Les mutations du port de Strasbourg face aux défis de l’Eurométropole
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Établissement autonome depuis 1926, le port de Strasbourg qui étend sa façade fluviale sur une centaine de km doit désormais composer avec l’extension de la ville de Strasbourg qui entend reconquérir l’espace entre le centre-ville et les rives du Rhin. Cette mutation majeure doit néanmoins composer avec les intérêts économiques du deuxième port fluvial français aux ambitions européennes affichées.
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Date de publication du document :
16 nov. 2022
Date de diffusion :
08 juin 2016
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ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
Le Port autonome de Strasbourg, rebaptisé « Ports de Strasbourg », est le deuxième port intérieur français. Chiffres 2021 à l’appui, il affiche 7 millions de tonnes de marchandises, plus de 370 000 EVP (conteneurs équivalents vingt pieds), 100 km de voies ferrées, 500 entreprises, 10 000 emplois directs… Depuis 1926, le port est un établissement public autonome, en application d'une convention entre l’État et la ville de Strasbourg qui ont toujours un poids prépondérant dans sa gestion. Il dispose de son autonomie financière avec des ressources propres, principalement les revenus du domaine (location des terrains portuaires et plans d’eau) et les redevances liées à l’usage de ses infrastructures. Ces revenus lui servent à couvrir ses frais d’exploitation et ses investissements. Son étendue ne se limite pas à la capitale alsacienne et il s’étend le long d’une façade fluviale d’une centaine de km, englobant les ports annexes de Lauterbourg, Beinheim et Marckolsheim auxquels il faut ajouter huit postes de chargement de vrac le long du Rhin (graviers, céréales...) de Seltz au nord à Rhinau au sud.
Au-delà de ces données, il y a une longue histoire entre la ville et son port. Depuis le Moyen Âge, Strasbourg – en retrait d’un Rhin aux crues dévastatrices – dispose d’un port fluvial qui fonctionne sur le modèle d’un urbanisme des canaux
marqué par un aménagement des quais autour de la Grande Île, près de l'Ancienne Douane puis vers les quais des Bateliers et des Pêcheurs.
Cette relation se modifie dans la seconde moitié du XIXe siècle lorsque les nouveaux canaux du réseau intérieur français – Rhône-Rhin (1832) et Marne-Rhin (1853) – se connectent à la zone portuaire qui se déploie au sud du centre-ville avec l’ouverture des bassins de l'Hôpital (1882) et d'Austerlitz (1892). Ce dernier forme le noyau de l’actuel port qui regarde désormais vers le Rhin et que concrétise au début du XXe siècle le creusement des bassins du Commerce et de l'Industrie (1901). Dès lors débute une dissociation des fonctions industrialo-portuaires et urbaines de Strasbourg. Elle ne cessera de s’accentuer avec l’ouverture de nouvelles installations dans les années 1920-1930 : écluse sud, bassins des Remparts, Vauban et René Graff, port aux pétroles, avant-ports nord et sud. Cet éloignement du port vis-à-vis de la ville est renforcé par sa position frontalière et, comme l’écrivent les géographes Antoine Beyer et Jean Debrie, il est doublement périphérique
, toutes ses installations industrielles, militaires et douanières en [faisant] un puissant glacis qui double le trait frontalier
entre la France et l’Allemagne.
La reconnexion avec la ville date de la fin des années 2000. Le contexte européen d’intégration et d’ouverture des frontières modifie profondément la relation du port et de la ville. La volonté politique d’établir une agglomération transfrontalière intègre l’espace portuaire dans le projet d’urbanisation au cœur de l’« Écocité Strasbourg-Kehl métropole des Deux-Rives ». Parmi les éléments du projet, on trouve une zone d’aménagement concertée avec des nouveaux quartiers – Citadelle, Starlette, Coop et Rives du Rhin – dont les programmes immobiliers visent la construction de plus de 4 000 logements tout en réhabilitant les friches, par exemple en concevant un parc naturel sur la pointe de la presqu’île Citadelle où se trouvait l’ancien siège du port autonome. Bien évidemment, entre la municipalité et le port les tensions sont réelles car tout l’enjeu est de réussir à maintenir une activité économique majeure dans un nouvel environnement urbain et environnemental qui voit l’interpénétration des deux tissus et la cohabitation d’acteurs aux intérêts parfois divergents.
Ce maintien est d’autant plus important que le port bénéficie du programme Réseau transeuropéen de transport qui vise à développer les infrastructures de l'Union européenne, en particulier l'interopérabilité complète des différents réseaux (terrestres, fluviaux, aériens). En 2021, la Commission européenne a identifié neuf corridors prioritaires qui mettent le port en position d’interconnexion avec quatre d’entre eux : Rhin-Danube, Atlantique, Mer du Nord-Méditerranée, et Rhin-Alpes. L’enjeu est important tant en termes de financement européen pour moderniser les infrastructures qu’en capacité d’attraction des activités industrialo-portuaires afin de devenir un hub majeur de la logistique européenne.
Éclairage média
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
L’ouverture par une vue aérienne des installations portuaires de Strasbourg met en place le contexte dans lequel s’inscrit ce reportage consacré au 90e anniversaire de la création du port autonome de Strasbourg (1926) et l’importance économique que ce dernier a su acquérir en devant le deuxième port fluvial de France et le troisième port rhénan.
En comparant l’actuel paysage du port avec les images réalisées au début des années 1950 lors du tournage de La Vierge du Rhin – film de Gilles Grangier avec Jean Gabin –, il s’agit d’en montrer les profondes transformations. Symboliques en cela sont les portiques bleus et les empilements de conteneurs sur les quais. Formant des mosaïques colorés, les conteneurs sont marqués du noms des grandes sociétés de transport et d’armateurs internationaux (Hapag-Lloyd de Hambourg, Maersk de Copenhague ou MSC de Genève) ou régionaux (MGE d’Épinal-Chavelot). L’un d’eux est par ailleurs graffé avec les chats du très coté street artist Alberto Vejarano, alias Chanoir. Entre camions, chariots élévateurs et ponts roulants, Jean Muller, superviseur au port, insiste sur le fonctionnement multimodal de ce dernier. Le reportage illustre le propos en suivant le travail d’un grutier, Jérôme Matz, installé dans une cabine sur rail et devant laquelle se déploie le spreader, cette pince télescopique permettant de saisir et déplacer les conteneurs. Manettes aux mains et yeux rivés sur des écrans, il charge et décharge les navires tout en préparant les conteneurs pour les chariots élévateurs afin compléter les camions.
Archives de l’INA à l’appui, le reportage revient de nouveau dans les années 1950 avec des images du bassin Vauban bordé de montagnes de charbon, époque durant laquelle Strasbourg était le premier port charbonnier de France. Jean-Louis Jérôme, directeur général du port autonome depuis 2003, explique la mutation entreprise dès les années 1970 avec l’installation d’un premier terminal à conteneurs. Lente à ses débuts, cette activité a connu un développement exponentiel dans les décennies 2000 et 2010 avec une croissance annuelle du trafic de 15 à 20 %.
Autre activité liée au port est le tourisme organisé sur les bateaux-promenades de Batorama, filiale du port autonome. Conçue dans les années 1950 pour faire découvrir les installations portuaires aux partenaires et industriels, elle s’est par la suite ouverte aux touristes comme en témoigne le commandant Laurent Penincq qui navigue désormais jusque dans le centre-ville de Strasbourg. Avec 800 000 passagers par an, c’est la première attraction touristique payante d’Alsace.
La dernière séquence du reportage est consacrée à l’inscription nouvelle du port dans l’urbanisation croissante de la ville qui, désormais, s’étend vers l’est et les rives du Rhin. Deux focus sont symptomatiques. Le premier est le pont Beatus-Rhenanus (inauguré en 2017) avec sa double arche blanche qui illustre la mutation en cours : effacer la frontière franco-allemande et promouvoir les déplacements doux puisque seuls piétons, vélos et trams circulent sur ce nouveau trait-d’union entre Strasbourg et Kehl. Le second est centré sur l’îlot coincé entre le bassin de l’Industrie au premier plan et le Rhin à l’arrière-plan. Il montre la diversité des entreprises qui ont choisi de s’implanter sur les 1 050 ha du port autonome de Strasbourg. De droite à gauche on découvre les bâtiments bleus et blancs de la maïserie Dacsa fermée en 2017 (agroalimentaire), les silos à grains d’Agro 67, les locaux d’OVHcloud (data center) et, à la pointe, ceux d’Arcelor Mittal Construction. À arrière-plan à gauche, au-delà du Rhin, le port industriel de Kehl et les portiques jaunes de l’aciérie de la Badische Stahlwerke. Entre extension urbaine et développement industrialo-portuaire, le tout sur fond de coopération transfrontalière, les enjeux sont considérables pour faire cohabiter des lieux et des fonctions longtemps disjoints, ce dont témoigne Nicolas Teinturier, le directeur de la valorisation du domaine du port autonome. De manière paradoxale et quelque peu étonnante, alors même que la reconnexion de ces espaces est à l’œuvre, le reportage se clôt sur les images de hauts murs qui semblent encore isoler le port de la ville.
Transcription
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