La révolte des vignerons aubois en 1911
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Résumé
En 1911, les vignerons aubois se révoltent contre la décision gouvernementale de les exclure de la zone officielle d’appellation des vins de Champagne. En 1999, dans une rétrospective des « événements du siècle », la rédaction de France 3 Champagne-Ardenne revient sur cet épisode marquant de l’identité régionale.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
21 déc. 1999
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Contexte historique
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En 1911, la question de la définition du vignoble de Champagne est double : se créer une identité face aux autres régions viticoles et délimiter cette Champagne viticole. Marnais et Aubois ne se la préfigurent pas de la même façon. À compter de 1908, le vignoble champenois est secoué de soubresauts qui atteignent paroxysme en 1911, moment où les oppositions se font de plus en plus virulentes. L’enjeu pour les vignerons champenois de ce début de siècle est donc de se définir. Or définir, c’est par essence exclure. Depuis 1903, les producteurs réclament une délimitation de l’aire d’appellation Champagne pour lutter contre la vente commerciale frauduleuse de vins mousseux sous l’étiquette « Champagne ». La contrefaçon est certes poursuivie juridiquement, mais les vignerons réclament la mise en place d’une délimitation géographique légale.
Le décret du 17 décembre 1908 exclut l’Aube de la délimitation ; ce qui provoque un mécontentement. Le décret du 2 février 1911 confirme l’exclusion des vignerons aubois de l’appellation Champagne, la colère redouble dans un contexte économique très difficile puisque les récoltes de 1909 et 1910 ont été très mauvaises, si mauvaises que celle de 1910 n’a presque pas eu lieu. Pour montrer leur colère, les vignerons aubois utilisent plusieurs voies. D’abord, assez classiquement, la manifestation. Le 21 mars 1911, les vignerons défilent aux Riceys. À Troyes, le 9 avril 1911, près de 9.000 vignerons du département investissent les rues après une marche partie des communes viticoles.
Par ailleurs, le 27 mars 1911, à Bar-sur-Aube, des vignerons étalent une banderole sur l’Hôtel de Ville qui cache la devise et montre au passant le message explicite « Pauvre République Française ta devise f… le camp » tandis que sur un mur, un graffito scande « Article 35 de la Constitution : Quand le gouvernement viole les lois, l’insurrection est pour le peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »
Enfin, le mouvement de révolte est appuyé par la démission quasi-simultanée de 125 municipalités auboises le 16 mars 1911, tandis que le conseil municipal de Troyes, commune non viticole, en fait de même le 18 mars. Le 26 février 1911, les électeurs de Fontaine refusent de se rendre aux urnes alors qu’a lieu une élection municipale partielle. La grève des élections précède le principe de la grève de l’impôt parce que les contribuables de la même commune refusent le 6 mars 1911 de payer l’impôt. Les révoltés des communes du Barsuraubois organisent même un autodafé des feuilles d’impôts à Bar-sur-Aube le 19 mars 1911.
Ces éléments de la révolte portent en eux-mêmes une violence – symbolique – mais comme le souligne, à juste titre, Françoise Weinling, la révolte des vignerons aubois se déroule sans violence ; contrairement à celle des vignerons marnais qui est plus empreinte de lutte des classes puisqu’elle oppose en réalité les petits vignerons aux riches négociants.
Françoise Weinling énonce les emblèmes utilisés par les vignerons révoltés. Parmi eux, le drapeau rouge. Le 7 juin 1911, la ville de Bar-sur-Aube en est littéralement pavoisée malgré les injonctions contraires des préfet et sous-préfet. L’interviewée affirme alors que ce drapeau est celui de la révolte mais ne possède pas de connotation politique aux yeux des vignerons aubois. De cette affirmation, nous pouvons douter.
D’abord parce que la Marche des vignerons, présente dans le reportage par les photographies d’archives et extraits de journaux locaux de l’époque, se chante sur l’air de L’Internationale ; chant révolutionnaire marxiste. Aussi, choisir cet air, en complément des drapeaux rouges, n’est pas anodin. Ensuite, parce que les vignerons se structurent syndicalement à partir de 1905-1906. Les émeutes de 1911 constituent une sorte de catalyseur permettant un développement non négligeable du syndicalisme chez les vignerons aubois. Mais que ce soit dans l’Aube ou dans la Marne, les fédérations syndicales se sont refusées à soutenir officiellement les mouvements de révolte, bien au contraire. L’Union viticole de l’Aube, dirigée par le politicien radical Paul Caillot, cherche absolument à trouver une issue au conflit par les négociations.
Enfin, faiblement implantés dans le territoire en dehors du canton « rouge » des Riceys, les socialistes mènent une partie de la révolte par le biais du député Nicolas Léandre, vigneron et socialiste, et du leader charismatique de cette révolte auboise : Gaston Cheq, sympathisant socialiste. Néanmoins, du point de vue politique, rien de comparable entre les révoltés champenois de 1911 et les vignerons du Midi Rouge de 1907. Le terreau de la politisation n’est pas comparable. La révolte s’achève dans la négociation avec la publication en 1927 de la délimitation quasi-définitive de la Champagne, incluant les communes viticoles de l’Aube.
Éclairage média
Par
En 1999, la rédaction régionale de France 3 décide de créer plusieurs séquences mémorielles locales à diffuser dans les journaux télévisés régionaux autour de la thématique des « événements du siècle ». Parmi les événements retenus se trouve ce reportage sur la révolte des vignerons aubois en 1911. Quatre-vingt-huit ans après les faits, les journalistes n’ont d’autres choix que de s’appuyer sur des images d’archives et sur des analyses délivrées par des non-témoins de l’événement. Cinq séquences de « témoignage » sont insérées au fil du reportage.
La première est une description des conditions de vie et de travail des vignerons aubois de l’époque, causes probables de la révolte. L’interviewé ne nous est pas connu, il s’agit peut-être d’un vigneron. Les deuxième et quatrième entretiens sont réalisés avec le journaliste, de presse écrite locale, André Beury, auteur en 1984 d’un opuscule de 69 pages intitulé La révolte des Vignerons de l’Aube. Février-Septembre 1911. D’abord, André Beury soulève un argument de poids au regard de la cause de la révolte : l’intégration dans la zone d’appellation de cantons axonais. Ensuite, il revient sur le calendrier judiciaire qui s’étale de 1912 à 1926 et aboutit en 1927 à l’intégration des vignobles de l’Aube dans l’appellation Champagne à condition de l’arrachage des plants de gamay et la replantation en pinots et chardonnay.
Les troisième et cinquième entretiens interrogent Françoise Weinling, très impliquée dans le vie municipale et associative de Bar-sur-Seine, historienne « amateur », autrice en 1979 d’un article publié par la revue Folklore de Champagne et intitulé « 1911. La révolte dans le Barséquanais. Une grande année dans le vignoble aubois » et, depuis, de nombreuses conférences sur le sujet. Ces éléments permettent utilement d’illustrer le deuxième chapitre du Thème 3 d'histoire de Première générale intitulé « Permanences et mutations de la société française jusqu’en 1914 » dans lequel il est demandé à l’enseignant de mettre en avant « l’importance du monde rural et ses difficultés ».
Traditionnellement, l’industrialisation, la question et le mouvement ouvrier sont au cœur des analyses concernant la période, notamment grâce aux travaux menés à la suite de Jean Maitron (Dictionnaire des anarchistes), de Claude Pennetier. Néanmoins, le monde des campagnes connaît aussi des formes de militantisme majeur, tout au long du XXème siècle, comme l’a démontré Jean Vigreux.
Sans aller jusqu’à ces considérations historiographiques, le journaliste cherche à appuyer son propos et en quelque sorte le crédibiliser (le scientifiser) aux yeux des téléspectateurs en ayant recours à des « spécialistes » locaux de la question. Le problème, dans l’extrait que nous possédons ici et qui est sans doute le reportage avant post-production complète, est l’absence d’incrustation des noms des interviewés, qui sont loin d’être connus du grand public – même champenois - ce qui rend le procédé journalistique inopérant et inefficace en faisant perdre une partie du poids « d’autorité » de leurs interventions voulu par le journaliste.
Par ce reportage, la rédaction régionale de France 3 se place de plain-pied dans sa mission de service public d’information, mais plus largement encore dans celle d’accès à la culture, notamment locale et régionale. Le reportage est très descriptif et se veut pédagogique afin de transmettre au téléspectateur une connaissance d’ensemble et générale de cet événement qui marque la culture locale de manière profonde. N’existe-t-il pas, en effet, encore aujourd’hui un buste de Gaston Cheq sur un petit square éponyme à côté de la maison de celui-ci, à Bar-sur-Aube, sur la route principale quittant la commune en direction de Chaumont ? La révolte des vignerons de 1911 n’est-elle pas un marqueur fort de l’identité vigneronne auboise jusqu’à aujourd’hui ? La révolte des vignerons marnais et aubois n’est-elle pas un moment d’ancrage du syndicalisme viticole en Champagne (comme l’a démontré Mickaël Boulnois) qui donne par la suite naissance au CIVC (Comité interprofessionnel du vin de Champagne) qui régule jusqu’à aujourd’hui les professionnels de ce système productif particulier ?
Transcription
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