L’analyse de la victoire du FN aux élections européennes de 2014 par la sociologie du vote
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Les élections européennes du 25 juin 2014 se sont traduites par la première victoire électorale nationale du Front national. Retour sur les résultats en Champagne-Ardenne à travers l’interview d’un politologue qui livre des clés d’explication des comportements électoraux des populations champenoises, ayant voté pour ce parti.
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Date de publication du document :
11 mai 2021
Date de diffusion :
26 mai 2014
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Contexte historique
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie en CPGE au lycée Montaigne à Mulhouse
Les élections européennes de 2014, qui se sont déroulées le 25 mai en France, ont permis au Front national de remporter pour la première fois, depuis la création de ce parti d’extrême-droite, une élection nationale devant les deux principaux partis politiques, le Parti socialiste (PS) au pouvoir depuis l’élection de François Hollande comme président de la République (2012-2017) et l’Union pour un mouvement populaire (UMP), principal parti de droite, alors dans l’opposition.
Le Front national a été créé en 1972 par des activistes d’Ordre Nouveau (ex-Occident), aspirant à réintégrer toutes les familles de l’extrême-droite dans le jeu parlementaire. Jean-Marie Le Pen en devient la figure tutélaire. Le parti sort de l’anonymat dans les années 1980 lors des élections européennes de 1984 (11% des suffrages exprimés) et de la présidentielle de 1988 (15%). Il atteint même le second tour de l’élection présidentielle de 2002 (obtenant 18% contre 82% pour Jacques Chirac), conquérant également des municipalités. Marine Le Pen (présidente de la formation depuis 2011), qui a entrepris une stratégie d’extension de la base électorale du Front national (qualifiée de Rassemblement national depuis 2018) a obtenu 17,9% des voix au premier tour de l’élection présidentielle de 2012. La victoire électorale de 2014 s’inscrit dans une progression continue de ce parti d’extrême-droite à l’échelle nationale.
A l’issue de ce scrutin à la représentation proportionnelle à un seul tour, au sein de grandes régions électorales, le FN a obtenu 24 députés sur les 72 représentants la France au Parlement européen soit 24,86% des voix. A l’échelle de la circonscription électorale Est, la liste bleu marine (regroupant FN et Rassemblement bleu marine - association antérieure à la création du Rassemblement national en 2018), dirigée par Florian Philippot, rassemble 28,98 % des suffrages et obtient 4 sièges sur 9. Le reportage du 26 mai 2014 prolonge l’analyse en en proposant une déclinaison à l’échelle de la région Champagne-Ardenne, en invitant le politologue Hervé Groud, qui propose d’analyser la sociologie du vote et les comportements politiques des électeurs qui ont dévolu leurs voix au FN.
Des sociologues du vote, par des enquêtes statistiques et par la pratique des sondages, ont cherché à montrer la dimension collective du vote (classe sociale, affiliation religieuse) et le poids des déterminismes sociaux (revenu et patrimoine, âge, origine, sexe, type d’emploi et profession…) dans le comportement électoral. C’est donc l’environnement social qui expliquerait le choix du vote et donc sa stabilité. Cette approche peut être complétée par des analyses qui privilégieraient la culture politique des électeurs (affiliation partisane) et leurs convictions idéologiques identitaires (valeur d’autorité et d’ordre, hostilité à l’immigration et au cosmopolitisme). D’autres sociologues remettent en question ces approches quelques peu déterministes pour envisager le vote comme un choix individuel en interrogeant la rationalité des électeurs : le vote devient l’expression d’une stratégie. Dans cette perspective, le vote FN peut être l’expression d’une contestation politique et sociale, reflet de la défiance envers le personnel politique et les élites (populisme). Par conséquent, le comportement électoral devient aussi plus volatile (intermittence et nomadisme électoral en fonction des élections). Il ne faut pas non plus oublier toute la dimension contextuelle : le contexte de crise économique depuis la fin des années 2000 a contribué à accentuer l’essor du Front national, dont l’émergence s’inscrit elle-aussi dans le contexte de croissance du chômage, de faible croissance économique depuis le milieu des années 1970 tant à l’échelle nationale qu’au niveau local.
Éclairage média
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie en CPGE au lycée Montaigne à Mulhouse
Le reportage de France 3 Champagne-Ardenne du 26 mai 2014 fait le point sur les résultats des élections européennes de la veille. Le FN y a récolté 31,3% des voix, dépassant de plus de 6 points la tendance nationale. Hervé Groud est professeur d’université de droit et de science politique de Reims : c’est un politologue souvent invité sur les plateaux télévisés de France 3 Champagne-Ardenne pour commenter les résultats électoraux. Le journaliste annonce un « raz de marée frontiste dans les quatre départements », illustré par une infographie cartographique qui rappelle les résultats par départements : 29,17 % dans la Marne, 32,11% dans l’Aube, 33,02% dans la Haute-Marne et 33,5% dans les Ardennes. Cette poussée s’observe plus globalement dans la France septentrionale (30,5% en Lorraine, 35,1 % dans le Nord-Pas-de-Calais et 27,2 % des suffrages en Alsace) mais aussi en Provence-Côte d’Azur et dans le Languedoc-Roussillon, dans la France du Sud-Est.
On observe ainsi une distribution spatiale plutôt dans l’Est du territoire national dans le Nord-Est et le Sud-Est. Hervé Groud met cependant en évidence une distribution des suffrages plus fine à l’échelle locale : les espaces métropolitains (villes-centres des métropoles ou des grandes agglomérations) votent statistiquement moins pour le FN que les espaces ruraux et que les villes moyennes en situation périphérique. En tant que spécialiste de science politique, il cherche des explications dans la sociologie politique et notamment dans la sociologie du vote. Il propose un premier niveau d’analyse en mettant en relation ces résultats spatialisés avec le taux d’abstentionnisme : quand l’abstentionnisme augmente, le vote pour le FN croît également. Or le comportement électoral abstentionniste a tendance à augmenter en périphérie des grandes agglomérations. Cette assertion lui permet de nuancer la montée en puissance du FN en valeur absolue : ce n’est pas tant en raison d’une progression du nombre de vote en voix (par rapport à l’élection présidentielle de 2012) qu’un fort taux d’abstention (57,18% en Champagne-Ardenne) qui explique la forte poussée du vote frontiste.
Il envisage également un second niveau de lecture, plus sociologique, pour expliquer ce comportement électoral. Il met en corrélation le vote pour le FN avec des déterminants sociaux en insistant sur des profils sociologiques : « les populations en difficulté, les classes moyennes, les jeunes ». On peut suggérer de prolonger cette analyse en l’illustrant par différentes corrélations : une surreprésentation du vote frontiste au sein des populations à l’emploi précaire ou au chômage, à faible qualification, à faible revenu. Le vote des classes moyennes en faveur du FN est souvent interprété comme le résultat d’un sentiment de déclassement, réel ou fantasmé en fonction des situations. Cependant, certaines nuances s’imposent. Si les jeunes (18-25 ans) se tournent davantage vers le FN, les 25-49 restent le cœur de l’électorat frontiste ; de même, c’est au sein des classes ouvrières, des employés et des indépendants que le vote frontiste reste très présent à l’échelle nationale. Il faut d’ailleurs se méfier de la recherche d’un profil-type sociologique de l’électeur du FN, qui peut masquer des divergences entre l’électorat frontiste du Nord de la France (plus populaire et aux revendications plutôt sociales) et celui du Sud de la France (socialement plus élevé et plus identitaire) mais aussi une diversité de situations sociales et de trajectoires individuelles. Il n’existe pas en soi de facteurs sociaux qui « prédisposent » à voter FN.
Enfin il met en avant un troisième argument, davantage en lien avec le contexte politique européen : l’ancrage d’un courant eurosceptique. La région Champagne-Ardenne avait déjà majoritairement voté contre le projet de constitution européenne en 2005 or le FN, se présentant comme un parti souverainiste et hostile à la construction européenne, capitalise une défiance envers les institutions européennes, et ce d’autant plus depuis ces élections avec une présence accrue au sein du Parlement européen.
Transcription
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