développement de l'industrie régionale. La décentralisation des usines Citroën a lieu à une période où la ville de Rennes et la région Bretagne vivent une crise. Celle-ci revêt plusieurs aspects : crise démographique, carence industrielle, faiblesse des réseaux de communication, agriculture traditionnelle, manque de formation technique et universitaire.
La population locale fonde alors beaucoup d'espoir dans cette nouvelle implantation. En 1961, la décentralisation complète des usines Citroën annonce l'emploi de 8 000 à 10 000 ouvriers. Les retombées économiques pour la région sont donc énormes.
Cette nouvelle implantation a aussi valeur de symbole pour l'industrialisation de la Bretagne, industrialisation qui est le thème récurrent chez les acteurs sociaux bretons de l'époque. M. Philipponneau, président du C.R.E.E. (Comité Régional d'Expansion Economique) en 1958, affirme que "le développement industriel constitue la clef de voûte du problème breton".
Mais cette décentralisation industrielle de Citroën à Rennes n'est pas le seul fait d'une politique interne à la société bretonne. Le livre de J.F. Gravier, Paris et le désert français, publié en 1947, avait déjà fait forte impression sur la classe politique française. Aussi, à partir des années 1950, le gouvernement va essayer de rééquilibrer le poids des régions françaises en investissant directement par le biais des entreprises françaises mais aussi en forçant la main des entreprises privées, notamment en les incitant à décentraliser leur usines en dehors de Paris. Beaucoup ont déménagé en banlieues parisiennes. Citroën, d'abord réfractaire à cette idée, se décide enfin. Mais elle se voit refuser son implantation en banlieue : ses concurrents ont déjà drainé toute la main d'oeuvre. Elle décentralise alors dans un premier temps une unité de production à la Barre-Thomas (1953) puis l'ensemble de sa production à la Janais (1961).
La situation de l'exode rural est intéressante pour Citroën : la population bretonne représente un puits de main d'oeuvre quasiment sans fond. La faible qualification générale des ouvriers a obligé la société à adapter son usine à la main d'oeuvre en la modernisant. L'automatisation de l'outil de travail a ainsi permis d'embaucher des paysans et des paysannes sans qualifications industrielles.
Par ailleurs, à la différence de Paris, la vie syndicale est moins organisée, les prix des terrains et les salaires sont moins élevés. La situation du nouvel ouvrier, l'ouvrier-paysan, est très satisfaisante pour Citroën. La direction de Citroën organise le transport par bus jusqu'à plus de 100 km à la ronde. Les ouvriers n'ont donc pas à quitter leur logement, leur milieu et leur famille. Ils perçoivent un salaire relativement élevé pour la région bretonne, auquel s'ajoute un revenu de complément, de par les activités agricoles, qu'ils conservent. L'organisation du temps de travail en équipe, considérée comme déstabilisante par les ouvriers traditionnels, laisse pour l'exploitant ou le fils d'exploitant une demi journée de libre pour le travail à la ferme. Le statut d'ouvrier-paysan est significatif de la transition économique qui s'opère depuis les années soixante. En 1976, il n'y a plus que 30% d'ouvriers-paysans sur 10 500 employés.
Le développement d'autres entreprises dans la région a été facilité par les aménagements effectués pour l'implantation de La Janais, aménagements qui ont mis en valeur le bassin rennais, désenclavant la région, réduisant les coûts d'une éventuelle délocalisation, et facilitant l'accessibilité au marché parisien. La modernisation de l'agriculture est elle aussi liée à l'arrivée de l'usine. Ceux qui sont partis pour l'usine ont permis à d'autres d'agrandir leur terrains. Quant aux ouvriers-paysans, ils ont, par soucis d'efficacité, dû se plier aux lois de la spécialisation. Le développement industriel participe, par voie de conséquence, à la mort de la petite paysannerie en Bretagne.