Emile Mathis, glorieux pionnier de l’automobile en Alsace [en alsacien]

Le reportage permet, à partir de l’exemple d’un riche ingénieur automobile alsacien, d’appréhender l’industrialisation et l’accélération des transformations économiques et sociales en France dans la première moitié du XXe siècle.

La vie d’Emile Mathis (1880-1956) est à replacer dans le contexte de la seconde révolution industrielle. Alors que la première (1770-1850) s’est appuyée sur le charbon, la seconde (1850-1914) s’est déployée autour du pétrole, de l'électricité et de l'automobile. Le jeune ingénieur touche-à-tout s’est saisi des grands progrès techniques d’alors pour se lancer dans la construction de voitures. Employé en 1903 chez De Dietrich, grande entreprise du nord de l’Alsace née de la première révolution industrielle, il œuvre pour l’accompagner dans sa tentative de reconversion de la production de fonte vers l’activité automobile. Il y travaille avec Ettore Bugatti, inventeur en mécanique italien de génie, un autre jeune talent recruté alors par De Dietrich. Le puissant industriel, conscient du potentiel du moteur à explosion, tente pour quelques mois sa chance dans la construction automobile. Hors d’Alsace, alors possession de l’Empire allemand, d’autres ingénieurs font le même pari mais avec plus de succès tels les Peugeot ou les Renault. Ils construisent en France une puissante industrie automobile qui devient au début du XXe siècle la première productrice mondiale de voitures. L’Allemagne n’est alors qu’en troisième position, pendant que les Etats-Unis commencent à peine à se lancer dans cette activité dans laquelle ils s’imposent rapidement ensuite. 

Lorsque De Dietrich abandonne la construction automobile en 1904, Emile Mathis et Ettore Bugatti s’associent brièvement pour poursuivre l’aventure et lancer une marque d’automobile populaire de grande série. L’entreprise Mathis parvient ainsi à se hisser au quatrième rang des constructeurs français dans les années 1920. Ettore Bugatti se consacre pour sa part aux voitures de sport et de prestige, passion partagée par Emile Mathis lui-même coureur automobile. Parmi les participants de ces courses il retrouve les grands noms de l'histoire de l'automobile qui se livrent une concurrence acharnée pour établir de nouveaux records de vitesse, révélateurs des progrès techniques réalisés.

Pionnier de l’automobile, Emile Mathis l’est également pour l’aviation. Il compte parmi les premiers aviateurs à avoir fait voler des engins à moteur capables de décoller par leurs propres moyens.

L’entreprise Mathis est également représentative du développement du commerce mondial étroitement lié à l’industrialisation. Grâce à l’essor du réseau ferroviaire ainsi qu’aux échanges transatlantiques permis par les gros cargos, elle a en effet pu, en même temps qu’elle produisait ses propres véhicules, les exporter à travers l’Europe et jusqu’en Amérique. L’activité initiale de négoce n’aurait pu s’imposer avec le même succès sans ces évolutions.

Le reportage témoigne aussi des grandes évolutions sociétales à l’œuvre durant cette période à commencer par l’émergence du monde ouvrier. Même si les ouvriers, d’anciens paysans devenus salariés et toujours plus citadins, bénéficient à partir des années 1880 des généreuses lois sociales de l’Empire allemand (assurance maladie, accident, vieillesse et invalidité obligatoire), les conditions de travail demeurent difficiles et la question ouvrière reste une problématique centrale pour les entrepreneurs et les gouvernements. Le début du XXe siècle, surtout les années 1920, est aussi marqué par un mouvement d’émancipation féminine. En montrant leurs capacités à remplacer et égaler les hommes, les femmes sont en effet sorties grandies de la Première Guerre mondiale. Si elles restent surtout cantonnées à certaines professions comme les métiers de bureau ou de service, elles osent désormais se couper les cheveux et adopter des coupes à la garçonne, porter des robes non cintrées plus courtes ainsi que des pantalons, fumer des cigarettes et même conduire des voitures. 

Rund Um est un magazine quotidien en dialecte alsacien proposé à l’échelle régionale par la chaîne de télévision France 3. Chaque jour il propose un nouveau reportage permettant de découvrir la richesse du patrimoine alsacien tout en donnant à entendre la diversité des accents à travers la région. Ces reportages courts visent à dépeindre les sujets abordés en les valorisant tout en donnant largement la parole aux acteurs.

Sur un morceau de charleston entraînant, les photos anciennes, bâtiments et véhicules de collection se succèdent à un rythme souvent rapide pour illustrer la fulgurance de la carrière du jeune ingénieur de bonne famille. Les documents et lieux alsaciens sont privilégiés afin de souligner l’ancrage régional de son destin hors-norme. Les photos de son enfance puis de sa vie d’adulte, notamment celle de son mariage, vise cependant aussi à le montrer comme un homme ordinaire.

Les propos du président du club des amateurs de Mathis, ceux d’un propriétaire d’une copie de son album de photo familial et enfin ceux de la conservatrice du musée historique de Strasbourg où un espace a été dédié au constructeur automobile, révèlent une nostalgie pour le passé industriel florissant de la région et l’intérêt croissant pour le patrimoine légué par cette période. Nombre de documents d’époque sont légendés en allemand, le quartier de la Neustadt, construit par les Allemands à partir des années 1880 et où vécut Emile Mathis, apparaît sans être nommé. De même l’empereur allemand Guillaume II client du négociant automobile est fièrement mentionné. Le reportage ne l’explique pas. Le sort de l’Alsace qui changea à plusieurs reprises de nationalité tout comme Emile Mathis est ici passé sous silence. En raison du format très court du reportage, mais aussi pour éviter toute polémique, les journalistes ont préféré éviter de s’attarder sur le contexte historique tendu dans lequel la société a fait fortune.