Les débuts de la télévision régionale en Alsace

L’histoire de la télévision régionale en Alsace ne peut se comprendre sans s’intéresser aux évolutions de ce nouveau média outre-Rhin. Le couronnement d’Elisabeth II en Grande-Bretagne, le 2 juin 1953, est relayé en Alsace par l’antenne allemande, à défaut de pouvoir capter les images de la Radiodiffusion-Télévision Française (créée en 1949), car l’émetteur de la Tour Eiffel ne parvient à toucher qu’un territoire d’une centaine de kilomètres à partir de la capitale. Le choix des chaînes allemandes par les téléspectateurs alsaciens s’explique par une préférence linguistique, mais aussi par la différence de coût entre un poste de télévision et celui, moins élevé, d’un récepteur allemand.

La concurrence du voisin rhénan dans ce domaine est mal ressentie par les autorités qui cherchent de leur côté à développer une politique de francisation dans une Alsace encore majoritairement dialectophone. On comprend ainsi l’accélération de la construction de la liaison hertzienne entre Paris et Strasbourg pour diffuser en Alsace des programmes exclusivement en langue française. C’est ainsi que la première émission de la RTF est diffusée sur les ondes alsaciennes le 15 octobre 1953, dans des locaux installés place de Bordeaux à Strasbourg. Jusqu’à Noël 1953, le Journal télévisé national est reçu de Paris par le train pour une diffusion locale. Ce n’est que le 8 mai 1854 que commencent à être produites localement les premières émissions régionales sur Télé Strasbourg grâce à un émetteur régional installé au cours de l’hiver 1954.

Les téléspectateurs alsaciens découvrent ainsi l’émission Images d’Alsace, un magazine des services de reportage de Télé-Strasbourg, puis, le samedi suivant Elle tourne, M. Galilée, une émission de variétés proposée par Germain Muller. A partir d’octobre 1954, deux nouvelles émissions, Europe Actualités et Actualités d’Alsace, viennent compléter la grille des programmes régionaux. La retransmission de pièces de théâtre comme Les Fourberies de Scapin, pièce montée par le Centre dramatique de l’Est, remportent un si grand succès qu’elles sont rediffusées à l’échelle nationale.

Le taux d’équipement des ménages alsaciens en téléviseurs progresse nettement dans les années 1960, pour atteindre près de 70% des ménages alsaciens en 1972. Le public alsacien privilégie l’achat de récepteurs bistandards, permettant de capter les émissions allemandes ou suisses utilisant le procédé PAL et les émissions françaises, déployées avec la technologie française SECAM.

Suite au démantèlement de l’ORTF par la loi du 7 août 1974, trois sociétés de programmes de télévision voient le jour : TF1, Antenne 2 et France 3 Régions (FR3). La société FR3 est chargée de la gestion et du développement des régions. La régionalisation est renforcée par la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle qui permet à FR3 Alsace d’étendre son temps d’antenne et de permettre un retour du dialecte alsacien car le contexte politique a changé, promouvant désormais les « langues régionales ». C’est ainsi que naît en 1990, un journal d’informations locales en alsacien Rund Um, rapidement plébiscité par les téléspectateurs dialectophones de la chaîne. L’adaptation du dessin animé Tintin en dialecte par Robert Mazerand sera aussi un franc succès en 1996. Suite à cela, d’autres stations régionales françaises adapteront Tintin en breton ou en corse par exemple.

En 1992 FR3 devient France 3 Alsace et décide de jouer la carte de l’identité européenne de la chaîne - pour concurrencer Arte qui vient de s’implanter à Strasbourg ? - en lançant Triangle, magazine d’information transfrontalier, coproduit avec Sud West Funk (Allemagne) et la station suisse DRS (Suisse alémanique et rhéto-romanche) en 1994. Ce lancement est suivi par celui de Européos, premier magazine européen télévisé en France, en 1995. Ainsi, une place est désormais donnée à l’allemand sous-titré sur la chaîne.

Après un lancement du sujet en plateau par le présentateur du Journal télévisé David Marcellin, le reportage s’ouvre sur les toutes premières images de Télé Strasbourg en 1954, consacrées à un documentaire sur l’église Saint-Pierre-le-Jeune de Strasbourg. Ces images ont pu être diffusées grâce à la mise en place d'un émetteur à Strasbourg, dont on peut voir quelques plans de l’inauguration par le secrétaire à l’Information du moment, Emile Hugues.

D’autres images d’archives de Télé Strasbourg sont présentées comme des scènes de la vie quotidienne (femmes et enfants qui lavent leur linge) dont on ne comprend pas trop la présence dans le reportage, puis des extraits d’émissions de divertissement en alsacien, animées par Germain Muller. La journaliste précise que si Strasbourg est la deuxième ville de province à être dotée d’un émetteur, après Lille 4 ans plus tôt, c’est pour contrer l’influence allemande dans la région.

Cela s’inscrit en effet dans la volonté politique d’imposer la langue française dans une terre où le dialecte germanophone est encore très présent. Les autorités françaises veulent éviter que les Alsaciens achètent des récepteurs allemands en 625 lignes incapables de capter par la suite la RTF en 819 lignes. Le couronnement de la Reine Elizabeth II le 2 juin 1953 avait ainsi été présenté au public par un commerçant strasbourgeois captant le tout nouvel émetteur de Baden-Baden de la Télévision allemande.

Mulhouse sera d’ailleurs aussi équipée d’un émetteur en 1955 pour diffuser les programmes dans le Haut Rhin. Les émissions de l’époque ne « ratent pas l’occasion de montrer comme l’Alsace est belle » selon la journaliste et ses propos sont appuyés par un reportage consacré à Kaysersberg présenté comme « un bourg d’Alsace pittoresque et romantique ». Il faut cependant relativiser l’impact de la télévision car le taux d’équipement des ménages est encore faible. Le million de postes de télévision est atteint à la fin de l’année 1956 en France.

Le premier rendez-vous quotidien d’informations avec le public alsacien date du 22 novembre 1963. A cette occasion, le ministre de l’Information Alain Peyrefitte est venu inaugurer ce premier journal télévisé en Alsace, dans le cadre du déploiement de 22 centres d’actualités télévisés répartis sur l’ensemble des régions pour participer à une couverture journalistique locale du territoire français. Le cadrage très serré sur le visage du ministre s’adressant aux téléspectateurs surprend aujourd’hui mais rappelle le monopole étatique sur ce média à l’époque. Pour un reportage qui revenait sur 60 ans d’histoire de la télévision régionale en Alsace, on peut être surpris que le sujet ne traite pas des évolutions ultérieures, qu’elles soient organisationnelles, comme le passage de Télé Strasbourg à France 3 Alsace, ou techniques, avec l'apparition de la vidéo, et des régies numériques par exemple.