La réorganisation des médias locaux dans le Grand Est

La presse quotidienne régionale dans le Grand Est remonte pour certains titres au XIXe siècle (le premier numéro des Dernières Nouvelles d’Alsace date de 1877 et Le Républicain Lorrain touche ses premiers lecteurs en 1889). La presse est réorganisée à la fin de la Seconde Guerre mondiale avec les ordonnances de 1944 qui visent à garantir le pluralisme de l’information, condition de la démocratie renaissante. De nombreux journaux, issus de la presse et des groupes politiques de la Résistance, ont fleuri dans les kiosques, comme L’Est-Eclair, qui va rapidement devenir le premier quotidien aubois ou La Liberté de l’Est, journal vosgien créé en 1945 par Gaston Chatelain, un membre actif du maquis de la Piquante Pierre. Cette presse quotidienne régionale, comme la presse nationale, ne va pas échapper aux logiques de concentration. On comptait en France 175 quotidiens en province, à la Libération. Aujourd’hui, leur nombre est réduit à 53, dont 8 dans le Grand Est.

Deux groupes se partagent les titres de la presse régionale dans le Grand Est. EBRA est le principal, avec 6 journaux (L’Alsace, Les DNA, l’Est républicain, Vosges matin, Le Républicain Lorrain et Le Journal de la Haute Marne). La carte diffusée dans le reportage comporte d’ailleurs une erreur en replaçant Le Journal de la Haute Marne dans le groupe multimédia Rossel. EBRA possède en outre d’autres titres dans la région Bourgogne Franche Comté et en Rhône-Alpes, comme Le Dauphiné Libéré ou Le Progrès. En 2013, le groupe Rossel – qui possède notamment La Voix du Nord – s'est offert le groupe Hersant (L’Union, L’Est-Eclair). Ces concentrations permettent de créer des économies d’échelle et de favoriser une mise en commun du travail des journalistes, mais le lien de proximité apprécié des lecteurs risque d’être mis à mal. On remarque que cette géographie des actionnaires de la presse quotidienne régionale ne coïncide pas avec le nouveau découpage régional entré en vigueur le 1er janvier 2016.

En effet, la réforme territoriale engagée depuis le rapport Balladur de 2009 réduit le "mille-feuille" administratif à seulement 13 régions françaises, en lieu et place des 22 précédentes. Le but est de renforcer les compétences de ces nouvelles régions et de les doter d’une taille géographique et démographique plus en accord avec les autres pays européens. Dans les régions Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine, le Conseil régional a lancé une consultation en ligne le 14 mars 2016 pour inviter les habitants de la région à choisir entre les noms : Rhin-Champagne, Acalie, Nouvelle Austrasie, Grand Est. C’est Grand Est qui a été préféré et le 29 septembre 2016 est publié au Journal Officiel le décret qui entérine ce choix et valide Strasbourg comme chef-lieu de la nouvelle région. Ce redécoupage du territoire régional français ne s’est pas fait sans tensions, du fait que le maillage retenu pour cette région Grand Est a peu de rapport avec la géohistoire de ces territoires, notamment pour l’Alsace. En octobre 2018, des élus alsaciens ont obtenu du gouvernement d’Edouard Philippe la fusion des départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin et la renaissance de l’Alsace en tant que « collectivité européenne d’Alsace ». Cette nouvelle collectivité au statut unique en France devrait voir le jour en 2021, tout en restant dans la région Grand Est.

En octobre 2016, les rédactions de France 3 Alsace, Lorraine et Champagne-Ardenne proposaient chaque semaine un rendez-vous hebdomadaire aux téléspectateurs pour qu’ils appréhendent mieux leur nouvelle région du Grand Est. Ce reportage de B. De Butler et A.G. Dolz est diffusé le 17 octobre 2016 et s'intéresse aux médias régionaux. En donnant la parole à des acteurs d’une sphère médiatique large (presse quotidienne régionale, chaînes de télévision régionales et locales, ainsi que des stations de radios publiques et privées), le reportage montre que quelques efforts sont fournis pour proposer des contenus médiatiques pensés à l’échelle de la région Grand Est. 

Cela n’a néanmoins par entraîné de bouleversements majeurs dans le paysage médiatique régional. En effet, l’ancrage local et le maintien de la proximité avec le public restent la priorité des différents médias. En témoigne l’interview de Marc Scherrer, directeur de France Bleu Sud-Lorraine, qui dit qu’il va falloir « vivre cette région » mais qu’il est avant tout à la tête « d’une radio de proximité, ce qui explique qu’en Lorraine, nous soyons 2 France Bleu », à savoir France Bleu Nord Lorraine et France Bleu Sud Lorraine. Cette interview fait écho à ceux de Jean François Laville, journaliste politique à l’Est Eclair et à ceux de Marie Laure Augry, médiatrice de France 3, qui tous les deux évoquent une coopération plus étroite entre les médias à l’échelle de la nouvelle région, mais insistent sur l’importance de maintenir une proximité avec le public. On comprend dès lors pourquoi le paysage audiovisuel n’a pas été bouleversé par la création de la région Grand Est, qualifiée « d’OVNI » par le reportage. 

Seul le secteur des radios privés ultra concurrentiel, semble voir dans la création de cette nouvelle région une opportunité de croissance, comme l’espère le directeur de Magnum Sud Lorraine. Le reportage conclut en rappelant ironiquement que le seul média média diffusant sur tout le Grand Est est le webmagazine de la région, montrant que la logique politique n’est pas la même que celle des médias. Cela résume assez bien la tonalité d’ensemble de ce reportage, qui insiste davantage sur l’importance du maintien de la proximité avec ses lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs que sur une volonté de révolution médiatique pour s’adapter à ce nouveau découpage régional.