Un tramway pour l’agglomération Strasbourg-Kehl : quelles retombées économiques ?

En dépit d’un poids démographique et économique très différent (Strasbourg compte 279 000 habitants et Kehl 35 000, dont près de 2 200 résidents français en 2017), les deux villes ont développé de longue date une coopération transfrontalière, liée à l’intégration européenne, et officialisée par la création de l’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau en 2010. L’extension du réseau de tramway de l’Eurométropole de Strasbourg vers Kehl, opérationnelle depuis le 29 avril 2017, est un symbole fort de la coopération transfrontalière, comme l’avait été l’inauguration du Jardin des deux Rives entre ces deux mêmes villes en 2004. Cette extension a été pensée à l’origine comme la colonne vertébrale d’un espace urbain continu, transfrontalier, permettant à la métropole strasbourgeoise de s’ouvrir sur le Rhin et de renforcer son attractivité. Après trois ans de chantier, 96,6 millions d’euros dépensés par l’Eurométropole de Strasbourg et la ville de Kehl et une aide de 3,25 millions d’euros provenant du programme européen Interreg, le prolongement de la ligne de tramway D est une nouvelle manifestation de l’effacement de la frontière.

Au-delà de la charge symbolique forte portée par ce nouveau rapprochement franco-allemand, en quoi cette extension du tramway participe-t-elle également à la métropolisation de Strasbourg ?

Le tramway et le nouveau pont Beatus Rhenanus s’inscrivent en réalité dans un projet beaucoup plus vaste porté par l’Eurométropole de Strasbourg. Le « projet éco-cité Strasbourg-Métropole des Deux-Rives » vise à développer l’urbanisation de Strasbourg jusque sur le versant allemand du Rhin, sur une emprise de 250 hectares. C’est un vaste chantier de rénovation urbaine, de mise en valeur du patrimoine industriel, de réhabilitation de friches portuaires et de créations de 10000 logements dans lequel s’est engagé le conseil de l'Eurométropole, en visant d’ici 2030 la création de 27000 emplois. Ce projet d’urbanisation est le deuxième plus important de France après celui de Paris Rive Gauche. Un Campus européen, porté par l'université de Strasbourg avec ses homologues de la région du Rhin supérieur (Bâle, Fribourg, Haute Alsace, Karlsruhe) réunissant les talents de 130 institutions scientifiques du territoire transfrontalier devrait notamment voir le jour dans cette nouvelle partie de la ville.

L’extension de la ligne D du tramway vers Kehl modèle l’urbanisme à venir, en faisant de ces nouveaux quartiers un modèle de ville plus respectueuse de l’environnement, voire de ville durable. Cette zone de la ville, longtemps délaissée et polluée (nuisances olfactives notamment) abritera désormais des écoquartiers (Danube par exemple) et de nombreuses entreprises au sein d’une ZAC des deux Rives. Elles seront desservies par des modes de transports facilitant les mobilités douces (tram, pistes cyclables). L’objectif est de réduire aussi le trafic routier, car chaque jour ce sont 40000 véhicules qui franchissent le Rhin. 

Cette extension de l’agglomération strasbourgeoise vers l’est crée de nouvelles centralités et renforce son attractivité (tout en favorisant les mobilités transfrontalières). Un parallèle pourrait être établi avec l’Eurodistrict trinational de Bâle. En effet, la métropole bâloise a prolongé la ligne 3 de son tramway vers la gare française de Saint-Louis, qui est devenue en 2019 un pôle multimodal permettant de mieux gérer la mobilité transfrontalière en proposant une offre de transport à faible impact environnemental.

Le reportage a été réalisé à l’occasion du premier anniversaire de l’inauguration de l’extension de la ligne D du tram de Strasbourg vers Kehl. Les journalistes ont voulu mesurer les retombées économiques de part et d’autre de la frontière de cette nouvelle liaison transfrontalière.

Les témoignages recueillis permettent d’illustrer les nouvelles pratiques socio-spatiales induites par l’extension de la ligne D du tramway vers Kehl. On constate un essor des flux de consommateurs strasbourgeois dans les commerces de Kehl, allant parfois jusqu’à représenter 70% de leur clientèle. Si les commerçants strasbourgeois ont pu craindre un temps une fuite des consommateurs outre-Rhin, il s’avère que le tram est aussi emprunté par les Allemands vers Strasbourg, qui viennent découvrir facilement une grande métropole française. Les rédacteurs de la feuille de route du schéma de coopération transfrontalière de l’Eurométropole se félicitent en 2019 d’un tramway réellement bidirectionnel et au trafic en augmentation de 20% en un an. Ces flux touristiques sont encouragés par différents acteurs, comme l’association des Vitrines de Strasbourg, la Ville de Strasbourg et l’Eurométropole, qui se sont associés à la Mittelbadische Presse pour distribuer en Allemagne un trimestriel recensant les informations touristiques, culturelles et pratiques sur Strasbourg. 

Le reportage s’attache aussi à savoir si des Français ont profité du tram pour aller s’installer à Kehl. L’agent immobilier interviewé estime que les acteurs du marché immobilier avaient anticipé l’arrivée du tramway et que les prix de l’immobilier sont à la hausse depuis de nombreuses années et que la tendance se poursuit car la demande en logements est bien supérieure à l’offre disponible. 

Le reportage ne dit cependant rien sur les  quelques 5000 travailleurs transfrontaliers et sur l’éventuel impact que cette extension de la ligne D représente pour leur quotidien. Nombreux sont ceux qui ont délaissé leur voiture pour le tramway ou pour la ligne de bus entre Erstein et Lahr que l’Eurodistrict a mis en place en avril 2017 pour les travailleurs transfrontaliers, à raison de 6 dessertes par jour.